Les États-Unis se sont infligés une telle surdose de propagande et de désinformation que leur crédibilité est aujourd’hui à la hauteur des revendications délirantes d’État islamique
Par Robert Parry – Le 8 décembre 2015 – Source Russia Insider
Comme la vieille histoire du petit garçon qui criait au loup, le gouvernement des États-Unis découvre – exactement au moment où sa crédibilité est la plus nécessaire – qu’il n’en a aucune. Avec tous ses programmes de soft power pour la gestion des perceptions, son financement de blogueurs citoyens et son collage de narratives longtemps après qu’elles ont été discréditées, le gouvernement étasunien est en train de perdre la guerre de la propagande contre État islamique.
Telle était la conclusion d’experts extérieurs qui ont examiné les campagnes en ligne du Département d’État visant à saper l’influence d’EI, selon un article de Greg Miller, du Washington Post, qui a écrit que l’analyse «jette un nouveau doute sur la capacité du gouvernement des États-Unis de nourrir une voix crédible contre la propagande du groupe terroriste».
En d’autres termes, même lorsque le gouvernement étasunien est en concurrence avec les effrayants coupeurs de tête d’EI, le Département d’État reste dans le déni à propos de sa perte de crédibilité – et, typiquement, ne veut pas publier les détails de l’étude critique.
Au lieu de quoi, le sous-secrétaire d’État pour la diplomatie publique Richard Stengel a insisté, affirmant que l’opération de messagerie du département «est à la hausse», tout en reconnaissant que son équipe fait face à un adversaire difficile avec EI et qu’elle doit «être tout aussi créative et innovante». [Pour davantage d’informations sur les mensonges de Stengel, voir l’article de Consortiumnews.com, Who’s the Propagandist: US or RT ?]
Mais le problème du gouvernement des États-Unis est beaucoup plus profond que son incapacité à contrer la propagande d’EI. De plus en plus, presque personne en dehors du Washington officiel ne croit ce que les hauts responsables étasuniens disent sur à peu près tout – et cette perte de confiance exacerbe un large éventail de dangers, depuis la démagogie de la campagne électorale de 2016 jusqu’au recrutement du terrorisme au Moyen-Orient et en Occident.
Le président Barack Obama semble vouloir tellement désespérément être l’un des habitants d’élite dans la bulle du Washington officiel qu’il continue à promouvoir des récits dont ils sait qu’ils ne sont pas vrais, au mieux pour démontrer qu’il appartient à la foule des initiés. Il a atteint le point où il sort tellement de mots de sa bouche dans tous les sens que personne ne peut dire ce que ses mots signifient réellement.
En effet, Obama souffre sans doute du pire déficit de crédibilité auprès du peuple américain depuis Lyndon Johnson et Richard Nixon sur la guerre du Vietnam ou du moins depuis George W. Bush sur la guerre d’Irak. Aussi éloquent qu’il puisse être, les gens ordinaires aux États-Unis et dans le monde ne l’écoutent plus.
Rage blanche
Donc, sur le plan intérieur, lorsque le président dit aux Américains qu’un autre accord commercial – celui avec l’Asie – sera bon pour eux, y a-t-il quelqu’un, hors des pages d’opinion des journaux de l’élite et des groupes de réflexion influents, pour le croire ?
L’Amérique a maintenant une sous-classe croissante, formée d’anciens Blancs de la classe moyenne qui savent qu’ils ont été vendus puisqu’ils sont confrontés à la baisse de leur niveau de vie et à une hausse sans précédent de leur taux de mortalité. Pourtant, parce qu’ils ne font pas confiance à Obama, ces Blancs sont facilement convaincus par des démagogues que leur situation provient des programmes du gouvernement destinés à aider les Noirs et les autres minorités.
Cette rage blanche a alimenté les campagnes racistes et anti-immigrés du milliardaire Donald Trump et d’autres politiciens marginaux du Parti républicain. Trump est en tête de la course des primaires du camp républicain (GOP) pour les prochaines présidentielles parce qu’il dit quelques choses vraies – que les riches ont acheté les processus politiques et que les accords commerciaux ont écrasé la classe moyenne –, se donnant ainsi une aura d’authenticité qui s’étend ensuite à ses commentaires les plus affreux.
Les Américains sont si avides de goûter à un minimum d’honnêteté – qu’ils n’obtiennent pas d’Obama ni d’autres membres de l’élite – qu’ils croiront un bonimenteur mégalomane comme Trump. Après tout, ils savent que tout ce qu’ils obtiennent de la part d’Obama et de sa clique est du baratin manipulateur, qui les traite comme des imbéciles à rouler dans la farine et pas comme les citoyens d’une république qui doit les respecter.
