Pour en finir avec la rapine, la culture de la déférence et le sourire bestial de la guerre


Par Paul Matthews – Le 18 avril 2015

Il est vain d'être anti-fasciste tout en tentant de préserver le capitalisme. Le fascisme, après tout, n'est qu'un développement du capitalisme, la démocratie la plus douce, soi-disant, est susceptible de se transformer en fascisme.

George Orwell. 

Nos chefs d'entreprises ne freineront pas leur appétit pour les bénéfices de leur propre gré. La misère humaine et l'agression létale contre l'écosystème sont bonnes pour les affaires [...] C'est le capitalisme, pas le gouvernement, qui est le problème. La fusion du pouvoir des entreprises et de l'État signifie que le gouvernement est fichu. Il n'est plus qu'un racket de protection pour Wall Street. Notre devoir est de reconquérir le gouvernement afin de nous le restituer.  Cela viendra seulement par la construction des mouvements de masse... 

Chris Hedges. L'ère post-constitutionnelle

Le génie scientifique en mauvaise posture: Monsanto et consorts en débandade

«Le glyphosate à l’état pur a une faible toxicité pour les poissons et la faune, mais certains produits contenant du glyphosate peuvent être toxiques à cause d’autres ingrédients qu’ils contiennent. Le glyphosate peut affecter les poissons et la faune indirectement parce que tuer les plantes modifie l’habitat des animaux. […] Les études animales n’ont pas mis en évidence que l’exposition au glyphosate est liée au cancer. Des études avec des personnes ont également montré peu de preuves que l’exposition à des produits à base de glyphosate est liée au cancer». National Pesticide Information Center http://npic.orst.edu/ingred/glyphosate.html.

Le glyphosate est la matière active du Roundup, l’herbicide dont la production est la plus importante en volume dans le monde depuis sa commercialisation en 1974 par Monsanto. Le National Pesticide Information Center (NPIC) est un partenariat qui opère sous l’égide double de l’Université d’État de l’Oregon et de l’Environmental Protection Agency des USA. Le texte sur cette substance est loin d’être atypique de multiples sites officiels dans le monde et qui sont censés fournir des informations objectives et à vocation scientifique sur les pesticides.

Or ça fait longtemps que la messe est dite de façon aussi malhonnête sur les produits mortifères de l’entreprise agrochimique américaine, théoriquement spécialisée dans les biotechnologies agricoles. La réalité est qu’elle s’est fait peau neuve en dépouillant des millions de paysans avec ses semences Roundup Ready. C’est à dire en brevetant les variétés de plantes modifiées génétiquement par transgenèse pour résister au glyphosate.

Si les OGM de Monsanto ainsi que les mauvaises herbes, dites plantes adventices – résistantes au Roundup – ont pu envahir une bonne partie de la planète en si peu de temps, c’est lié à la géopolitique homicide des États-Unis et à l’activité de ses ambassades. En plus, jusqu’ici cette organisation criminelle s’est bien débrouillée, d’une part pour passer à travers les mailles du filet du système d’évaluation et, d’autre part, pour échapper à la justice.

Le récit de son histoire en dents de scie montre le cursus d’un empoisonneur universel qui falsifie ses données, produit des études bidon, fabrique des alibis et maquille les dangers de ses PCB et dioxines, son agent orange et ses techniques de bricolage génétique dignes du labo de Victor Frankenstein. Comme nous le verrons, son autre grande spécialité est de mener ses offensives, par tierces personnes, du genre argumentum ad hominem – alias des calomnies – ciblant de préférence le caractère de ses adversaires et non le contenu de leurs discours.

Le protégé des gouvernements qui noyaute les instances de contrôle réglementaire pouvait se croire à l’abri de tout. Pas de bol. A deux reprises dernièrement on a jeté un pavé dans la mare de ce tueur en série industriel. Primo: le 20 mars 2015, l’agence du cancer de l’Organisation mondiale de la santé (IARC), a annoncé sa décision audacieuse de classer la molécule phare de Monsanto cancérogène probable. Ce qui risque de changer à terme la donne toxicologique et les règles du jeu. Secundo: si les chiens de garde de Monsanto s’évertuent à ce que le réveil citoyen ne soit pas pour demain, l’un de ses clebs a trop aboyé et de travers.

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Coqueluche des pollueurs planétaires, le Dr Patrick Moore est originaire d’une famille de bûcherons et pêcheurs en Colombie britannique. Il a plusieurs cordes à son arc depuis qu’il a obtenu son doctorat en écologie en 1972. Mais son renom et sa réputation – en tant qu’écologiste de pacotille et conférencier à la solde de quelques industries les plus dévastatrices de la terre nourricière – ont pris des dimensions inattendues tout récemment.

A tel point que ce grand défenseur de Monsanto a été désavoué par sa muse américaine. Que s’est-il passé?

Il s’agit des déclarations faites et enregistrées dans le cadre d’une enquête de six mois pour le documentaire Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force). Le titre fait référence au projet d’accord transatlantique (TAFTA/TTIP) négocié secrètement depuis juin 2013. Ce qui, selon l’eurodéputée français Corinne Lepage et bien d’autres observateurs, représente une tournure inédite dans une guerre de basse intensité américaine afin de remettre en cause le principe de précaution et d’imposer notamment les OGM – entre autres – en Europe.

Face au journaliste Paul Moreira, le Dr Patrick Moore a assuré que le dérivé chimique que contient l’herbicide Roundup ne présentait aucun danger pour l’être humain. Puis le commis-voyageur des OGM de poursuivre :

«Je ne crois pas que le glyphosate en Argentine provoque le cancer (de la rate). Vous pouvez en boire un grand verre et ça ne fait aucun mal.» Sur quoi le reporter de l’émission Spécial Investigation, relève le défi :

«Ah bon, vous en voulez? J’en ai là si vous en voulez», lui propose – mine de rien – Paul Moreira.

Pris au piège, le Dr Moore lui répond alors «oui», juste avant de se rétracter: «Bon, en fait, pas vraiment. Je ne suis pas un idiot», reconnait-il.
Acculé et couvert de ridicule, l’intéressé se dégonfle. Désarçonné donc, et furieux, il quitte sur le champ le plateau en traitant son interlocuteur de l’équivalent en anglais de connard.

Né près de Lisbonne en 1961, installé à Paris depuis 1963, Paul Moreira est fondateur de Premières Lignes, agence de presse et société de production audio-visuelle. Grand reporter, écrivain et documentariste, il a contribué à l’émergence du journalisme d’investigation à la télévision française. Or ses documentaires sont véhiculés dans la plupart des pays européens, en Australie, au Japon, au Canada et en Russie.

Diffusée par la chaîne de télé Canal +, l’émission Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force) est tournée en partie en Argentine où, dans la province du Chaco et les villages cernés des champs OGM, les enfants souffrent de malformations et où on connaît une augmentation dramatique des cancers. Il est question aussi de la mesquinerie de ces petits chantages suggérés par les représentants de commerce que sont les diplomates américains dans le monde – une pratique révélée par WikiLeaks et les câbles de l’ambassadeur américain à Paris, ulcéré par la résistance française face aux multinationales de l’apocalypse transgénique.

Si Monsanto se désolidarise publiquement du Dr Patrick Moore, le lobbyiste des grandes entreprises toxiques conserverait son rayon dans la promotion du très contesté riz doré vitaminé et modifié génétiquement. En janvier 2014 il faisait partie du panel d’invités de marque. L’événement à huis clos à Bruxelles organisé par EuropaBio – plateforme des marchands d’ADN – était censé expliquer aux consommateurs les avantages des OGM, mais en l’absence surtout du premier intéressé – le consommateur lambda! A côté du Dr Moore se trouvaient les hommes et les femmes du sérail biotechnologique, pourfendeurs des défenseurs du bien commun et de la santé publique, dans un milieu où les conflits d’intérêt sont légion. (Cf. Bibliographie infra).

Il y a une quinzaine d’années, le riz doré OGM a fait la couverture de Time Magazine (July 31, 2000, vol. 156 No 5) comme remède miracle qui allait sauver la vie d’un million enfants par an. Le projet a été lancé en 1985. Ce fait laisse songeur Jonathan Matthews, l’éditeur de GM Watch. Il se demande ironiquement, à juste titre, s’il ne s’agirait pas d’une espèce de vapourware ou fumiciel [serpent de mer, NdT], soit un logiciel annoncé depuis longtemps, dont la sortie est toujours retardée. Alors que pendant ce temps, aux Philippines – l’un des principaux pays ciblés par les prestataires de cette chimère – des baisses spectaculaires de carence en vitamine A ont été obtenues en utilisant des méthodes non-OGM déjà disponibles. Imaginez, dit-il, si tous les budgets en multi-millions de dollars et si toute l’énergie dispensée en relations publiques avaient pu être prodigués, non au riz doré, mais aux démarches simples, éprouvées et plus largement accessibles. Combien de vies d’enfants auraient pu être considérablement améliorées ou sauvées? Car, à l’encontre de ce que prétend le bon Dr Moore, les solutions du problème des carences sont plutôt sociales, économiques et politiques. La techno-science est un leurre dangereux finalement.

Défrayer la chronique comme malfaiteur est une affaire de professionnels, où les acteurs principaux sont autant les délinquants et auteurs de crimes les plus horribles que les journalistes et experts légistes censés rapporter honnêtement les faits. Réputé comme le plus prolifique meurtrier multirécidiviste de l’histoire anglaise, le Docteur Harold Frederick Shipman (1946-2004) était un médecin généraliste qui pourrait avoir tué au total plus de 400 personnes. Cependant, son tableau de chasse fait pâle figure face à l’œuvre de Monsanto.

Revenons sur ce qui pourrait devenir la boulette du siècle. Sans en avoir l’air, Patrick Moore a sonné le glas d’un vaste mensonge médiatique et marque une étape importante dans la démythification de la science comme culte. Surtout lorsqu’il affirme que le désherbant phare de cette entreprise funeste est sans danger comme boisson, puis se barre quand on lui offre un verre. S’agissant d’une tentative ratée comme opération d’intox, ce lobbyiste pro-OGM n’est-il pas lui-même la victime d’une bien plus grosse escroquerie qui ne dit jamais son nom?

Le Roundup est réputé être mille fois plus toxique que le glyphosate, alors qu’il est vendu dans toutes les jardineries, grandes surfaces et coopératives agricoles. De toute évidence, ce génie en PR n’a fait que répéter sur une antenne de télévision française l’essentiel de ce qu’est écrit sur tous les sites gouvernementaux pour cacher les effets délétères des industries biotechnologiques, agrochimiques et pharmaceutiques. Dont: Environmental Protection Agency, Washington; Pesticide Management Education Program Extonet; DEFRA UK; Direction générale de l’alimentation (DGAL) Paris; Food and Drug Administration (FDA), Maryland, USA; European Food Safety Authority (EFSA), Parme, Italie; European Medicines Agency (EMA), Londres; Food Standards Australia and New Zealand (FSANZ), Wellington et Canberra; Santé Canada, Ottowa; Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) Berlin. Ce dernier est le rapporteur EU pour le glyphosate (NdlR).

Les catastrophes sociales, économiques, sanitaires et environnementales provoquées par les OGM et pesticides sont parmi les pires de mémoire d’homme. De concert, des fabricants et gouvernements ont réagi pour se faire exonérer de ces crimes crapuleux. L’OMC est née pour faire disparaître les preuves. L’interface ou la frontière entre le secteur public et le privé devient tellement poreuse qu’elle est quasiment inexistante. Grâce aux vases communicants et à sa puissance énorme en termes de lobbying, une multinationale au nom familier opère secrètement, presque au cœur des ministères, sous le parapluie d’organisations intergouvernementales.

Bien entendu, il s’agit de fonctionner par personnes physiques et morales interposées. Mais le résultat est le même.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne sont deux cas d’espèce. Des tas d’autres pistes existent. Par exemple, au sein de l’European and Mediterranean Plant Protection Organisation (EPPO) se trouve une petite filiale utile: l’International Commission on Plant-Bee Relationships (ICP-BR), devenue l’International Commission for Plant-Pollinator Relationships (ICP-PR) en 2011. Bayer et Syngenta principalement, avec BASF, DuPont et Monsanto, ont noyauté son groupe de travail sur la protection des abeilles. Ce qui a permis à Bayer et Syngenta de jouer la montre pour retarder pendant des dizaines d’années la prise en compte de l’impact de leurs insecticides systémiques néonicotinoïdes.

