Par Gordon M. Hahn – Le 29 juillet 2022 – Source Russian and Eurasian politics
Les dirigeants occidentaux, menés par le président américain Joe Biden, ont opté pour une longue guerre proxy contre la Russie, au moins jusqu’à ce que l’Ukraine “gagne” la guerre commencée lorsque les forces russes ont envahi le voisin occidental, le 24 février. Joe Biden a vendu la mèche lorsqu’il a déclaré que l’objectif de l’aide militaire et financière massive apportée par l’Occident à Kiev était de provoquer un changement de régime ou, du moins, d’écarter du pouvoir le président russe, Vladimir Poutine, populaire mais autoritaire. Cependant, alors que les forces militaires ukrainiennes sont lentement réduites à néant, il y a de plus en plus de preuves d’une scission majeure au sein du régime ; condition préalable aux coups d’État, militaires ou non, aux révoltes, aux révolutions et à d’autres formes de changement de régime.
On peut s’attendre à la déstabilisation du régime de Maidan en extrapolant à partir de certains facteurs et plusieurs autres en témoignent de plus en plus. La perspective d’une déstabilisation est soutenue par : (1) le modèle historique de défaites militaires menant à la déstabilisation du régime et parfois à des coups d’État ou à des révolutions et (2) un soutien populaire réellement faible pour Zelensky. Les preuves d’un début de déstabilisation du régime sont visibles dans l’autoritarisme croissant de l’État et dans les scissions au sein de l’élite du régime. Ces tendances ne feront que s’accentuer à mesure que Kiev sera confronté à de nouvelles défaites militaires et peut-être à l’effondrement de l’armée ukrainienne et des bataillons nationaux affiliés, dominés par les néofascistes, qui sont justement les candidats probables à l’organisation d’un coup d’État ou d’un soulèvement social.
La défaite militaire sonne souvent le glas des dirigeants politiques, des régimes et même des États. Pour trouver des preuves de l’instabilité causée par une défaite militaire, il suffit de consulter l’histoire locale de l’Ukraine et de ses environs, qu’elle fasse partie de la Russie impériale ou de l’URSS. La défaite de la Russie lors de la guerre russo-japonaise de 1904 a entraîné de violents bouleversements sociaux lors de la “révolution” de 1905, qui s’est soldée par un échec mais qui s’était largement répandue et fut presque un succès. L’échec militaire de la Russie dans la Première Guerre mondiale a conduit à la révolution de février 1917. Au cours de l’été 1917, l’échec de l’“offensive Kerenskiy” et la marche des Allemands sur Saint-Pétersbourg ont conduit à l’effondrement du gouvernement provisoire quasi-républicain d’Alexandre Kerenskiy et au succès du coup d’État bolchevique d’octobre. L’agitation en Ukraine pendant la révolution, le coup d’État et la guerre civile de 1917-1921 fut un tourbillon diablement étourdissant de chaos et de violence provoqué par une myriade de seigneurs de guerre, d’idéologies et de mouvements concurrents, peut-être un avant-goût de l’avenir de l’Ukraine contemporaine. L’échec des troupes soviétiques en Afghanistan au début des années 1980, qui a conduit à leur retrait en 1985, a été un facteur important dans la décision du régime du parti-État communiste soviétique de s’engager dans la voie des réformes, la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, qui a finalement conduit à l’effondrement du régime du parti-État soviétique et à l’éclatement de l’Union soviétique, qui a donné naissance à l’État ukrainien indépendant actuel. Il ne fait guère de doute que l’invasion russe de février remet en question la faible légitimité, la stabilité et la viabilité du régime de Maïdan, et que cela pourrait bien avoir été voulue par le président russe, Vladimir Poutine.
