Par Moon of Alabama – Le 12 décembre 2019
Il y a deux semaines, nous analysions les conséquences d’un processus de destitution du président Donald Trump. Nous avions constaté que les démocrates y perdraient en le destituant et, qu’à la place, ils le censureraient probablement. Nous avions tort. Une semaine plus tard, Pelosi annonçait qu’elle allait entamer une procédure de destitution.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai compris en quoi j’ai eu tort et ce qui s’était passé depuis. Laissez-moi vous expliquer.
La conclusion précédente était basée sur ce tableau des résultats possibles d’une résolution de destitution :
Si un grand nombre de représentants venant des États où Démocrates et Républicains sont en balance abandonnaient le camp de ceux qui sont pour une destitution, ce qui semble probable, la Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, aura un gros problème. Comment pourrait-elle procéder ? Si la Chambre vote contre la destitution, Donald Trump gagne. Si la Chambre ne se prononce pas sur la question, Donald Trump gagne. Si la Chambre vote pour la censure, Donald Trump aura gagné aux points et la question sera réglée. Si la Chambre vote en faveur de la destitution, l'affaire est renvoyée au Sénat pour y être jugée.
Le Sénat dirigé par les républicains aura alors le choix :
Il peut décider de ne pas ouvrir un procès de destitution en votant simplement contre la destitution. Trump gagne. Il peut entamer un procès de destitution, l'utiliser pour nuire gravement aux Démocrates et, en fin de compte, voter contre la destitution. Trump est alors le grand gagnant. Si la Chambre vote en faveur de la destitution, il est probable que le Sénat s'engagera dans la deuxième voie.
Si l’on regarde les choix qui s’offrent, il est assez étrange de voir que Pelosi a pris cette décision et il n’y a pas eu, jusqu’à présent, d’explication approfondie à ce sujet.
La Résolution de la Chambre plutôt courte (voir ici) que Pelosi a laissé voter n’a que deux articles de mise en accusation de Trump. Les sujets sur lesquelles il est censé être destitué sont très limités :
Les dirigeants démocrates affirment que Trump a fait passer ses intérêts politiques avant ceux de la nation lorsqu'il a demandé à l'Ukraine d'enquêter sur ses rivaux, dont le démocrate Joe Biden, puis a retenu 400 millions de dollars en aide militaire alors que l'allié américain faisait face à une Russie agressive. Ils disent qu'il a ensuite fait obstruction au Congrès en faisant obstruction à l'enquête de la Chambre.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky lui-même a déclaré qu’il ne savait pas que Trump avait retenu les 400 millions de dollars pour l’Ukraine lorsqu’il a reçu un appel téléphonique du président dans lequel Trump lui a demandé d’enquêter sur l’affaire Burisma/Biden. La demande elle-même est légitime, car les activités de Biden n’ont jamais été très claires en Ukraine. Mais il n’y a eu ni quid-quo-pro ni corruption, du moins pas lors de l’appel téléphonique dévoilé par le “lanceur d’alerte” de la CIA et dont certains témoins ce sont plaints. Où donc est la preuve que Trump aurait abusé de son pouvoir ?
L’accusation d’obstruction au Congrès est tout aussi faible. Trump avait rejeté les assignations à comparaître de son personnel face à la Chambre parce qu’il voulait un contrôle judiciaire de leur légalité. Celles-ci pouvaient en effet porter atteinte à certains privilèges présidentiels. Le processus judiciaire aurait pris plusieurs mois, mais les Démocrates ne voulaient tout simplement pas attendre aussi longtemps. Alors, qui entrave vraiment le processus judiciaire dans ce dossier ?
Le professeur de droit Jonathan Turley, qui n’est pas un fan de Trump et qui a témoigné devant la Commission judiciaire de la Chambre, trouve que les deux accusations que font valoir les Démocrates sont extrêmement faibles :
Pendant trois ans, les mêmes dirigeants démocrates ont déclaré au public qu'une série d'actes criminels et de destitutions avaient été prouvés dans l'enquête Mueller. Aucun de ces crimes ne fait pourtant partie de cette mise en accusation. Pourquoi ? Parce que la mise en accusation aurait été trop facile ? Sûrement pas. Du coup, la Chambre ira de l'avant pour les deux seuls motifs plausibles que j'avais exposés dans mon témoignage - abus de pouvoir et obstruction au Congrès. Contrairement aux autres allégations, le problème ne réside pas dans le fondement juridique de ces infractions passibles d'une mise en accusation, mais dans les preuves. Mais ce dossier demeure à la fois incomplet et conflictuel. Les Démocrates ont insisté pour que la destitution soit prononcée d'ici Noël plutôt que d'établir un dossier solide pour soutenir de telles accusations. ... Cela devient l'enquête la plus rapide, avec le dossier le plus mince à l'appui de la mise en accusation la plus fragile de l'histoire moderne. ... Les Démocrates viennent d'offrir à Trump le meilleur cadeau de Noël qu'il pouvait espérer avec ces deux accusations...
Le professeur Turley souligne à juste titre qu’il y a plusieurs autres questions graves sur lesquelles Trump pourrait (et devrait) probablement être destitué.
Alors pourquoi la Présidente de la Chambre, Pelosi, n’a-t-elle permis qu’une résolution de destitution aussi faible et fragile ?
Le texte de la résolution de destitution est actuellement en cours d’examen au sein de la Commission judiciaire, où il sera examiné aujourd’hui. Le langage peut encore s’affiner un peu, mais il n’y aura pour l’essentiel pas d’ajouts.
L’Assemblée se prononcera ensuite sur ce rapport au cours de la semaine prochaine. Le Sénat lancera le procès de destitution en janvier.
Ce qui me ramène au tableau des résultats possibles :
Le Sénat, dirigé par les républicains, aura donc le choix : Il peut décider de ne pas ouvrir un procès de destitution en votant simplement contre la destitution. Trump gagne. Il peut ouvrir un procès de destitution, l'utiliser pour nuire gravement aux Démocrates et, en fin de compte, voter contre la destitution. Trump gagne encore plus.
Le Sénat pourrait interrompre la campagne de plusieurs sénateurs en exercice participant aux primaires Démocrate pour la présidence. Il pourrait convoquer Joe et Hunter Biden, ainsi que le “lanceur d’alerte” comme témoins. Il pourrait creuser plus profondément le RussiaGate. Le risque pour les Démocrates au cours de ce processus serait énorme.
Mais Pelosi a tout de même pris cette voie en laissant voter une très fragile résolution de destitution.
Cela m’a amené à supposer qu’une entente avait été conclue qui permettait à Pelosi d’aller dans cette direction. Pourtant rien n’indiquait qu’un tel accord n’ait eu lieu.
Ce n’est qu’aujourd’hui que nous avons obtenons la confirmation, aussi claire que possible, qu’un accord a effectivement été conclu. Le Sénat dirigé par les républicains ne s’intéressera pas aux Démocrates, mais votera contre la destitution sans utiliser ce processus pour frapper son ennemi politique :
Les Républicains du sénat s'unissent autour d'une stratégie visant à tenir un court procès de destitution au début de l'année prochaine qui n'inclurait aucun témoin, un plan qui pourrait entrer en conflit avec le désir du président Trump d'organiser une défense publique de ses actions contre l'Ukraine, défense incluant un témoignage que la Maison-Blanche estime susceptible de nuire à ses concurrents politiques. Plusieurs sénateurs du GOP ont déclaré mercredi qu'il serait préférable de limiter le procès et de voter rapidement pour acquitter Trump, plutôt que de s'engager dans ce qui pourrait devenir un cirque politique. "Je ne pense pas que l'appétit soit très fort pour transformer cela en un spectacle prolongé", a déclaré mercredi au Washington Post un républicain du Sénat, Whip John Thune (S.D.), lorsqu'on lui a demandé si Trump obtiendrait les témoins qu'il voulait dans le procès pour sa destitution. ... Plus particulièrement, un procès rapide et propre est généralement perçu comme la préférence du leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell (R-Ky.), qui veut minimiser les distractions politiques au cours d'une année électorale où les Républicains s'efforceront de protéger leur mince majorité à la Chambre.
L’article poursuit en expliquant que les Républicains craignent de ne pas avoir les votes suffisant pour laisser comparaître des témoins. C’est évidemment absurde. Les républicains ont 53 sièges au Sénat et les démocrates en ont 47. En creusant dans la merde de Joe Biden, on obtiendrait certainement un appui supplémentaire de la part des électeurs sans risquer de perdre un seul siège au Sénat.
La seule raison pour laquelle le Sénat fera preuve de souplesse et votera simplement contre la destitution, c’est parce qu’un accord a été conclu entre le chef McConnell de l’opposition républicaine et la Présidente Pelosi.
L’accord a empêché la tenue d’une vaste enquête et d’un procès de destitution qui auraient pu nuire aux deux parties et dont l’issue aurait été incertaine.
L’étroitesse et la faiblesse de la résolution de destitution qui ne peut pas faire de mal au président était en échange d’un processus sans débordements au Sénat, qui ne creusera donc pas les affaires Biden et ne fera pas de mal aux Démocrates lors des élections de l’année prochaine.
Le fait qu’un accord ait été conclu explique pourquoi Pelosi a choisi la destitution et non la censure, même si les sondages s’opposaient à la destitution. Cela explique pourquoi elle n’a permis qu’une résolution étroite fondée sur des preuves faibles. Cela explique pourquoi la Chambre a accepté l’énorme budget de défense de Trump la même semaine où elle présentait une résolution de destitution contre lui. Cela garantit également que les Démocrates ne s’en prendront plus à Trump et qu’il ne sera en aucun cas reconnu coupable et destitué.
Les deux parties peuvent vivre avec les résultats de ce douteux processus. Les Démocrates en démontrant à leurs électeurs qu’ils sont prêts à s’attaquer à Trump. Les Républicains montrent qu’ils se tiennent aux côtés de leur président et le défendent contre les accusations boiteuses.
Trump prétendra haut et fort qu’il n’apprécie pas que le Sénat mette fin à cette affaire si rapidement. Il va twitter que le Sénat doit attaquer Biden et les autres Démocrates. Il jouera le gars profondément déçu même s’il ne l’est pas tant que cela.
Car j’ai l’intuition qu’il est dans le coup. L’étroitesse de la résolution de destitution empêche que d’autres affaires louches le concernant ne soient révélées. Cela rend plus improbable un autre véritable processus de destitution et garantit sa survie politique.
Il reste à savoir s’il y avait d’autres éléments dans cet accord. Si oui, lesquels ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone