Par Andrew Korybko – Le 26 février 2018 – Source Kathehon
Un important clivage a vu le jour du fait de la scission opérée au sein de la communauté des résistants, et il porte sur la controverse autour de la pertinence du concept d’« armes de migration de masse » de Kelly M. Greenhill. Cette chercheuse de Harvard a démontré, dans son ouvrage datant de 2010 et qui a le nom de ce concept pour titre, l’existence d’au moins 56 cas d’États générant, provoquant et exploitant sciemment des vagues massives de migrations humaines afin de favoriser leurs politiques respectives. Des observateurs assidus ont d’ailleurs relevé le fait que la crise des migrants actuelle présente de manière flagrante des aspects structurels analogues à cette stratégie.
D’un autre côté, certains « gauchistes anti-impérialistes » autoproclamés ont jeté l’opprobre sur tous ceux qui se risquaient à esquisser un tel « blasphème idéologique » en les qualifiant de « racistes » de « fascistes » de « suprématistes blancs » déclenchant ainsi une infecte zizanie qui a sévèrement clivé un mouvement autrefois soudé. Que ce soit intentionnel ou non, cela se combine parfaitement avec la stratégie américaine de fragilisation des mouvements d’opposition à la politique US par la tactique consistant à en dresser les membres les uns contre les autres. Ce phénomène est illustré par la « chasse aux sorcières » paranoïaque à laquelle s’adonnent ces militants radicaux en « purgeant » leurs rangs des « fascistes » et en condamnant publiquement leur anciens « camarades » sur la toile.
La guerre de 5e génération et la communauté des résistants
L’auteur a étudié en profondeur la façon dont cette « tendance » révèle une manifestation à plus grande échelle de la guerre de 5e génération que les USA mènent au monde de la multi-polarité, guerre par laquelle Washington cherche à déclencher le « choc des civilisations » tant rêvé qui viendrait défaire les avancées concrètes que la Russie et d’autres ont permises en contrecarrant la politique hégémonique US. Il est absolument indispensable que le lecteur se réfère à l’article « Agression civilisationnelle : le renouveau non-occidental et le ravalement de façade du gauchisme » pour comprendre les raisons stratégiques majeures qui motivent l’orchestration de la crise des migrants par les États-Unis, et comment certains des « gauchistes anti-impérialistes » font office d’« idiots utiles » en offrant leur appui à l’agenda des partisans de l’unipolarité.
Cela étant dit, nul doute que l’un des préceptes fondamentaux de la communauté des résistants réside dans son opposition indéfectible à « Israël » et son occupation de la Palestine depuis plusieurs décennies. Rien de plus simple pour jauger la sincérité des convictions présumées d’un individu que de lui demander directement s’il croit ou non à la légitimité de l’État d’Israël. Aucun partisan authentique de l’idéologie des résistants n’oserait défendre cette légitimité car une telle assertion le discréditerait immédiatement aux yeux de la communauté et prouverait qu’il est soit un idéologue mal informé, soit un provocateur politique. Les gens peuvent bien alimenter des discussions constructives au sujet du futur statut d’« Israël » mais la conversation doit nécessairement se développer à partir du postulat initial de l’illégitimité de la création de cet État.
L’instauration d’« Israël » et le mouvement sioniste
Ainsi, « Israël » est intrinsèquement illégitime car il est l’incarnation littérale des « armes de migration de masse » du fait de la migration à grande échelle de juifs européens vers les colonies britanniques de Palestine après la Seconde Guerre mondiale. L’afflux incontrôlable de nouveaux arrivants était éminemment déstabilisant pour les Palestiniens autochtones, pourtant ce processus fut largement « légitimé » par un « complexe de culpabilité » généralisé découlant de la perception que les juifs constituaient une catégorie particulière des victimes de la Seconde Guerre mondiale. Ce récit délibérément biaisé fut activement martelé par les sionistes dans le but de « justifier » géopolitiquement leur ambition revendiquée publiquement et de longue date de se tailler un « État juif » au cœur du Moyen-Orient ; cette narration reposait sur une interprétation fondamentaliste des textes religieux leur permettant de se proclamer « peuple élu de Dieu » et de « valider » leurs revendications territoriales.