Le régime de Maïdan avait, dès le départ, une légitimité limitée. Il suffit de se rappeler son acte fondateur – le massacre du 20 février 2014 par un sniper sur la place Maidan – qui a vu l’aile néofasciste du mouvement Maidan tirer sur les forces de sécurité de l’administration corrompue de Viktor Ianoukovitch, mais surtout sur les manifestants du Maidan eux-mêmes. La connaissance au sein des cercles d’élite de la vérité sur cette opération sous faux drapeau a été une bombe cachée qui pouvait faire exploser le régime du Maïdan à tout moment. En effet, au cours de sa campagne présidentielle, l’actuel président ukrainien en exercice, Volodomyr Zelensky, a lui-même fait référence de manière cryptique à l’illégitimité du régime de Maïdan et à l’attaque terroriste des snipers. Dans une apparente référence cryptique à son adversaire, le président Petro Porochenko (qui pourrait en fait s’être opposé aux fusillades) et au massacre du 20 février 2014, Zelensky a commenté : “Les gens qui sont arrivés au pouvoir avec du sang profitent du sang” (www.pravda.com.ua/news/2019/02/26/7207718/). Plus tard, il a décrié la “disparition de la documentation concernant le massacre” (https://interfax.com.ua/news/political/640586.html?fbclid=IwAR0K4kGEZPEfsmOQActT7UXn3A3yRBmawO5MuqcYe6OiIEQMa_JbxrZOHuU). C’est cette apparente candeur qui a permis à Zelensky d’être élu haut la main à la présidence ukrainienne. Un jour, elle pourrait lui coûter la vie, et les néofascistes ukrainiens sont les premiers sur la liste des coupables potentiels.
Dans le même temps, nous entendons souvent dire que la cote de popularité du président Zelensky a atteint des niveaux poutiniens depuis l’invasion russe. Il convient toutefois de décortiquer un peu cette affirmation pour obtenir une image plus claire et plus profonde. À la veille de la guerre, l’administration Zelensky était extrêmement faible, tout comme l’appareil d’État ukrainien dans son ensemble, divisé par des factions politiques, idéologiques, oligarchiques et criminelles. La population ukrainienne était alors opposée à Zelensky. Sa cote de popularité était tombée à 25-30 %. Selon des sondages réalisés à la veille de la guerre, Zelensky obtenait 23 % et son prédécesseur, Petro Poroshenko, 21 %. Le parti “Serviteurs du peuple” ou “Slugy naroda” de Zelensky était en tête de tous les partis avec 19 %, mais ce chiffre est à comparer aux 70 % obtenus lors de l’élection de la Rada et aux 14 % du parti “Solidarité européenne” de M. Porochenko (http://www.kiis.com.ua/?lang=ukr&cat=reports&id=1090&page=1&fbclid=IwAR0-qs5D-9Hli6YNeKunjtR9N-cAnTSISnB2vn5ot3PXmvd4Q5YGoqFxJwA). Cela signifie que la cote de popularité élevée dont jouit actuellement Zelensky, en temps de guerre, est presque certainement mince et donc très vulnérable au flux continu de mauvaises nouvelles en provenance du front, malgré le fait que Zelensky manipule les informations. De plus, Zelensky donne l’impression d’être très impliqué dans la formulation de la stratégie de guerre de l’Ukraine. Il fait fréquemment des annonces militaires et stratégiques publiques et des rapports nocturnes sur le front et la situation géopolitique. Cette position tournée vers l’avenir rend le président encore plus vulnérable aux risques politiques liés à un échec militaire. Il y a et il y aura encore beaucoup de mauvaises nouvelles.
Avant la guerre, la manipulation des médias, la désinformation pure et simple et les mensonges étaient la marque de fabrique du régime de l’acteur/producteur Zelensky ; un régime rempli de producteurs, de scénaristes et de professionnels des relations publiques. Le masquage de la réalité par Zelensky avec la virtualité postmoderniste désormais omniprésente et les mensonges de la “communication stratégique” sont exposés et exacerbent l’effet délégitimant de la guerre. Le simulacre virtuel, cependant, est absent lorsqu’il s’agit de l’autoritarisme croissant du Maïdan, tant avant la guerre, lorsque la cote de Zelensky baissait, qu’après la guerre, en tant que réaction instinctive à la menace que la guerre fait peser sur la stabilité du régime.