La dure vérité est que la grande classe moyenne américaine a en effet été vendue, souvent par des néolibéraux à la langue bien pendue comme le président Bill Clinton qui – avec l’aide de nombreux centristes et conservateurs – a poussé à des accords commerciaux et à des réformes bancaires qui ont habillé Wall Street tout en dépouillant Main Street [les gens ordinaires]. Les néolibéraux, travaillant avec les républicains, ont aussi promu des accords commerciaux avec le Mexique et d’autres pays à bas salaires qui ont envoyé des millions de jobs à l’étranger.
A partir de cette expérience, de nombreux Américains rendent le gouvernement responsable de leur situation, ce qui les pousse vers la droite qui cherche à contester le pouvoir du gouvernement. Ce que ces Américains ne comprennent pas est que cette idéologie Tea Party continue à les vendre aux corporatistes et aux spéculateurs qui jouiront ainsi d’une position toujours plus forte pour escroquer ce qui reste de la classe moyenne.
En d’autres termes, au moment où les Américains ont besoin que leur gouvernement représente collectivement leurs intérêts – pour garantir le bien-être général comme l’a prévu la Constitution des États-Unis – ils ne croient pas que le gouvernement est leur gouvernement ou qu’il protégera leurs intérêts.
L’impératif propagandiste
Un constat similaire vaut pour la politique étrangère. Le gouvernement étasunien a tellement adhéré au concept de la gestion de la perception et des communications stratégiques – mélange d’opérations psychologiques, de propagande et de relations publiques – qu’il s’est déconnecté des faits. L’information n’est là que pour être exploitée à des fins géopolitiques, habituellement pour coller une quelconque injure sur le dernier méchant désigné.
Nous l’avons vu en 2003 avec la campagne de désinformation sur les AMD de l’Irak, mais ça ne s’est pas arrêté là. Le gouvernement américain a utilisé son contrôle sur des leviers médiatiques importants pour diaboliser une série de dirigeants mondiaux qui faisaient obstacle aux désirs du Washington officiel. Simultanément, des abus égaux ou pires commis par nos gars sont minimisés ou ignorés.
Par exemple, le dictateur laïque Mouammar Kadhafi a été raillé lorsqu’il a mis en garde contre les terroristes islamistes qui se déchaînaient dans l’est de la Libye. En effet, le souhait de Kadhafi de les combattre est devenu le prétexte pour une opération de changement de régime au nom des droits humains et de la responsabilité de protéger.
Cette opération – promue par la secrétaire d’État d’alors Hillary Clinton, qui a jubilé à propos de l’assassinat de Kadhafi : «Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort» – a transformé la Libye en un pays d’anarchie où État islamique et d’autres groupes terroristes s’emparent du territoire et coupent des têtes. Mais Clinton, comme d’autres architectes de ce désastre, n’admettra aucune erreur.
De même, l’administration Obama et les médias américains dominants aux ordres ont poussé une campagne de propagande contre le dirigeant laïque de la Syrie Bachar al-Assad, l’accusant de pratiquement toute la violence qui a submergé la Syrie en dépit de la prise de conscience de hauts responsables étasuniens, y compris le vice-président Joe Biden, du rôle clé joué par les jihadistes sunnites et des groupes terroristes avec le soutien des États du Golfe dirigés par des sunnites et la Turquie.
Donc, lorsqu’une attaque mortelle au gaz sarin a frappé une banlieue de Damas le 21 août 2013, l’administration Obama et des groupes importants de défense des droits humains ont accusé l’armée de Assad, même si certains analystes des renseignements américains et des observateurs indépendants ont rapidement flairé qu’il y avait anguille sous roche, l’éventualité d’une provocation financée par des agents d’al-Qaïda – peut-être aidée par les services de renseignements turcs – pour tenter d’inciter les forces américaines à détruire l’armée de Assad et ouvrir la voie à une victoire des terroristes.
Bien que ce scénario d’action sous fausse bannière soit devenu de plus en plus probable – puisque l’action contre les forces de Assad a pour le moment échoué – Obama et son administration n’ont jamais rectifié les faits. Ils ont seulement abandonné ce qui apparaît maintenant comme un faux récit, par conséquent il peut toujours être cité par les leaders d’opinion néocons ou les défenseurs des droits humains et donc être utilisé pour tromper l’opinion publique américaine.
Certaines personnes défendent Obama pour son refus d’admettre ses erreurs parce que cela minerait la crédibilité des États-Unis, mais je pense que c’est le contraire qui est vrai : admettre franchement qu’il y a eu un un jugement erroné précipité serait rafraîchissant pour les Américains, qui sont malades et fatigués du mensonge.
De même, il y a le cas du vol 17 de la Malaysia Airlines, abattu le 17 juillet 2014 en l’Ukraine de l’Est, que l’administration Obama a imputé aux rebelles russes ethniques et indirectement au président russe Vladimir Poutine. L’affaire a attisé une frénésie de dénigrement de la Russie par l’Ouest, qui est devenu un précieux relais pour la propagande .
Mais encore une fois, alors que les analystes des services de renseignement US ont rejeté la preuve, certains sont allés dans un autre sens, critiquant un élément voyou du gouvernement ukrainien, selon une source informée de ces conclusions.
Pourtant, au lieu de rétablir les faits ou de présenter une preuve pour étayer son jugement initial, l’administration Obama s’est tue, refusant de rendre publique toute preuve en sa possession sur le meurtre de 298 personnes. Cela a permis aux médias dominants occidentaux et à quelques blogueurs prétendument indépendants de continuer à propager la version «c’est la Russie qui l’a fait».
Rejeter le blâme sur d’autres
Plus récemment, l’administration Obama a réagi à la preuve accablante que certains de ses alliés au Moyen-Orient ont aidé et encouragé État islamique, al-Qaïda et d’autres jihadistes violents, en tentant de rejeter le blâme sur le gouvernement syrien et la Russie.
En d’autres termes, on nous a dit de ne pas blâmer les Saoudiens et les Qataris qui financent et arment ces djihadistes (malgré ce qu’avait admis le vice-président Biden, l’ancienne secrétaire d’État Clinton et l’Agence du renseignement de la Défense). Nous ne devrions pas non plus remarquer qu’État islamique a expédié son pétrole illicite en Turquie dans de grands convois de camion-citernes aux frontières turques, qui permettent aussi aux combattants djihadistes de les franchir dans les deux sens.
Le dossier des preuves du soutien secret de la Turquie à ces djihadistes radicaux est très long, il comprend de nombreux aveux de la part de responsables turcs et des rapports d’importants médias turcs. Mais on nous a dit d’ignorer toutes ces preuves et de faire confiance au président Recep Tayyip Erdogan, qui fait tout ce qu’il peut pour fermer sa frontière et arrêter les terroristes.
Au lieu de quoi, bien que les gouvernements russe et syrien aient asséné de rudes coups aux djihadistes, y compris la Russie qui fait honte à l’administration Obama de se joindre tardivement au bombardement de ces convois de pétrole d’EI, nous sommes censés croire que Damas et Moscou sont de mèche avec EI. Cette histoire résume la folie complotiste du gouvernement américain.
Nous sommes aussi censés croire que les Saoudiens, les Qataris et les Turcs sont sérieusement engagés dans la grande coalition dirigée par les États-Unis – Obama s’est vanté qu’elle avait rallié 65 membres – pour combattre EI, al-Qaïda et d’autres terroristes. Mais ces alliés n’y sont pour la plupart que pour la forme.
L’impact global de la manipulation du public pratiquée par le gouvernement des États-Unis depuis des années et même depuis des décennies a été de diviser le peuple américain en trois groupes : ceux qui continuent à croire la ligne officielle, ceux qui sont ouverts à la preuve qui s’oppose à la ligne officielle, et ceux qui croient en des théories du complot non fondées sur des faits affirmant que rien de ce qui provient d’une source officielle ne peut être vrai.
Dire qu’une telle division n’est pas saine pour une république démocratique revient à énoncer une évidence. En effet, une république démocratique ne peut pas survivre longtemps si les responsables gouvernementaux persistent à gérer les perceptions des gens par la propagande et la désinformation. Elle ne peut pas non plus survivre longtemps si une partie significative de la population croit les théories complotistes les plus folles.
Pourtant, il semble que le président Obama et d’autres hauts responsables politiques ne puissent simplement pas résister à prendre la voie facile de la tromperie pour atteindre un consensus conforme, plutôt que de s’atteler à la tâche difficile de présenter des preuves claires et d’engager le peuple américain dans un débat sérieux.
Ou peut-être Obama et ses conseillers sont-ils trop englués dans les mensonges et craignent-ils les conséquences d’un aveu au sujet de leurs fausses déclarations et de leurs tromperies. Cela serait comme si Toto retirait le rideau devant le Magicien d’Oz et que le magicien avoue immédiatement ses trucs. L’instinct commande de dire à la population d’ignorer cet homme derrière le rideau.
Le discours impossible
J’ai longtemps soutenu que Obama devrait aller à la télévision dans le style du discours d’adieu du président Dwight Eisenhower en 1961, assis dans le Bureau Ovale, les mains croisées, sans rien de la mise en scène tape à l’œil de son style habituel, et se mettre simplement au niveau du peuple américain.
Avant son discours, Obama pourrait divulguer les 28 pages [censurées] du rapport du Congrès sur le 9/11 à propos du soutien saoudien aux pirates de l’air. Il pourrait aussi révéler d’autres analyses des services de renseignement étasuniens sur le rôle des Saoudiens, des Qataris et des Turcs dans le soutien à al-Qaïda et EI. Il pourrait y ajouter ce que les analystes des renseignements américains ont conclu à propos de l’attaque au gaz sarin de 2013 en Syrie et sur le MH-17 abattu en 2014 en Ukraine.
Le président pourrait avouer à quel point le gouvernement étasunien a trompé le peuple. Il pourrait expliquer comment lui et d’autres responsables gouvernementaux étaient séduits par le chant des sirènes des propagandistes qui promettaient d’aligner l’opinion publique derrière une politique ordonnée et sans agitation. Il pourrait admettre qu’une telle manipulation des citoyens américains par le gouvernement des États-Unis est tout simplement anormale.
Obama pourrait expliquer qu’il réalise aujourd’hui que la poursuite de l’asservissement du peuple par les élites est incompatible avec les principes d’une république dans laquelle les citoyens sont les souverains de la nation. Il pourrait demander notre pardon et se réengager pour la transparence du gouvernement qu’il avait promise lors de l’élection de 2008. (Et pendant qu’il y est, il pourrait pardonner et présenter des excuses aux lanceurs d’alerte qu’il a poursuivis et emprisonnés.)
Après avoir restauré une base de confiance – et désavoué les dernières décennies de duperie – il pourrait expliquer ce qui doit être fait en Syrie. Plus important encore, il pourrait demander que l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et les autres pays qui aident EI et al-Qaïda coupent immédiatement cette assistance ou soient confrontés à des conséquences financières sévères et à d’autres conséquences, alliés ou non.
Ensuite, il pourrait promettre – une fois qu’une stabilité raisonnable serait rétablie en Syrie – que le peuple syrien sera autorisé à décider quels dirigeants il veut. A l’heure actuelle, l’obstacle majeur à un gouvernement de coalition en Syrie est l’insistance de l’Occident à refuser la participation de Assad à de futures élections démocratiques. Pourtant, si le président Obama est si sûr que la plupart des Syriens haïssent Assad, rien ne pourrait mieux le démontrer que la défaite retentissante de Assad dans les urnes. Pourquoi éviter cela ?
Mais il est devenu tristement évident qu’Obama n’a pas en lui la force de tenir ce discours ou d’entreprendre de telles actions. Cela exigerait de défier la communauté des initiés dominée par les néocons du Washington officiel et leurs alliés comme la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et Israël. Pour apaiser ces forces, il continuera à faire des jeux de mots et à raconter des récits propagandistes. Il est trop élitiste pour informer et responsabiliser le peuple américain.
Par conséquent, la perte de crédibilité de l’administration Obama ne prendra pas fin. En effet, elle deviendra un gouffre, avec le Washington officiel d’un côté et l’immense majorité de l’humanité de l’autre. Les vainqueurs les moins méritants seront les terroristes d’EI et d’al-Qaïda. Il y aura beaucoup de perdants qui mériteraient mieux.
(Obama a prévu un discours dans le Bureau Ovale pour dimanche soir sur le thème du terrorisme, il dira ce qu’il a fait pour protéger les Américains.)
Robert Parry, journaliste d’investigation, a publié beaucoup d’articles sur Iran-Contra pour Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Vous pouvez acheter son dernier livre, America’s Stolen Narrative, soit en l’imprimant ici ou sous forme d’e-book (Amazon etbarnesandnoble.com). Vous pouvez aussi commander la trilogie de Robert Parry sur la famille Bush et ses liens avec divers agents de droite pour seulement $34. La trilogie inclut America’s Stolen Narrative. Pour plus de détails sur cette offre, cliquez ici.
Article original paru sur Consortium News
Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone