Pepe Escobar – Le 25 septembre 2015 – Source AsiaTimes
Le pape François est peut-être la star du rock, mais encore une fois, le véritable cœur de l’action se situe en Russie et en Chine – les menaces principales, selon le Pentagone, à l’endroit de l‘Exceptionalistan
Où est Benjamin [Netanyaou?, NdT], l’Ange de l’Histoire quand on a besoin de lui? Son regard est certainement aujourd’hui axé sur la patrie des braves [la Russie?, NdT]. François a peut-être renversé la baraque à Washington DC, mais c’est Xi Jinping qui l’a vraiment secouée sur la côte Ouest [dans la Silicon Valley], tandis que Poutine se prépare à être couronné nouveau roi de New York. Qui aurait imaginé que le Nouveau Grand Jeu en Eurasie pouvait être aussi amusant?
Frank Underwood, ça vous dit quelque chose? 1
Avant même que Poutine ne parle du nouvel ordre mondial géopolitique à l’ONU, le chinois Xi Jinping parlait avec le Big Business de la Silicon Valley, disons l’ensemble de l’élite de la Silicon Valley. Tout est dans la photo, délicieusement déconstruite par le South China Morning Post.
C’est là que ça se passe – beaucoup plus que dans ce dont Xi peut avoir discuté avec Obama ; la piraterie dans le cyberespace, l’espionnage, de nouvelles lois japonaises sur la défense, l’environnement. La Chine a besoin du top de la technologie des communications pour mettre en mode turbo non seulement le marché intérieur mais aussi les nœuds clés des Nouvelles Routes de la Soie.
Même Facebook a été autorisé à se plier devant l’Empereur rouge. Mark Zuckerberg, en cravate rouge, a parlé à Xi en mandarin pendant moins d’une minute, sur le campus de Microsoft. Côte à côte on voyait rien de moins que le sourire de Lu Wei – qui contrôle le Grand Firewall chinois, qui bloque, entre autres, Facebook. Comme un inestimable à côté, voici Lu Weil, un averti de l’Internet, appelant tout le monde à «naviguer dans le futur avec un bénéfice mutuel gagnant-gagnant».
Personne n’a bougé un cil quand Xi Jinping a acheté trois-cent Boeings pour le déjeuner, mais le coup d’éclat a été le dévoilement de son jeu en Californie : House of Cards.
Se référant à la répression massive de Pékin contre la corruption, il a dit: «Nous avons puni les tigres et les mouches … Cela n’a rien à voir avec les luttes de pouvoir. Dans ce cas, ce n’est pas House of Cards .»
Tous les observateurs de la Chine, non biaisés, interprètent la campagne anti-corruption comme étant essentiellement un nettoyage du Parti communiste chinois (PCC) de sorte qu’il peut continuer à gouverner éternellement. C’est le parti, stupide! 2 Alors, évidemment, il y a une composante va y avoir du grabuge, parce que la résistance de puissants groupes d’intérêts est immense.
L’irruption de House of Cards était prévisible. Bien plus qu’un clin d’œil à Netflix, ce fut à propos de la Chine. Selon GlobalWebIndex, pas moins de 200 millions de Chinois ont utilisé des VPN [réseaux virtuels privés] pour se rendre sur la chaîne de TV Netflix et regarder la saison 3 de House of Cards en streaming vidéo.
Des millions parmi ceux-ci appartiennent à la classe moyenne aisée résidant à Beijing et comprenant un grand nombre de poids lourds du parti – comme le chef de la commission anti-corruption, Wang Qishan, un grand fan de Frank Underwood. Découvrez cet article inestimable de Global Times montrant comment House of Cards s’inspire largement de Sun Tzu et de son Art de la guerre.
En plus de cela, la saison 2 de House of Cards était déjà intensément chinoise, avec la cyberguerre, la mer de Chine du Sud et la manipulation des devises. Les téléspectateurs chinois avertis ont inévitablement comparé les combats entre factions à Washington avec la campagne anti-corruption de Pékin, qui, jusqu’ici, a purgé 80 000 fonctionnaires, au moins 90 hommes politiques de haut calibre et 30 généraux de l’APL [Armée populaire de libération]. Le quotidien chinois China Daily n’a pas mesuré ses mots – indiquant que House of Cards représente un miroir de ces fonctionnaires chinois.
Xi savait exactement qui était son auditoire quand il a invoqué le soft power [la puissance molle] des US – très populaire en Chine – pour envoyer un message. Et il savait aussi que, même lorsque le système américain est éviscéré à un point critique – comme dans House of Cards – le quotient de fascination du soft power américain reste imbattable. Si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les. Pourquoi ne pas instrumentaliser House of Cards lorsque Pékin déploie sa propre version de L’Art de la guerre?
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Et maintenant, en direct de New York, voici Vladimir le Grand.
La semaine dernière, dans Asia Times, nous avons vu comment, s’il y a une solution à la tragédie syrienne, ce sera la faute de Poutine. En ne réagissant pas à cette crise, l’administration Obama s’est embourbée dans son égarement proverbial – ou sa perplexité.
Enfin, la Maison Blanche a été contrainte d’annoncer que la pièce de monnaie est finalement tombée sur face, Poutine, et qu’il va donc lui parler en marge de l’Assemblée générale de l’ONU.
Juste au bon moment, un conseiller principal de Bachar al-Assad a commencé à faire courir la rumeur que les États-Unis et la Russie avaient conclu un accord tacite pour mettre fin à la pagaille en Syrie.
Récapitulation rapide. Poutine a commencé la partie en refusant la mise «Assad doit partir» comme condition préalable à des négociations de paix. Puis il a, vite fait bien fait, débarqué l’équipement militaire à Lattaquié ; proverbialement, une fois de plus, ni le Pentagone, ni la Maison Blanche n’ont rien vu venir.
Voilà donc ce que Poutine a accompli, avant même qu’Obama ait vu la lumière, et a décidé de dire :
1) Oubliez la guerre de l’Otan en Libye-remixé sur la Syrie.
2) Oubliez la no-fly zone du Sultan Erdogan axée sur les zones contrôlées par Damas.
3) On en a terminé avec l’ancien ordre mondial. Voilà comment le nouvel ordre émergent devrait fonctionner, et la Russie fera partie de l’attelage.
Le discours de Poutine lundi à l’Assemblée générale de l’ONU concernera «la lutte commune contre le terrorisme» (comme l’indique l’agence de presse TASS). Il faut attendre l’apoplexie, beaucoup plus que la perplexité, sur l’axe Washington / New York.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dimanche dernier à la télévision russe, a déjà clarifié les thèmes au cœur du discours ; l’ordre mondial unipolaire, et la nécessité absolue de la «lutte commune contre le terrorisme», qui «doit être menée sans double jeu».
Lavrov a été très précis en se référant à «des mesures coercitives unilatérales» – et pas seulement dans la mesure où la Russie est concernée. Selon ses propres mots:
«De nos jours, vous le savez, nos partenaires occidentaux, peut-être principalement sous l’influence de la mentalité américaine, perdent en général de vue la culture du dialogue et des solutions diplomatiques. Le programme nucléaire iranien était une exception lumineuse – et même très lumineuse. Dans la plupart des autres cas – dans les conflits qui continuent à flamber dans le Moyen-Orient, en Afrique du Nord – ils essaient de recourir à des mesures d’intervention militaire, comme ce fut le cas en Irak et en Libye, en violation des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, ou de mettre en place des sanctions.»
Attendez Poutine pour parler de tout cela en détail. Mais le clou du spectacle sera, de façon prévisible, sur la Syrie. Toujours selon les mots de Lavrov :
«Nous avons déclaré que nous aiderons les dirigeants syriens, comme nous aidons les dirigeants irakiens, ou les dirigeants d’autres pays qui sont confrontés à la menace du terrorisme. Et notre coopération militaro-technique poursuit exactement ces objectifs. Bien sûr, les fournitures d’armes [par la Russie], sont en cours, et vont continuer. Leur fourniture est inévitablement accompagnée par nos spécialistes qui aident à mettre en place les équipements et contribuent à former les militaires syriens pour gérer ces armes et il n’y a absolument pas de mystères ni de secrets dans tout cela.»
Et oui, Poutine va demander aux suspects habituels – de la Turquie au gang des pétrodollars du GCC [monarchies du golfe] -–d’aider Assad «sans endoctrinement ni double jeu» dans sa lutte contre ISIS / ISIL / Daesh. Et il va montrer comment la crise des réfugiés n’a pas été créée par Assad, mais par le faux califat. En ce qui concerne ces réfugiés de la faillite de la politique Sykes-Picot 3 au Moyen-Orient, c’est donc à l’UE de traiter le problème. Selon Lavrov:
«La Russie a rempli toutes ses obligations en vertu des conventions internationales. Tous ceux qui tombent dans la catégorie des réfugiés, nous les protègerons et les accueillerons dans la Fédération de Russie, allant parfois même au-delà des critères qui sont appliqués. Je me réfère aux réfugiés en provenance de l’Ukraine, il y en a environ un million en Russie. Nous sympathisons avec nos voisins européens en ce qui concerne le problème auquel ils sont confrontés, et je pense qu’ils vont le résoudre eux-mêmes.»
Last but not least, Poutine annoncera clairement que la Russie ne se laissera plus jamais tromper en signant des documents douteux tels que la Résolution 1973 de l’ONU en 2011, qui légitimait le droit d’ingérence pour protéger les populations, via la légendaire zone de non-survol en Libye, avec le corollaire des bombardements de l’Otan qui ont transformé le pays en un bourbier sanglant commandé par des milices. Pas étonnant que la groupie cinglée du droit d’ingérence, Samantha Power, veuille bouter la Russie hors du Conseil de sécurité. Qui a besoin d’un Khrouchtchev tapant sur son bureau avec sa chaussure? Ce Lundi Noir (apoplexique) sera certainement une émeute.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone
- Protagoniste de la version américaine de House of Cards ↩
- Réference à un slogan de Clinton dans une de ses campagnes électorales It’s the economy, stupid ↩
- Accord secret entre la France et la Grande-Bretagne, avec l’accord de la Russie, signé en 1916, concernant le partage des zones d’influence au Moyen-Orient au détriment de l’empire ottoman vaincu ↩