Avant la guerre, Zelensky s’était déjà montré expert dans l’art d’aliéner toutes les forces politiques du pays à son équipe et à son parti “Slugi naroda”, du nom de son émission télévisée à succès sur un président ukrainien. Zelensky a interdit les chaînes de télévision de l’opposition, ses procureurs ont accusé l’ancien président Petro Porochenko de trahison et l’ont assigné de facto à résidence, il a remanié la Cour suprême en violation de la constitution ukrainienne, et il a signé des lois discriminatoires à l’égard de la langue russe, bannissant de fait les oligarques de la politique. La seule partie de l’échiquier politique avec laquelle il a pu trouver un modus vivendi était les partis néofascistes les plus importants d’Ukraine. Par exemple, le fondateur néofasciste du parti extrémiste Secteur droit, le commandant de l’Armée des volontaires ukrainiens semi-autonome et le cerveau du pogrom terroriste d’Odessa du 2 mai 2014, Dmitro Yarosh, est devenu un conseiller officiel du chef d’état-major général des forces armées ukrainiennes sous la surveillance de Zelensky.
Après le début de la guerre, Zelensky a placé toutes les chaînes de télévision sous un commandement unique avec une diffusion uniforme qui n’offrait pratiquement aucune voix dissidente. Il a interdit tous les partis d’opposition, à l’exception du parti “Solidarité européenne” de Porochenko, suffisamment nationaliste, et à l’exception des partis ultranationalistes et néofascistes, même s’ils sont peu nombreux. Les partis interdits sont les suivants : le Parti de l’opposition – Pour la vie, le Parti Shariy, Nashi, le Bloc de l’opposition, l’Opposition de gauche, l’Union des forces de gauche, l’État, le Parti socialiste progressiste d’Ukraine, le Parti socialiste d’Ukraine, le Parti socialiste et le Bloc Volodymyr Saldo. “Toute activité des politiciens visant à diviser ou à collaborer n’aboutira pas“, a expliqué Zelensky (https://news.yahoo.com/ukraine-ban-11-political-parties-141310973.html?fr=sycsrp_catchall). Mais Zelensky a joué avec le feu puisque les partis radicaux se préparent à prendre le pouvoir dans une “révolution nationaliste” depuis que les premières salves de snipers ont résonné sur le Maïdan. La guerre pourrait être l’occasion d’un coup d’État, car l’administration de Zelensky contribue à instaurer l’autoritarisme pour les néofascistes alors que les défaites croissantes au front sapent la légitimité de son régime.
Il existe des signes indéniables de factionnalisation, de polarisation et de scission croissantes au sein de l’élite ukrainienne, qui incitent Zelensky à prendre des contre-mesures autoritaires. Le signe le plus récent de ces dissensions croissantes a été la publication par un ancien député de la Rada proche de Zelensky, Sergei Leshchenko, d’un projet de décret présidentiel qui priverait Igor Kolomoiskii de sa citoyenneté. Recherché pour divers crimes aux États-Unis, Kolomoiskii s’était attiré les foudres du prédécesseur de Zelensky, Poroshenko, et a été déchu de sa principale participation, la Privat Bank. Outre Kolomoiskii, Hennadii Korban et deux autres personnes ont été inclus dans le même projet de décret. Korban, comme Kolomoiskii, était un mécène des bataillons de volontaires néofascistes dirigés par Secteur Droit et d’autres types de néofascistes pendant la première guerre du Donbass, qui se sont récemment transformés en Armée des volontaires ukrainiens et en Korpus nationaux. Ainsi, Yarosh a signé une pétition avec 115 autres membres de l’élite ukrainienne, y compris le puissant maire de Kiev, Vitaliy Klitchko, adressée à Zelensky pour qu’il s’abstienne de prendre une telle mesure contre Korban (et par implication Kolomoiskii aussi) au motif qu’une telle action viole la constitution (https://www.facebook.com/dyastrub/posts/pfbid0vA6f26FMacYCyPwpmvtUhhLUqiLRwrRsk3kNcXUYvKo6BejDtagx9frbQcMpF4pgl). Cet épisode peut être une autre exacerbation des relations parfois éprouvantes de Zelensky avec les ultranationalistes et les néofascistes, même avant la guerre.
