Par katehon – Le 5 mars 2019 – Source katehon
Le gouvernement italien a décidé d’ouvrir ses ports aux investisseurs chinois, ce qui promet un accroissement du volume de fret et des bénéfices considérables. Selon le New York Times, on s’attend à ce que le memorandum d’accord soit signé pendant la visite du Président de la RPC Xi Jin Ping à la fin du mois de mars.
D’après le député Ministre du développement économique Michel Geraci, il y a un haut degré de probabilité pour qu’un tel document soit signé, ce qui provoque l’inquiétude des États-Unis. Rome fait fausse route : « une telle décision endommagerait durablement la réputation [de l’Italie] » a dit le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, Garrett Marquis.
Si cet accord était signé, l’Italie serait le premier pays du G7 à être un partenaire actif dans le projet de Pékin consistant à créer des plates-formes de fret partout dans le monde, afin de stimuler sa propre croissance économique dans le cadre du méga-projet des Nouvelles routes de la soie.
Ce contrat avec les Italiens est d’une grande importance pour les Chinois.
En effet, la position de l’Italie est unique en Europe, en raison du nombre de ses ports. Le pays fait partie des trois pays les plus importants dans le commerce maritime. On peut supposer que les containers partis de Chine arriveront à Trieste, Venise, Ravenne et que de là ils seront disséminés sur l’ensemble des marchés européens. C’est une partie d’importance stratégique dans la Nouvelle route de la soie, qui permettra d’échanger rapidement et à peu de frais des marchandises avec l’Union européenne.
La maîtrise du fret est cruciale dans la mise en œuvre des Nouvelles routes de la soie. Cependant, tous les ports ne conviennent pas à la Chine, qui a besoin de ports pouvant accueillir des navires de fort tonnage. Or la plupart des ports européens ne sont pas en mesure d’accueillir les énormes navires chinois.
Dans les années 80, en vue d’améliorer la rentabilité du transport maritime, la Chine a en fait changé les règles du jeu de ce marché. En conséquence, la jauge des porte-containers a considérablement augmenté. La classe 4, tonnage le plus élevé, était fixée à 4.000 EVP (= équivalent vingt pieds, unité de mesure des containers), puis il fallut ajouter de nouvelles classes pour atteindre la jauge de 20.000 EVP.
Comme de tels navires ne pouvaient simplement pas les franchir, il fallut également refaire le gabarit des canaux. En conséquence, la Chine investit énormément dans la refonte des canaux de Panama et de Suez, ce dernier débouchant directement dans la Méditerranée. Cependant, les porte-containers chinois construits depuis lors n’ont d’autre choix que de dépasser l’Espagne et la France pour se rendre à Rotterdam ou Hambourg. Ce sont les seuls ports capables de recevoir les navires chinois à grand tonnage. C’est là qu’ils déchargent, puis les marchandises sont transportées vers d’autres ports dans des bateaux plus petits ou par voie de terre.
Sans surprise, les principaux partenaires de la Chine sont les Pays-Bas et l’Allemagne. La contrainte de décharger à Rotterdam ou Hambourg entraîne un échelon de transport supplémentaire, ce qui augmente les coûts de distribution. Or les Chinois veulent investir dans les ports italiens de manière à ce qu’ils puissent accueillir les énormes charges de fret de leur navires. La conséquence sera de réduire les temps de livraison et les coûts logistiques, et aussi d’accroître les quantités exportées vers les pays européens.
Quels investissements la Chine offre-t-elle dans ces ports ? D’abord, l’approfondissement de l’accès. Ensuite, l’amélioration des capacités de mouillage. Troisièmement, l’amélioration des capacités de transbordement (grues, barges etc.).
La Chine a raison d’investir dans l’approfondissement des ports italiens. Cependant, le retour sur investissement de tels projets prendra du temps, aussi les Chinois exigeront des garanties, quels que soient les changements de gouvernements, entre autres variables.
Comment procèdent habituellement les Chinois ? Ils créent immédiatement leur propre structure juridique de circonstance ou une société commune dans laquelle ils prennent le contrôle. Une compagnie chinoise joue ainsi le rôle de gestionnaire dans le cas du canal de Panama.
Il se trouve que la Chine a récemment acquis le port du Pirée. En 2017, la compagnie publique COSCO y a pris une participation majoritaire à hauteur de 350 millions d’euros. Or ce port pose déjà des problèmes à Rotterdam et Hambourg, étant donné qu’il a capté une partie du fret provenant de Chine ou d’autres pays d’Asie.
De nombreux pays proposent eux-mêmes de tels accords. Par exemple, la Lettonie et la Lituanie ont fait à la Chine la même proposition que l’Italie. Mais l’accord n’a pas abouti, puisqu’il n’était sans doute pas profitable à la Chine.
Les États-Unis, évidemment, vont exercer des pressions de toutes sortes sur l’Italie pour qu’elle ferme la porte à Pékin.
Si la Chine arrive à mettre la main sur les ports italiens, les ports de la Méditerranée, particulièrement italiens et grecs, seront sous le contrôle de Pékin. Les États-Unis s’inquiètent donc parce que les Chinois pourront basculer une partie de leur flux commerciaux vers l’Europe. Ils deviendront ainsi moins dépendants de leurs exportations vers les États-Unis. Il semble que la diversification des exportations constitue une partie de la stratégie chinoise depuis le début de leur guerre commerciale avec les USA.
Ajoutons que l’Italie sera probablement critiquée par de nombreux autres pays européens pour ses choix. En effet, l’Europe s’effraie elle aussi d’un développement de l’influence chinoise – il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Le président français a explicitement dit à Trump : « Coopérons, car nous avons un problème commun : la Chine. »
D’un autre côté, l’Union européenne ne peut pas refuser les flux d’investissements chinois. Les plus grands pays (Italie, France, Allemagne) les acceptent avec joie. Une coopération croissante avec la Chine, tout en essayant de contenir son expansion : c’est une contradiction qui restera vive dans les prochaines années.
De nombreux pays européens ne se contentent pas d’être effrayés par la Chine, ils commencent à analyser de près les investissements chinois de manière à savoir de quelle manière ces investissements peuvent constituer une menace pour leurs économies respectives. Néanmoins, l’Europe a un besoin urgent d’investissements. On assiste donc à une confrontation entre les analystes et les tenants des sciences politiques.
En fait, si les plus grands pays européens ne dédaignent pas de prendre l’argent des Chinois, pourquoi des pays plus pauvres et qui connaissent des problèmes graves, comme la Grèce et l’Italie, ne le pourraient-ils pas ?
L’Italie, comme tout pays en difficulté, a besoin d’investissements. Plus que cela : elle en a un besoin vital.
Ces dernières années, le pays a en effet traversé une récession économique sévère. Le chômage s’amplifie, et on a peine à croire que les jeunes quittent leur pays, que le taux de natalité diminue. Le niveau d’emploi est encore plus bas que celui de la Grèce. C’est pourquoi les nouveaux emplois et la croissance économique sont si importants et urgents, et c’est tout à fait ce que promet un développement de la coopération avec la Chine.
Traduit par Michel pour le Saker Francophone
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