Par Pepe Escobar – Le 30 mars 2015 – Source: Russia Today
Deux hauts commandants cosaques de la République populaire de Donetsk et un volontaire aguerri serbe sont catégoriques : la guerre au Donbass n’a pas encore vraiment commencé.
Le coucher de soleil est spectaculaire dans la terre sainte cosaque de la République populaire de Donetsk où je me trouve, en plein champ adjacent à une ferme d’élevage de chevaux, en train de bavarder avec Nikolai Korsunov, le capitaine de la brigade cosaque Ivan Sirko, et Roman Ivlev, fondateur de l’Union des vétérans du Donbass Berkout.
Pourquoi est-ce la terre sainte cosaque ? Mes interlocuteurs ne manquent pas de me rappeler les hauts faits du légendaire héros militaire cosaque du XVIIe siècle Ivan Sirko, dit le sorcier, à qui on attribuait des pouvoirs extrasensoriels, qui a remporté 55 batailles, la plupart contre les Polonais et les Tatars.
À seulement trois kilomètres d’où nous sommes, s’est déroulée une bataille décisive à un carrefour de l’ancienne Route de la soie appelé Matsapulovska Krinitsa, où 3 000 cosaques et 15 000 Tatars ont livré combat.
Aujourd’hui, à l’aube de la construction de la Nouvelle route de la soie du XXIe siècle préconisée par la Chine, qui traversera aussi la Russie, nous parlons de la guerre par procuration en Ukraine à laquelle se livrent les USA et la Russie, dont le but ultime est la désorganisation de ladite Nouvelle route de la soie.
Le commandant Korsunov dirige l’une des 18 brigades cosaques à Makeevka et 240 de ses soldats sont maintenant engagés dans la guerre civile ukrainienne, dont certains reviennent tout juste du chaudron de Debaltsevo. Une partie d’entre eux étaient dans l’armée ukrainienne, d’autres travaillaient dans le secteur de la sécurité. Korsunov et Ivlev soutiennent que tous leurs combattants exercent un emploi (même s’ils ne sont pas payés) et qu’ils se sont joints volontairement à l’armée de la République populaire de Donetsk. Ils arrivent à survivre d’une manière ou d’une autre.
Qu’est-ce que les combattants cosaques ont de si particulier ? C’est historique. Nous avons toujours combattu pour défendre nos contrées. Le commandant Korsunov est un ancien mineur, aujourd’hui retraité. Pour des raisons évidentes, la junte Porochenko à Kiev ne lui envoie pas de prestations de retraite. Tout ce qu’il reçoit, c’est l’aide des Berkuts et du ministère de la Jeunesse et des Sports de la République populaire, ainsi que les vivres des convois humanitaires en provenance de la Russie.
Korsunov et Ivlev sont convaincus que Minsk 2 ne tiendra pas, que des combats acharnés devraient reprendre d’ici quelques semaines. D’après leurs services de renseignements militaires, à la suite du prêt que le FMI a consenti récemment à l’Ukraine, l’armée de Kiev a reçu pas moins de 3,8 milliards de dollars pour lui permettre de se fournir en armes.
Après Odessa, disent-ils, en référence au massacre de civils qui s’y est déroulé en mai dernier, l’Ukraine telle que nous la connaissions a cessé d’exister. Quelle serait alors la meilleure solution pour le Donbass ? Leur priorité est de libérer tous les Ukrainiens du fascisme. Après la victoire, des référendums devraient être tenus dans toutes les régions du pays. Les gens devraient voter pour ce qu’ils veulent ; que ce soit demeurer en Ukraine, se rapprocher de l’Europe ou encore de la Russie. Ce qui suppose une progression vers l’ouest de l’Ukraine, en territoire hostile. Nous sommes prêts à cinq, sept ans de guerre, peu importe.
Ainsi, même si une solution politique semble vouloir poindre loin à l’horizon, ils se préparent à livrer une guerre prolongée. L’UE a tort de les traiter de séparatistes et même de terroristes. Quant aux chars d’assaut et aux soldats russes introuvables que l’Otan dénonce constamment, où sont-ils ? Ils rient de bon cœur et nous voilà en route pour un banquet cosaque dans la campagne.
Kiev veut la guerre
Le combattant serbe Dejan Deki Beric, héros de la République populaire qui a déjà reçu dix médailles, partage entièrement les vues des commandants cosaques : la véritable guerre n’a pas encore commencé.
Vingt Serbes, tous possédant beaucoup d’expérience au combat, se battent du côté des brigades du Donbass. Deki revient tout juste d’une mission de reconnaissance secrète, au cours de laquelle il s’est infiltré en territoire ennemi. Sa conclusion : l’ennemi fait entrer de nouveaux soldats, de nouveaux techniciens et plein de nouvelles armes. Minsk 2 est sur le point d’être réduit en pièces.
Deki montre une vidéo absolument poignante de la victoire de la République populaire à l’aéroport de Donetsk maintenant totalement en ruines, tournée à partir de son téléphone mobile. La scène principale (qui n’est pas reprise intégralement sur Youtube) commence par montrer des soldats qui rient, bavardent et fument, puis fait un panoramique montrant des dizaines de corps inanimés et épars de soldats des forces armées de Kiev.
Deki confirme que même avant l’été dernier, Kiev pourrait avoir perdu jusqu’à 20 000 combattants. La majorité absolue des soldats qu’il a vus étaient trop effrayés pour combattre. Dans le chaudron de Debaltsevo, ils n’ont même pas essayé de livrer bataille.
Il y a moins de deux semaines, le premier ministre Iatseniouk, l’enfant chéri de la reine américaine du Nulandistan, Victoria «F**k the EU», n’a pas raté l’occasion de dire que la guerre est inévitable : notre objectif est de reprendre le contrôle de Donetsk et de Lougansk. Bien entendu, une menace aussi importante n’est possible qu’avec l’assurance du soutien total du FMI et de l’Otan, qui forment les tentacules financières et militaires du gouvernement des USA. Le Capitole n’est pas en reste non plus.
L’Otan n’a pas de services secrets comme tels. Son renseignement militaire lui est fourni par des agents américains, britanniques ou allemands. Il est donc manipulé politiquement. C’est ce qui explique pourquoi le docteur Folamour actuellement à la tête de l’Otan, le général Breedlove, appelons-le Follehaine, ne cesse de répéter les mêmes balivernes à propos des colonnes d’équipement russe, surtout des chars russes, de l’artillerie russe, des systèmes de défense aérienne russes et des troupes de combat russes, qui envahissent l’Ukraine à répétition, même si les observateurs de l’OSCE maintiennent n’avoir rien vu. Tout comme l’auteur de cet article d’ailleurs.
Contrairement à l’évaluation des commandants cosaques et de Deki, cette analyse concise soutient qu’aucune des deux parties (l’armée de Kiev ou du Donbass) n’est sur le point de lancer une offensive en règle. Dans l’intervalle, la République populaire de Donetsk s’active sur le front politique. Le ministre des Affaires étrangères Alexander Kofman, qui confirme avoir des discussions politiques avec des membres de certains pays de l’UE, parle de plans en vue d’une réunion d’envergure en mai, qui mènera à la mise en place possible d’une organisation regroupant les nations non reconnues qui pourrait comprendre bien des participants, dont Donetsk et Lougansk, ainsi que la Catalogne et le Pays basque.
Kofman est catégorique. Il préfère l’indépendance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk à leur annexion à la Russie. Mais avant toute chose, la guerre qui obsède tant Kiev (et Washington) doit cesser.
Pepe Escobar s’est rendu à Donetsk à l’invitation du projet médiatique Europa Objektiv, basé en Allemagne.
Traduit par Daniel, relu par jj pour Le Saker francophone.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).