Les communications stratégiques inefficaces, souvent flagrantes, absurdes et scandaleuses du porte-parole du bureau du président, Alexei Arestovich, y compris les nombreuses infox sur la guerre, ont discrédité les dirigeants militaires et civils et signalé l’apparition possible d’un fossé entre eux (https://gordonhahn.com/2022/04/15/kvartal-22-zelenskiys-simulacra/). Depuis le printemps, des tensions croissantes ont été signalées entre les dirigeants civils et militaires, le retrait russe du nord de Kiev ayant entraîné une nouvelle stratégie et une concentration sur le front oriental du Donbass et le front méridional de la Novorossiya, le long des côtes de la mer d’Azov et de la mer Noire. La prise par la Russie du port maritime de Marioupol, la révélation des crimes de guerre commis par le bataillon néofasciste Azov et le long siège russe de l’aciérie Azovstal, où les combattants d’Azov ont résisté et fait pression sur le régime et l’armée pour qu’ils envoient des forces afin de les faire sortir de l’encerclement russe, ont créé des tensions et des boucs émissaires entre civils et militaires, et ont exacerbé les tensions entre le régime et les néofascistes. Pendant le siège d’“Azovstal” qui a scellé le sort de Marioupol, le commandant adjoint des combattants néofascistes du bataillon Azov, qui s’y trouvaient, a critiqué les politiciens comme Arestovitch qui répondaient aux Azovtsy de “s’occuper de leurs affaires“. La consternation fut générale sur le réseau social ukrainien face au fait que les autorités civiles ne faisaient pas assez pour briser l’encerclement, que ce soit militairement ou par le biais de négociations (https://strana.news/articles/390297-ukrainskaja-oppozitsija-obvinjaet-ofis-prezidenta-v-dopushchenii-okkupatsii-territorij-ukrainy.html). La déclaration du ministère ukrainien de la Défense, selon laquelle une opération militaire visant à briser l’encerclement de l’Azovstal n’était pas possible, pourrait être considérée par certains comme le résultat de la rupture des généraux sous la pression des civils (https://strana.news/news/390472-v-minoborony-schitajut-chto-azovstal-nevozmozhno-deblokirovat-voennym-putem.html).
Les tensions entre civils et militaires se sont généralisées au début du mois de mai. Arestovich a ouvertement critiqué la direction militaire, parlant de “criminalité” et de “trahison” qui devaient faire l’objet d’une enquête et être punies. En effet, il a critiqué l’ensemble de la bureaucratie de l’État en réponse aux accusations d’incompétence au niveau présidentiel : ” Et 360 000 bureaucrates entre nous et la terre ? Qui sont-ils ? Ont-ils quelque chose à répondre ? Et le commandement militaire, auquel on pose déjà beaucoup de questions ?” Des voix représentant les militaires et le chef de l’opposition inculpé, l’ancien président Porochenko, ont riposté, critiquant Arestovitch et d’autres critiques civils. Une voix militaire, rapportée comme étant proche du chef d’état-major des forces armées ukrainiennes, Zalyuzhniy, a affirmé : “Chaque jour, des centaines d’hommes et de femmes tués et blessés sécurisent (votre) savoureux café dans le soleil de Kiev. Tous les jours. Et chercher aujourd’hui un coupable parmi eux est loin d’être la meilleure idée. Les coupables ne sont pas dans l’armée, même s’il y en a qui peuvent répondre de quelque chose, les coupables sont dans les hautes instances qui ont défini la politique budgétaire et déterminé qui occuperait les postes clés.” Un journaliste ukrainien a prédit que si le bureau du président continuait à critiquer l’armée, les conséquences pour ceux qui critiquent seraient “dévastatrices” (https://strana.news/articles/390297-ukrainskaja-oppozitsija-obvinjaet-ofis-prezidenta-v-dopushchenii-okkupatsii-territorij-ukrainy.html).
Début juin, Zelensky et le commandant des forces armées ukrainiennes, Viktor Zalyuzhniy, n’étaient pas d’accord sur le bon moment du retrait de Severodonetsk et sur l’endroit où former une nouvelle ligne défensive contre l’offensive russe dans les oblasts de Louhansk et de Donetsk. Zelensky a demandé que l’armée tienne le plus longtemps possible à Severodonetsk et crée une ligne défensive près de la ville, risquant ainsi que des milliers de soldats soient encerclés, tandis que Zalyuzhniy préconisait le retrait en formant une ligne défensive nord-sud passant par Kramatorsk (https://strana.news/news/394302-zelenskij-prokommentiroval-situatsiju-v-severodonetske.html?fbclid=IwAR0aJ4UE07ep1mLoeV1tsI48kqicxIX_uvcLFnPnnC7cWFsObmyHh28RF9w).
Le leadership civil est en outre miné par les défections et la corruption dans les organes de renseignement et d’application de la loi. Le 17 juillet, Zelensky a renvoyé le chef du Service de sécurité ukrainien (SBU), Ivan Bakanov, et la procureure générale de l’Ukraine, Irina Venediktova, les accusant ostensiblement d’être responsables du grand nombre de défections vers la Russie parmi les responsables de la sécurité et de l’application de la loi. Il a annoncé que “651 procédures pénales ont été enregistrées pour haute trahison et activités de collaboration menées par des employés du bureau du procureur, des organes d’enquête préliminaire et d’autres organismes d’application de la loi. Dans 198 procédures pénales, des personnes ont été notées comme suspicieux, et plus de 60 employés des organes et du SBU sont restés dans le territoire occupé et travaillent contre notre État.” Les licenciements étaient apparemment une réponse à ce que Zelensky a nommé “une série de crimes contre les fondements de la sécurité nationale de l’État à cause des connexions enregistrées entre les employés des organismes d’application de la loi de l’Ukraine et les services spéciaux russes.” L’assistant de Bakanov et ancien chef du SBU de Crimée, Oleg Kulinich, a été arrêté pour espionnage (https://strana.news/news/399930-zelenskij-rasskazal-ob-uvolnenijakh-venediktovoj-i-bakanova-video.html, https://strana.news/news/399927-zaderzhanie-eks-hlavy-sbu-kryma-i-konflikt-s-ermakom-podopljoka-otstavki-bakanova.html et https://vesti.ua/strana/est-sereznye-voprosy-prezident-obyasnil-kadrovye-resheniya). Le lendemain, Zelensky licenciait 28 fonctionnaires du SBU (https://strana.news/news/400073-zelenskij-nameren-uvolit-28-sotrudnikov-sbu-video-18-ijulja.html). Le 20 juillet, Zelensky licenciait le directeur adjoint du SBU et les directeurs régionaux du SBU à Kharkiv, Sumy et Poltava. La gravité de cette crise ne peut être exagérée. Bakanov et Zelensky sont des amis d’enfance dans la ville de Kryvyi Rih. Bakanov a ensuite dirigé la société de divertissement de Zelensky ainsi que sa campagne présidentielle en 2019. Puis Zelensky a nommé Bakanov à la tête du SBU en 2019. Il se peut qu’au moins une partie de ces licenciements soit le résultat d’une opération de renseignement ratée visant à convaincre plusieurs pilotes russes de faire défection avec des avions de guerre, pour laquelle sept militaires russes ont été arrêtés, comme annoncé le 25 juillet. Les rapports russes affirment qu’au cours des discussions entre les agents des services de renseignement ukrainiens et les pilotes russes, apparemment surveillées par les services de renseignement russes, l’emplacement, la structure et d’autres détails du système de défense aérienne de l’Ukraine ont été révélés à la Russie. Mais la plupart d’entre eux sont le résultat des défections vers la Russie que Zelensky a notées ; une chose qui serait difficilement choisie comme alibi pour couvrir l’opération ratée ou autre chose, car elle discrédite grandement son administration si ce n’est le régime de Maidan lui-même.