Les sionistes ont tiré profit d’une tragédie de grande ampleur, dans laquelle des millions de victimes réparties en diverses catégories ont perdu la vie, pour mettre exclusivement la focale sur les souffrances de leur population ; ce faisant, ils ont pu exploiter la considération accordée à leur supplice pour faire valoir en parallèle une demande de « compensation » géopolitique de la part de la communauté internationale. Ils ont habilement exploité le « complexe de culpabilité » qui était de mise dans l’immédiat après-guerre pour pouvoir mettre sur pied une agressive politique de migration en masse de leurs coreligionnaires à destination des territoires palestiniens. Cette offensive démographique fut « légitimée » après-coup par la reconnaissance diplomatique d’Israël accordée par les USA et l’URSS, puis étouffée par la suite. Quoi qu’il en soit, en dépit des calculs liés au contexte de la guerre froide qui ont pu peser dans les décisions des superpuissances à ce sujet, il leur était impossible de dissimuler le fait largement étayé et facilement démontrable qu’« Israël » est le produit d’une immigration utilisée comme une arme contre les Palestiniens.
D’« anti-impérialiste » à agent de l’impérialisme
Ceci permet de recentrer la discussion sur la période actuelle et la vicieuse « chasse aux sorcières » que certains « anti-impérialistes » autoproclamés mènent contre leurs propres camarades en résistance. Leur manie d’attaquer tous ceux qui cherchent à faire mieux connaître le concept d’« armes de migration massive » et de les conspuer hystériquement au moyen d’anathèmes tels que « raciste » ; « fasciste » ; « suprématistes blancs » assure une couverture « normative » à la « légitimation » de l’establishment d’« Israël ». En niant l’existence de ce type d’armes, ces « anti-impérialistes » d’opérette apportent une « justification » à la création d’« Israël » en refusant de la lier à l’agression démographique perpétrée contre les Palestiniens. En omettant le fait capital qu’« Israël » est le résultat planifié d’une migration conçue et utilisée comme une arme par les sionistes, ces « anti-impérialistes » de façade se révèlent de véritables agents de l’impérialisme. Cela s’applique aussi bien aux gens mus par une adhésion malavisée et dogmatique au marxisme culturel qu’aux individus collaborant en toute connaissance de cause aux impératifs du discours informationnel du camp de l’unipolarité.
Le choix
Si l’on tient compte de tout ceci, un simple axiome binaire peut être formulé :
Reconnaître l’existence d’« armes de migration massive » délégitime « Israël » alors qu’en nier l’existence revient à le légitimer.
Il n’est absolument pas concevable que quelqu’un qui se décrit comme un « anti-impérialiste » puisse réfuter le caractère illégitime de l’établissement d’« Israël » sans reconnaître le rôle crucial que les « armes de migration de masse » ont joué dans sa création. C’est seulement en affirmant que ce concept est bel et bien fondé que l’on peut déconstruire la narration culpabilisante sur laquelle est fondé le mythe sioniste de la fondation d’« Israël ». Les soutiens les mieux intentionnés de la résistance peuvent bien débattre entre eux pour savoir si la crise des migrants actuelle constitue ou non un nouvel exemple de cet élément propre à la guerre de 5e génération ; mais la négation sournoise de l’existence même de ce concept constitue une preuve irréfutable que ceux qui le dénigrent sont des imposteurs et n’ont pas leur place dans la communauté des résistants. Peu importe qu’il s’agisse de « gauchistes » dans l’erreur ou de provocateurs infiltrés : si quelqu’un se définit comme « anti-impérialiste » mais refuse d’admettre qu’« Israël » doit sa création aux « armes de migration de masse » il contredit de façon flagrante l’un des préceptes fondamentaux du mouvement des résistants et le subvertit foncièrement de l’intérieur.
Tous les membres de la communauté des résistants sont dès lors mis face à un choix simple : reconnaître les « armes de migration de masse » ou « légitimer Israël ».
Andrew Korybko
Note du Saker Francophone Il est a noter que le cas d'Israël n'est pas signalé dans l'étude « armes de migration de masse » de Kelly M. Greenhill. C'était sans doute très politiquement incorrect à Harvard mais l'étude existe et on peut l'étendre et s'en servir comme le fait habilement l'auteur.
Traduit par François pour le Saker Francophone
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