En plus des fédérations professionnelles regroupant les firmes commercialisant pesticides et biotechnologie végétale, comme l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP, Paris), CropLife International et l’European Crop Protection Association (Bruxelles), il existe des ONG – supposés être à but non-lucratif – qui en réalité sont des groupes de pression sous faux nez défendant l’agriculture intensive et attaquant violemment ceux qui mettent en doute sa salubrité. De telles entités de façade travaillent au service des intérêts particuliers afin d’influencer les décideurs, quitte à maîtriser – de bout en bout – tout processus de décision et de contrôle.

A ce titre on remarque l’International Life Sciences Institute (ILSI), la Society of Environmental Toxicology and Chemistry (SETAC), l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) et ses homologues anglophones, Sense About Science et Science Media Centre. En effet, il s’agit des regroupements de personnes morales et physiques où le caractère désintéressé de leur activité est quelque peu trompeur. Pour les industriels mal famés, la tâche consiste à montrer patte blanche par le biais de ces officines de blanchiment intermédiaires, des think tanks et organismes scientifiques fantoches dont les publications chantent les louanges de la science et du progrès technique. Notons par exemple Agriculture et Environnement (A&E) – un site internet parisien et une lettre d’information mensuelle francophone qui prétend décrypter l’actualité agricole. Fondée et éditée par Amos Prospective – qui n’est pas une entreprise de presse, mais une société de conseil – la revue fait partie de l’Afja (Association française des journalistes agricoles), une structure qui a, pour membres associés. l’UIPP, Monsanto, BASF, Bayer etc., des coopératives agricoles et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et AFIS: soit des adversaires déclarés de l’agriculture biologique depuis des décennies.

Son rôle n’est pas anodin. Il est connu des scientifiques et journalistes dont le travail met en cause la sécurité des produits commercialisés par le secteur agrochimique et biotechnologique. Des journalistes comme Marie-Monique Robin, auteur du film documentaire Le Monde selon Monsanto, et Fabrice Nicolino, coauteur de Pesticides, révélations sur un scandale français, ont été tous les deux attaqués. Le chimiste Jean-Marc Bonmatin (CNRS) a poursuivi pour diffamation le responsable et rédacteur du site, Gil Rivière-Wekstein, et a obtenu gain de cause.

Le chercheur Gilles-Eric Séralini a aussi fait l’objet des attaques dans les billets de ce prosateur invétéré, amplement relayés par la presse écrite et par l’AFIS (Cf. supra). Le professeur en biologie moléculaire a mené avec son équipe du CRIIGEN une étude de toxicologie singulière de long terme – deux ans – sur un maïs OGM NK603 et l’herbicide Roundup de Monsanto. L’étude publiée en novembre 2012 – rétractée en janvier 2014, republiée en juin 2014 – est la plus détaillée et la plus chère en la matière, afin de pallier les graves manquements des connaissances sur les effets à long terme de ces produits. Ses conclusions en matière de santé publique feront le tour du monde et susciteront une vive polémique nourrie par une industrie menacée dans ses intérêts.

Si Gilles-Eric Séralini a personnellement été la le cible de ragots malavisés de la part de Gil Rivière-Wekstein, les agressions et commérages à son encontre sur le plan professionnel dépassent de loin celles subies par la plupart des lanceurs d’alerte dans ce domaine. Son expérience rappelle le vécu du biochimiste et spécialiste mondial des lectines, Árpád Pusztai et son équipe en 1998, et de l’écologiste microbien et mycologue, Ignacio Chapela et son étudiant diplômé David Quist en 2001. Avec leurs publications, ils se sont attiré les foudres de Monsanto et consorts. En effet, comme eux, le professeur des Universités à Caen, qui enseigne et enquête sur les effets des pesticides, de différents polluants et des OGM sur la santé, a eu maille à partir avec une véritable armée de critiques, échotiers, fabulateurs et pipelettes dans une campagne de dénigrement, manifestement orchestrée et animée par des individus dits sceptiques, mais point dubitatifs sur l’intérêt commercial des plantes pesticides,

Comme le fait remarquer en décembre 2012 Jonathan Matthews, dans l’un de ses ouvrages de référence sur le sujet, Smelling a corporate rat, le magazine américain d’affaires Forbes a été au premier plan des acteurs qui attisaient l’hostilité envers les travaux du CRIIGEN.

Dans les dix jours ayant suivi la parution de l’étude, il publiait pas moins de six articles distincts ciblant non seulement la recherche, mais aussi les chercheurs. Les deux premiers ont largement puisé leur matériel dans des citations du Science Media Centre et allaient dans leur sens. La chronique chez Forbes qui a attiré le plus d’attention, en particulier via les médias sociaux, a été celle qui a débuté avec un titre très provocateur et qui marquait au front du papier scientifique du mot fraude.

Participant au mouvement pour faire retirer  l’étude, les deux auteurs Henry Miller et Bruce Chassy avaient des liens avec l’organisation AgBioWorld du scientifique CS Prakash qui a joué un rôle clé dans l’assaut contre le papier d’Ignacio Chapela et David Quist du journal Nature en 2001. Dans l’offensive médiatique visiblement dirigée par les inconditionnels de Monsanto, un particulier se détache des autres dans la cohorte d’universitaires, instituts scientifiques, organismes de réglementation et journalistes enragés. Jon Entine, lui, est effectivement, le pitbull parmi les chiens d’attaque, puisqu’il a sans doute signé à ce jour le plus d’articles à ce propos.

Le personnage mérite qu’on s’y attarde. Ayant décroché une licence de philosophie et religion en 1974 – du collège privé de Trinity à Hartford, Connecticut –, pointu donc dans les arts libéraux, Jon Entine se présente comme un journaliste scientifique dont l’expertise se cantonnerait à la chimie et à la génétique industrielles.

Féroce adversaire du principe de précaution, habitué des pages du Forbes Magazine, il est directeur fondateur du Genetic Literacy Project (GLS). Affilié à Sense About Science-United States, il prêche la bonne parole aux jeunes esprits impressionnables concernant les atouts scientifiques du génie génétique médical et agricole.

Partageant un bon nombre de ses donateurs avec le Science Media Centre, l’ensemble anglo-américain est parrainé par Lord Sainsbury et George Soros, via les Gatsby et Open Society Foundations, Coca-Cola, ainsi que par le gratin du monde des universitaire au service de la médecine et de l’agriculture industrielle.

Jon Entine dirige une boîte de conseil ESG MediaMetrics. Pour quelqu’un dans la mouvance idéologique que représentent les apôtres des OGM, dont 99% ne sont que des éponges à pesticides, il n’a pas froid aux yeux quand il convient de nier ses accointances professionnelles. En 2012 dans un article pour Mother Jones – le magazine fondé en 1976 par une association américaine sans but lucratif – le journaliste indépendant Tom Philpott a dressé un portrait peu flatteur de l’homme, intitulé The Making of an Agribusiness Apologist. Il a repéré, sur le site internet d’ESG MediaMetrics, une liste des clients choisis, dont le fonds d’investissement américain KKR, The Carlyle Group, The Alliance of Merger and Acquisition Advisors, The Bill and Melinda Gates Foundation, P&G, American Greetings, Monsanto, DHL/Deutsche Post and Nicor. Bizarrement des noms aussi prestigieux que Monsanto, P&G et The Carlyle Group ont disparu depuis. Face à cette vitrine squelettique, l’internaute est donc conseillé de se renseigner auprès de la direction d’ESG MediaMetrics à Cincinatti, pour plus de détails.

Cependant Jon Entine aurait avoué en 2002 à Tom Philpott avoir réalisé un projet de recherche pour le compte d’un certain Jay Byrne, président de v-Fluence Interactive Public Relation Inc, une société de communication et de médias sociaux formée par d’anciens cadres de Monsanto. S’agissant de l’ex-directeur de la stratégie commerciale et mercatique sur l’internet dans l’entreprise agrochimique de Saint Louis, il aurait dirigé l’infâme opération de viral marketing lancée pour décrédibiliser le travail scientifique d’Ignacio Chapela et David Quist en 2001.

Ayant obtenu en 2003 le statut de professeur invité à l’American Enterprise Institute (AEI), Jon Entine participe avec Jay Byrne aux colloques d’un institut proche du grand patronat américain, qui a épousé la doctrine du choc des civilisations dès 1992, après la conférence clé du politologue Samuel Huntington. Ce laboratoire d’idées est tombé aussitôt sous la coupe des faucons du Project for the New American Century (PNAC) et de son successeur la Foreign Policy Initiative (FPI). Pépinière des laudateurs de l’hégémonie atlantiste et terre de prédilection des néoconservateurs pro-israéliens – républicains et démocrates confondus –, l’établissement est devenu un haut lieu de l’enseignement, autant islamophobe que russophobe, et une entreprise familiale de guerre perpétuelle.

Derrière la respectable façade, dans ce milieu feutré où se côtoient les artisans d’une politique étrangère qui catapulte ses troupes dans des conflits sans stratégie de sortie, la fièvre belliqueuse à l’américaine a ses propres symptômes ou caractéristiques sémiologiques, ses facteurs de risques et ses causes (étiologie). Il y a même des noms que l’on pourrait citer – entre adultes – dans leur cadre domestique: feu Samuel P. Huntington, Dick et Lynne Cheney, Frederick et Kimberly Kagan, Ayaan Hirsi Ali et son époux Niall Ferguson, Paul Kagan et son épouse Fuck the EU Victoria Nuland, John et Gretchen Bolton, Paul Wolfowitz, Richard et Leslie Perle, Irving et William Kristol, Donald Frum – qui écrit les discours de GW Bush, la feue Jeane Kirkpatrick, Reuel Marc Gerecht, ex-spécialiste du Moyen Orient à la CIA, autrefois directeur de l’initiative PNAC au Moyen Orient [effectivement, que du beau monde, NdT].

En même temps, ces chefs de file et leurs pistoleros sont aussi des figures de proue. Car, tant qu’il ne chavire pas, le navire de l’État est véritablement piloté par les montages juridiques diaboliques de ces apprentis-sorciers comme Monsanto – entre autres – faisant des affaires dans des régions déchirées par la guerre – la Colombie, l’Irak et l’Ukraine –, dont les sols sont tapissés et ensanglantés par des millions de morts civils et militaires.

Féru des crises et controverses environnementales et sanitaires, en tant qu’expert scientifique, Jon Entine ne fait pas publier des études chez les éditeurs scientifiques. C’est-à dire dans des maisons d’édition universitaire liées aux établissements d’enseignement supérieur, ou des sociétés privées spécialisées. Ses articles ou interventions, comme chroniqueur, se trouvent chez Forbes.com, Fox Business News, The Huffington Post, The Washington Post, Brandweek, Ethical Corporation, Jewish Life TV, Winsconsin Public Radio, National Public Radio (NPR) et ABC/Discovery Channel. Quant à la publication de la plupart de ses livres, deux consortiums ou groupes de pression industriels s’en chargent: l’American Council on Science and Health (ACSH) et l’American Enterprise Institute (AEI). Ce sont des organismes exonérés d’impôts bénéficiant du statut fiscal non lucratif 501(c)(3).

Prédicateur d’une science basée sur la foi, c’est-à-dire le culte de l’argent, plutôt que sur les faits observés, Jon Entine dans ces écrits reflète la mentalité d’une secte, un ensemble d’individus partageant une même règle de conduite, une même doctrine philosophique, religieuse, etc., qui se sont détachés des valeurs de notre humanité commune. Il encense les affirmations des entreprises et vilipende les propos et les témoins qui s’y opposent.

L’expression Axe du mal vient de David Frum, chercheur résident AEI (2002-2010). Elle est employée pour la première fois par le président GW Bush le 29 janvier 2002 lors de son allocution sur l’état de l’Union. Ce slogan néo-conservateur sert à désigner les différents pays – en l’occurrence l’Irak, l’Iran, et la Corée du Nord – présentés par son administration comme souhaitant se procurer des armes de destruction massive (ADM) et soutenant le terrorisme. John R. Bolton est associé à l’AEI dès 1999 et y devient agrégé supérieur en 2006. En tant que sous-secrétaire d’État, il a prononcé, le 6 mai 2002, un discours intitulé Au-delà de l’Axe du Mal.

Il ajoute à cet axe trois autres nations à regrouper avec les États voyous déjà cités: Cuba, la Libye et la Syrie. Les critères d’inclusion dans ce groupe seront: États soutenant le terrorisme qui poursuivent ou qui ont le potentiel de se doter d’ADM ou avoir la capacité de le faire en violation de leurs obligations conventionnelles.

Postes avancés de la tyrannie était le titre du discours de Condoleeza Rice en janvier 2005, au début du second mandat présidentiel de GW Bush. La nouvelle secrétaire d’État inventoriait les six nations réputées, selon elle, les plus répressives. Dont deux membres de l’Axe, ainsi que Cuba, la Biélorussie, la Birmanie et le Zimbabwe.

Alors que ces apparatchiks de l’exceptionnalisme américain républicain dressent leurs listes noires et puériles pour mettre hors la loi des peuples entiers, le même processus enfantin d’ostracisme se déroule dans les médias grand public pour diaboliser les experts et citoyens qui osent dénoncer ou contredire les vrais dispensateurs du terrorisme et d’armes de destruction massive – Monsanto entre autres – qui, eux, auront les mains libres.

Mais la résistance s’affirme et gonfle ses effectifs avec des invités de marque.

Quand Hervé Kempf quitte le quotidien Le Monde en août 2013, il justifie son départ par le refus répété de la direction du journal de lui laisser réaliser des reportages à propos du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Projet oligarchique s’il en est, emblématique de la rupture entre le gouvernement et le peuple français. Auteur du livre Comment les riches détruisent la planète (2007), l’écrivain et journaliste remet sa main au feu dans un ouvrage intitulé L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie,(2011). Il met en exergue la concentration croissante du pouvoir décisionnel par une élite restreinte de dirigeants politiques, de grands chefs d’entreprises, d’acteurs financiers, de journalistes influents. Jon Entine et ses semblables prennent pour argent comptant les marottes d’un système intellectuel qui se désagrège sous nos yeux. Entre lanceurs d’alerte et élitistes purs et durs, chacun a choisi son camp.

Pugnace, Monsanto sort sa grosse artillerie et ses voltigeurs pour mener chaque contre offensive. Si Gilles-Eric Séralini et les siens ont pu sentir des balles et boulets sifflant autour de leurs oreilles, ils ne sont pas les seuls lanceurs d’alerte ayant éprouvé de tels désagréments, tout en s’efforçant de donner un coup d’arrêt aux actions illicites et irrégulières en signalant les risques et dangers provoqués par une activité commerciale mal maîtrisée.

Il existe un total de 143 000 substances chimiques identifiées, comme circulant sur le territoire de l’Union européenne par le projet REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals). Ce programme européen, qui concerne l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation de ces produits de synthèse, est un règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, adopté le 18 décembre 2006. Il est critiqué parce qu’il autorise des substances pour lesquelles les dangers sont avérés: cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR). Les écologistes en demandaient l’interdiction immédiate. Les industriels ont obtenu le droit de continuer à les utiliser s’ils démontrent qu’ils ne savent pas les remplacer, qu’ils gèrent le risque, et qu’ils étudient la conception de substituts. Pour Gérard Onesta, qui a suivi le dossier en tant que vice-président du Parlement européen : «REACH est devenu un dossier industriel. On est clairement passé de la volonté de protéger la santé et le cadre de vie à la sauvegarde des intérêts des industriels».

Concernant l’insecticide DDT, l’herbicide cancérigène atrazine et d’autres perturbateurs endocriniens, Rachel Carson, Theo Colborn et Tyrone Hayes ont dû subir des attaques médiatiques, personnalisées et déstabilisantes, fondées sur l’intimidation et l’alarmisme. Le mot environnement n’existait pas dans le vocabulaire politique lorsque Rachel Carson publiait son livre inoubliable Silent Spring en 1962. La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants – qui interdit l’usage du DDT en agriculture – sera signée en mai 2001 et entrera en vigueur mai 2004. Elle compte 124 membres et 151 pays signataires. En 2012, un article de Rob Dunn dans le journal Nature commémorera le 50e anniversaire de Silent Spring. Il présente une hypothèse des agrochimistes sous forme d’une lettre écrite par Anthony Trewavas et co-signée par dix autres, dont Christopher Leaver, Bruce Ames, Richard Tren et Peter Lachmann. Cette lettre cite une estimations d 60 à 80 millions de morts occasionnés par l’interdiction du DDT «en raison de craintes fondées sur des preuves erronées mal comprises» (sic). Anthony Trewavas, Christopher Leaver et Peter Lachman siègent dans le conseil consultatif de Sense About Science …

Ecrit par Theo Colborn avec Dianne Dumanoski et John Peterson Myers, Our Stolen Future (L’homme en voie de disparition ? Terre Vivante Éditions, 1998) est un livre tout aussi courageux et fondamental, qui a provoqué un changement de paradigme dans notre compréhension de la vie biologique violée par Chemical Trespass.

Jon Entine avait seize ans quand, avec six ans de décalage, Silent Spring a été traduit et publié en français, avec comme titre Printemps Silencieux. Il est trop jeune pour avoir vu comment on a pu s’acharner sur l’auteur de cette petite merveille de la littérature scientifique et dont la santé s’est détériorée de façon tragique à la suite de ces assauts machistes. Mais aujourd’hui, comme Monsanto, Forbes.com et les USA même, il fait preuve d’une très grande virilité en faisant étalage de ses talents pour enfoncer ceux qui se rebiffent contre l’impérialisme hors-sol de cette philosophie suprémaciste – apparemment judéo-chrétienne – de Full Spectrum Dominance [Domination absolue dans tous les domaines].

Jon Entine aurait rattrapé son retard avec ses catéchismes contre les travaux de l’équipe de Gille-Eric Séralini et, avant lui, la recherche de Tyrone Hayes en Californie. Celui-ci démontre l’envers du décor toxicologique de l’atrazine – l’un des poisons de Syngenta. Malgré les multiples manœuvres utilisées par la firme anglo-suisse, rien n’a été établi pour contrer les preuves fournies en France par l’étude inédite de l’Institut national de veille sanitaire (INVS), qui révèlent que les Français auraient autant, sinon plus, de pesticides agricoles dans le sang que les Américains du Nord et les Allemands. Or parmi ces contaminants délétères, se trouvent les métabolites du désherbant triazine. L’article signé Rachel Aviv A Valuable Reputation (20 février 2014) dans The New Yorker et le documentaire What’s Motivating Hayes (2015) de Jonathan Demme racontent le parcours de combattant de Tyrone Hayes, ce brillant biologiste – le plus jeune professeur promu à Berkeley – passionné des batraciens, animaux témoins, au point qu’il a appelé sa fille Kassina, du nom d’une grenouille africaine.

Véritables tueurs à gages et chasseurs de scalps, ces journalistes à la solde des multinationales et fondations assimilées, comme Pfizer, Monsanto, Syngenta ou Bill et Melinda Gates n’ont pas leurs égaux. Les pires sont ces saintes-nitouches qui font semblant de mettre de l’eau dans leur vin, pour tromper tout le monde puis, sans avertir, c’est le coup de Jarnac pour terrasser de manière abjecte leurs victimes données en pâture aux fauves.

Mais cette-fois-ci, c’est le coup de l’arroseur arrosé avec le Dr Patrick Moore, pris en flagrant délit de mensonge, et Monsanto, l’hypocrite de nouveau exposé, obligé de renier publiquement l’un des ses plus fidèles serviteurs. Si le ridicule ne tue pas, au moins l’objet de risée sera probablement marqué à la culotte pendant un certain temps.

L’histoire circule sur l’internet et elle est même reprise par quelques médias grand public anglophones. Sauf que la plupart d’entre eux font preuve de mansuétude envers l’agrochimiste mettant en exergue son opération visant à limiter les dégâts. A la différence de Time, Newsweek et The Huffington Post, la chaîne de télé RT (Russia Today) – réseau d’information continue russe et multilingue – diffuse la vidéo de l’imbécile fait comme un rat, avec une nécessaire analyse du contexte fournie par l’entretien avec Sheldon Krimsky, professeur en politique environnementale à l’université de Tufts. Où donc est passé notre ancien monde libre? A bon entendeur …

Paul Matthews

Bibliographie facultative et références utiles

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