Les acteurs étrangers, notamment les États-Unis, peuvent compliquer la partie d’échecs polarisée à plusieurs niveaux que la politique ukrainienne est en train de devenir dans le feu de cette guerre. Le 8 juillet, moins de trois semaines avant les licenciements du SBU, Victoria Spartz, membre ukrainienne du Congrès américain, a demandé à l’administration Biden “d’informer le Congrès sur les procédures de diligence raisonnable et de surveillance appliquées au chef de cabinet du président Zelensky, Andriy Yermak, lors de la réunion de surveillance classifiée du Congrès prévue le 12 juillet 2022. Sur la base de divers renseignements et actions de M. Yermak en Ukraine, le Congrès doit obtenir ces informations de toute urgence.” Spartz a souligné que l’activité de Yermak “suscite de nombreuses inquiétudes chez diverses personnes aux États-Unis et dans le monde“, bien que Yermak soit “hautement considéré” par le conseiller à la sécurité nationale de Biden, Jake Sullivan. La référence de Spartz à de supposées actions de “renseignement” ayant été menées par Yermak suggère que le chef de cabinet de Zelensky peut être soupçonné d’avoir bâclé ou directement sapé la sécurité, notamment autour de l’opération visant à coopter des pilotes de l’armée de l’air russe ainsi que leurs avions (https://spartz.house.gov/sites/evo-subsites/spartz.house.gov/files/evo-media-document/Spartz%20Letter%20to%20Biden_Yermak%20_red.pdf). Rappelons que des accusations similaires ont été portées à l’encontre de Yermak lorsque les efforts des services de renseignement ukrainiens pour capturer des combattants russes se dirigeant vers la Syrie ont échoué en 2021 et qu’ils ont été “détenus” au Belarus après que Zelensky a annulé l’opération et que Yermak a informé les autorités bélarussiennes de la présence de mercenaires russes dans leur pays (https://uawire.org/ukrainian-journalist-accuses-zelensky-s-administration-head-of-derailing-special-operation-to-detain-wagner-mercenaries).
Outre les tensions entre civils et militaires, les graves conséquences politiques de l’interdiction de la politique à plus de dix partis politiques et, vraisemblablement, à tous les puissants oligarques ukrainiens, Zelensky s’est créé une nouvelle cohorte d’ennemis lorsqu’il a annoncé des plans à mettre en œuvre cette année pour réduire de deux tiers la bureaucratie de l’État ukrainien. Des centaines de milliers de fonctionnaires aigris, ayant une connaissance approfondie de l’organisation, du fonctionnement et du financement de l’État, se retrouveront ainsi au chômage et à la rue, à la recherche d’un emploi dans un pays déchiré par la guerre, où la législation sur la mobilisation exige que tous les citoyens masculins valides servent dans les forces armées. Ces parias garderont des contacts avec leurs anciens collègues de la bureaucratie et pourront mener des intrigues pour saper Zelensky, ses politiques et le régime lui-même.
Bien qu’il soit peut-être tôt pour conclure à un niveau élevé de tensions entre civils et militaires, on ne peut pas en dire autant de la lutte politique entre Zelensky et l’ancien président Porochenko, ainsi que d’autres oligarques. Porochenko pourrait être un adversaire particulièrement dangereux. Il entretenait de bonnes relations avec Biden lorsque ce dernier était vice-président des États-Unis et qu’il dirigeait la politique ukrainienne d’Obama, et il se retrouve acculé après avoir été inculpé et contraint de fuir à l’étranger. Ses partisans restent dans le pays, et le faible soutien de Zelensky et la purge du paysage politique ont créé une pléthore d’ennemis que Porochenko peut convaincre ou acheter. Un conflit exacerbé entre Zelensky et Porochenko pourrait attirer le général Zalyuzhniy. Il a des contacts fréquents avec Washington et Bruxelles, qui pourraient un jour se lasser de Zelensky à mesure que la guerre s’éternise. Tout cela deviendra une dynamique probablement explosive si la situation au front continue de se détériorer pour l’Ukraine. Si l’on ajoute à cela le facteur pro-russe (au sens large du terme, qui englobe le sentiment linguistique pro-russe, les revendications ethniques russes quant au droit de vivre en Ukraine et de la façonner, ainsi que le sentiment pro-russe), revigoré par l’arrestation du leader du Bloc d’opposition pro-russe Medvedchuk, le risque est réel de voir se répéter l’effondrement du pays en factions belligérantes à la suite d’un coup d’État ou d’une révolution, comme ce fut le cas après 1917 (https://strana.news/articles/analysis/392270-pokazanija-medvedchuka-na-poroshenko-naskolko-verojaten-arest-pjatoho-prezidenta.html). Dans ce cas, les régions pourraient passer sous le contrôle de seigneurs de guerre modernes représentant ces diverses tendances, soutenus par des oligarques et diverses parties extérieures intéressées.
Ajoutez à cela le jeu distinct des néofascistes sur la révolution nationale et leur colère face à la mort et à la capture du noyau du bataillon néofasciste Azov et aux pertes continues sur le champ de bataille en général. Arestovich faisait allusion, consciemment ou inconsciemment, à cette menace révolutionnaire néofasciste, lorsqu’il notait, en mai dernier, le “récit pas si intelligent : ‘des héros sur le champ de bataille contre des traîtres au bureau (du président) et des gras et gros généraux dans les états-majors’” (https://strana.news/articles/390297-ukrainskaja-oppozitsija-obvinjaet-ofis-prezidenta-v-dopushchenii-okkupatsii-territorij-ukrainy.html).
En outre, le PIB de l’Ukraine va se contracter de près de 50 % cette année et un quart des entreprises ukrainiennes ont fermé leurs portes, la Russie s’étant emparée du charbon, des terres agricoles et des ports maritimes du pays, qui représentent quelque 60 % de l’économie ukrainienne. La crise énergétique en Europe et en Amérique fait couler beaucoup d’encre alors que l’été tourne à l’automne et que les températures commencent à baisser. On s’est moins intéressé aux conséquences des déficits énergétiques en Ukraine même. Ce pays déchiré par la guerre sera certainement privé du gaz, du pétrole et du charbon russes, et son propre charbon dans le Donbass est sous contrôle russe. Son secteur de l’énergie est au bord du défaut de paiement, les clients privés et commerciaux ne disposant plus de l’argent nécessaire pour régler leurs factures. Une nation gelée et affamée qui perd une guerre sera encline à blâmer Zelensky et le régime “démocratique” du Maidan et à suivre des dirigeants peu recommandables. Ils seront sensibles aux démagogues, et les trop nombreux néofascistes ukrainiens pourraient faire l’affaire. Ces derniers sont aujourd’hui encore mieux armés qu’avant la guerre et sont loués dans leur pays et en Occident comme des héros ayant défendu Azovstal, Mariupol, Kiev et Kharkiv. L’Armée des volontaires ukrainiens du Secteur droit néofasciste ukrainien (la première commandée et la seconde fondée par le conseiller de Zalyuzhniy, Dmitro Yarosh), le Corps national (dirigé par le fondateur d’Azov, le néofasciste Andriy Biletskiy) et d’autres groupes ultranationalistes et néofascistes continuent de se sacrifier au front, contrairement à ceux qui sirotent un café à Kiev et font des séances de photos dans des magazines féminins occidentaux sur papier glacé, comme viennent de le faire les Zelensky.
En conclusion, il existe des preuves significatives que la guerre russo-ukrainienne est en train de déstabiliser le régime hybride républicain-oligarchique-ultranationaliste de Maidan ; un régime déchiré par un factionnalisme politique, idéologique et oligarchique depuis le début. Sous le sommet du régime quasi-républicain du Maïdan, dirigé par un homme à peine populaire, se cachent les forces maléfiques de la corruption et de la criminalité oligarchiques, du nationalisme radical et du néofascisme. La guerre a temporairement masqué les divisions internes des groupes dirigeants, les unissant malgré leurs intérêts, objectifs et conflits multiples. Toutefois, avec le temps, la guerre et la lente déroute de l’armée ukrainienne auront raison de la mince couche de plâtre qui unit ces groupes dans leur lutte contre les Russes. En même temps, la corruption, la criminalité et la multi-nationalité en Ukraine rendent le régime de Maidan susceptible d’être facilement infiltré par l’État russe. En outre, la guerre et l’engagement limité de l’élite ukrainienne en faveur d’un gouvernement réellement républicain exacerbent l’environnement conflictuel et la culture politique violente du pays. Composée de clans oligarchiques et ultranationalistes concurrents et de plus en plus violents, la culture ukrainienne sera de plus en plus susceptible d’engendrer une violence intra-nationale croissante et des bouleversements politiques. Cette tendance s’intensifiera avec une vigueur particulière quand la guerre sera clairement perdue et que l’Occident commencera à abandonner la cause ukrainienne ou à tenter désespérément de la sauver par une intervention politique décisive telle qu’un coup d’État. De nombreux scénarios de coup d’État ou de révolution font désormais partie du tableau, et il convient d’en prévoir les conséquences.
Gordon M. Hahn
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone