Par Norman Pollack – Le 26 janvier 2017 – Source CounterPunch
Retour de flamme : effet inverse de celui désiré ou attendu – l’Amérique est dépassée, devenue en deux siècles un démiurge hégémonique abusif et compulsif, et ce n’est pas fini.
Il n’y a rien à faire. Le capitalisme joue beaucoup de mauvais tours à la société, intégralement, lorsque la déification de la marchandise provoque l’aliénation – lire, de Marx, les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 – et que ses impératifs de croissance donnent naissance à l’impérialisme, à la guerre, à l’intervention et au contrôle social. Donc déjà, en soi, l’Amérique est, à long terme, en difficulté. Mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a cherché à résoudre les problèmes et les dangers, pour elle-même et le reste du monde, à cause de son désir irraisonné de s’affirmer, d’accélérer son pouvoir et de devenir le modèle idéologique et structurel à suivre pour d’autres pays, en particulier ceux qui ont des systèmes alternatifs.
Les foyers de conflits évidents sont la Russie et la Chine, considérées comme des adversaires perpétuels – sinon permanents –, une construction mentale nécessaire pour maintenir la politique internationale en ébullition, justifiant une économie dépendante de la guerre – c’est à dire des taux acceptables de croissance économique – et la stabilité intérieure par l’endoctrinement et l’enrégimentation approfondie. Tout cela, pour rendre acceptable la complicité avec les valeurs et les pratiques des groupes supérieurs de la société, eux-mêmes différenciés en ultra-riches et riches, se trouvant aux leviers de la politique, de l’économie et des armées. Le capitalisme par la concentration de la richesse est un système de classe, et il ne peut pas en être autrement, malgré la rhétorique de la fin de la lutte des classes. Le système, l’idéologie, le pouvoir, le leadership agressif et la population complice, tous combinés, ou même seuls – bien qu’ils tendent à se regrouper – s’ajoutent, fusionnent et entraînent, comme ici, à des extrêmes, au fascisme, naissant ou abouti, la différence devenant jour après jour moins significative, l’un menant à l’autre.
Trump n’est qu’une pâle réplique du Führer en version américaine du XXIe siècle, le fascisme restant au stade politique de la ploutocratie et de l’autarcie correspondant au développement de l’économie politique et n’atteignant pas, du moins pas encore, un état de concentration totalitaire rigide, de la dimension d’un camp de concentration. Cela ne signifie pas qu’il est inoffensif, tout comme ceux qui ont mené à la présidence actuelle ne sont pas non plus inoffensifs, mais seulement que le facteur antécédent, le capitalisme avec ses multiples exigences systémiques et ses traits, est le berceau de l’accouchement d’une règle arbitraire et agressive. Ici, Trump a pris un bon départ.
Comme je l’ai écrit, l’accent se tourne de la guerre froide, telle qu’elle existe actuellement, vers les affaires hémisphériques [nord-américaines], les relations avec le Mexique et le Canada. Moins significatives en elles-mêmes, ces relations témoignent du retour de flamme que j’ai noté, par lequel un Empire, qui contraint par tous les moyens à sa disposition, est néanmoins sur le point de voir crouler son prestige, même si ce n’est pas encore son pouvoir.
L’autorisation du Mur, et son mode de financement imposé exclusivement au Mexique, est une pure stupidité, entre autres contre-productive du point de vue du capitalisme avancé, et accompagnée de menaces concernant l’externalisation et des pénalités tarifaires pour le retour aux US des produits des entreprises américaines fabriqués à l’étranger. Il s’agit d’un désastre en cours. L’ALENA pourra s’effondrer en conséquence et ainsi, à partir d’une réaction en chaîne, affecter les relations américano-canadiennes (y compris le pipeline Keystone XL).
Dès lors que se pose la question de la domination dans sa propre arrière-cour, le comportement du boa-constrictor étasunien dans son environnement immédiat envoie un message clair à d’autres pays à travers le monde, que l’Amérique dérape gravement, et que tous les chevaux du roi de Lewis Caroll, tous les dieux de l’armement nucléaire, l’armée en alerte, les bases militaires, les assassinats ciblés, la doctrine de la guerre permanente, rien de tout cela ne pourra recoller la vaisselle cassée.
L’apparente petite tache sur l’écran radar par rapport au Mexique porte l’espoir, du moins pour moi, que l’Amérique doit remodeler fondamentalement sa position globale, ou faire face à l’ostracisme, au discrédit, ou pire encore, à la perte de marchés et à ses prétentions au leadership mondial unilatéral.
L’idéologie est comme la théorie des dominos : la peur omniprésente qui donne une pichenette, et tout le jeu s’effondre. À l’heure actuelle, la posture de Grande-Puissance de Trump peut être temporairement dans l’impasse, mais c’est l’autre puissance, la plus faible, qui n’est pas à l’origine des problèmes, qui pourrait ramener Goliath à sa mesure réelle, dans un reste du monde qui en apprécierait les conséquences, et serait donc disposé, par effet d’entraînement, à travailler à cette fin. Même s’il n’y a ni rime ni raison dans l’univers, l’intimidation ne gagne pas toujours.
Le Mexique, à en juger par les rapports préliminaires, est prêt pour des négociations globales selon ses propres termes plutôt que sur ceux, unilatéraux, proposés par Trump.
Mais le Canada est tout aussi passionnant à regarder, malgré les pieds de Trudeau embourbés dans les sables bitumineux de l’Alberta et sa réconciliation décevante avec le capital américain.
Si le Mexique obtient des résultats politiques et économiques substantiels, le Canada, avec ou sans Trudeau, ne sera pas loin derrière, comme si un gigantesque étau avait enserré les États-Unis. Si cela se produisait – un mur du Sud, un mur du Nord, métaphoriquement, sinon réellement – nous verrions un changement radical dans la politique internationale, soit avec des ramifications affectant les relations avec la Chine et la Russie, soit en désespoir de cause perdue, avec le recours de l’Amérique à l’option nucléaire.
Les propriétés de luxe de Trump dans le monde pourraient lui donner des raisons de se calmer, l’une des qualités rédemptrices de la richesse étant le désir tenace – l’obsession – de s’y tenir et de réfléchir à deux fois aux conditions de sa destruction, de sorte qu’il n’est pas tout à fait un véritable croyant. Mais ne retenez pas votre souffle. L’Amérique ne peut pas faire face à son propre déclin, et fera ce qui est nécessaire pour l’éviter. Il serait ironique que ce ne soient pas les grandes puissances – Chine et Russie – qui se braquent, mais celles qui ont été sous la férule de l’Amérique – Mexique et Canada –, provoquant une chute relative, conséquence involontaire du cadre géopolitique américain ; ce ne serait pas seulement ironique mais, tous comptes faits, moral et juste.
Alors, et seulement dans ce cas, l’Amérique vivra honorablement dans la grande famille des nations.
Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, il écrit sur le populisme américain en tant que mouvement radical, prof, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale et l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être contacté à pollackn@msu.ed
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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