Parlons de la Corée : le ton dangereux des médias américains


Caleb Maupin

Par Caleb Maupin – Le 3 mai 2016 – Source New Eastern Outlook

Souvent, lorsque les gens font connaissance pour la première fois avec moi et mes opinions politiques, ils me demandent carrément : «Soutenez-vous la Corée du Nord ?» Je réponds toujours : «Non, je ne soutiens pas la Corée du Nord. Je soutiens toute la Corée.»

Parmi les Américains moyens et même beaucoup de ceux qui se considèrent comme des militants et des gens de gauche, il y a une immense confusion sur les questions concernant la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et son histoire. Chaque fois qu’il y a une escalade des tensions dans la péninsule de Corée, le degré de confusion semble empirer. Les médias étasuniens ne font aucun effort pour éduquer le public sur pourquoi la Corée est divisée – avec souvent des distorsions et des mensonges à ce propos.

Pourquoi la Corée est-elle divisée ?

Quelques-unes des 200 000 « femmes de réconfort » réduites en esclavage sexuel

Avant la Seconde Guerre mondiale, la péninsule de Corée était occupée par le Japon, qui a commis des atrocités terribles contre le peuple coréen. Les femmes coréennes ont été réduites en esclavage sexuel par l’armée japonaise.

Lorsque des chrétiens coréens pacifistes sont sortis protester contre le Japon en mars 1919, plus de 7000 d’entre eux ont été tués. L’armée japonaise a exercé des représailles contre les actes non violents de désobéissance civile, en mettant le feu au hasard à des écoles et en provoquant aveuglément la mort dans les flammes de centaines d’enfants coréens qui n’avaient rien à voir avec les manifestations. Des dizaines de milliers de Coréens ont été rassemblés et torturés par les Japonais, sur le simple soupçon d’être impliqués dans le mouvement de protestation pacifiste anti-japonais.

Après l’échec des luttes pacifiques non violentes, les Coréens ont pris les armes contre les occupants japonais. Dans les années 1920 et 1930, Kim Il Sung et d’autres ont reçu une formation militaire et politique de l’Union soviétique. Le Parti communiste chinois et le Parti communiste coréen ont souvent coopéré étroitement dans leurs activités. Les communistes armés coréens et chinois ont reçu beaucoup d’armes et d’argent de l’Union soviétique, puisqu’ils se battaient pour des droits démocratiques fondamentaux contre les occupants japonais.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, la moitié nord de la péninsule de Corée avait été libérée militairement par les troupes soviétiques. La moitié sud de la péninsule de Corée fut bientôt occupée par les troupes américaines. Dans la partie nord du pays, les principaux partis politiques de la résistance contre le Japon – y compris les communistes, les sociaux-démocrates, les révolutionnaires agraires, les chrétiens et beaucoup d’autres – ont fusionné en 1948 pour former le Parti des travailleurs de Corée.

L’accord à la fin de la guerre était qu’il y aurait des élections nationales, dans lesquelles tous les partis politiques, y compris le très populaire Parti des travailleurs de Corée, seraient autorisés à participer à la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Dans la moitié sud de la péninsule, cependant, une dictature militaire a été instaurée. Syngman Rhee s’est emparé du pouvoir et a violemment réprimé toute opposition. La dictature de Rhee était ouvertement soutenue par les États-Unis. Des milliers de soldats étasuniens ont afflué dans le pays pour appuyer le régime militaire.

Lorsque des militants démocratiques et syndicaux vivant sur l’île de Jeju se sont soulevés contre Syngman Rhee pour exiger les élections libres promises à la fin de la guerre, les troupes américaines ont rejoint les forces de Rhee pour massacrer des milliers de civils innocents. Trente mille personnes – environ une sur dix habitants de l’île Jeju – ont été tuées à la suite du soulèvement.

En réponse à l’occupation par l’armée étasunienne de la moitié sud de la Corée, à l’annulation des élections libres et au massacre de civils coréens innocents par les troupes américaines, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a envoyé des troupes au sud, dans l’espoir de réunifier le pays et de chasser les troupes américaines.

La réponse à la tentative de réunification a été l’épouvantable action de police des Nations Unies, plus connue comme la guerre de Corée. Les États-Unis ont bombardé tous les bâtiments de plus d’un étage dans la moitié nord du pays. Les digues ont été bombardées afin de provoquer des inondations massives dans les zones civiles. Entre 3 et 4 millions de Coréens ont été tués.

Un armistice a été déclaré en 1953 – mais les États-Unis n’ont jamais signé de traité de paix, comme il avait été convenu. Techniquement, la guerre de Corée n’a jamais pris fin, et les États-Unis n’ont même pas reconnu la RPDC comme gouvernement légitime.

Démocratie en Corée du Sud ?

Au cours de la plupart des années entre 1945 et aujourd’hui, la moitié sud de la péninsule de Corée a été gouvernée par des dictateurs militaires impénitents. Syngman Rhee et Park Chung Hee n’ont jamais fait semblant d’être des démocrates. Ils étaient des autocrates militaires violents, répressifs, et étaient totalement soutenus par les États-Unis. Des dizaines de milliers de soldats étasuniens ont été en Corée du Sud depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et souvent les troupes américaines ont été utilisées pour réprimer violemment les soulèvements démocratiques contre les dictatures de Rhee et de Park.

Après une série de révoltes étudiantes, de manifestations syndicales et d’autres soulèvements dans la population, la Corée a opéré une transition, dans les années 1980, vers un gouvernement moins répressif. Même aujourd’hui, toutefois, le gouvernement en Corée du Sud peut difficilement être considéré comme un élève modèle en matière de droits de l’homme.

Le Parti progressiste unifié, le seul véritable parti d’opposition en Corée du Sud, a été brisé de force par le gouvernement en 2013. Cinq candidats du Parti progressiste unifié qui avaient remporté des sièges au gouvernement, n’ont pas été autorisés à entrer en fonction. Le dirigeant du parti, Lee Seok-ki, a été envoyé en prison pour 12 ans. Sa condamnation était basée sur une hypothétique conversation enregistrée sur quoi faire en cas de guerre entre les États-Unis et la RPDC.

Un jeune Coréen du nom de Park Jung-geun a été envoyé en prison pour 10 mois en 2012, simplement pour avoir relayé les déclarations de la RPDC sur les réseaux sociaux. Park y incluait des commentaires sarcastiques et anticommunistes, et il n’était clairement pas un partisan de ses compatriotes paysans du Nord. Il a pourtant été emprisonné.

Les lois sur la sécurité nationale dans la partie sud de la péninsule de Corée, violent toutes notions de droits de l’homme et de liberté d’expression. En Corée du Sud, faire une quelconque déclaration en soutien à la RPDC, ou même soutenant vaguement le marxisme ou le socialisme, est un crime très grave. Les Coréens vivent dans la peur de parler ouvertement de l’Histoire de leur pays, de la présence continue des troupes américaines, ou de concepts politiques couramment débattus comme la lutte des classes. Dire quelque chose qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, être interprété comme positif à propos de leurs compatriotes du Nord, pourrait très bien signifier être emprisonné ou torturé en vertu du droit coréen.

L’actuelle présidente de la République de Corée dans les régions sud du pays est Park Geun-hye. Elle est la fille du dictateur militaire évoqué précédemment, Park Chung Hee. Park n’est pas seulement responsable de la mort de dizaines de milliers de gens innocents ; il a systématiquement appliqué la torture, les punitions collectives, les représailles contre les membres des familles et d’autres violations extrêmes des droits de l’homme.

Park Guen-hye, présidente de Corée du Sud, fille de son père le dictateur Park Chung-hee. Ici avec Chuck Hagel, secrétaire américain à la Défense.

Park Guen-hye ne fait aucune tentative pour se distancier de son père ou de ses pratiques autocratiques et de ses crimes bien documentés contre l’humanité. Elle décrit le coup d’État de son père – par lequel il a renversé le gouvernement élu avec violence et a établi une dictature militaire brutale – comme une «révolution pour sauver le pays» du communisme.

Malgré une répression aussi épouvantable, les médias étasuniens continuent à qualifier couramment la République de Corée dans le Sud de démocratique.

Les conditions dans le Nord

Pendant les années 1960, 1970 et même au début des années 1980, la République populaire démocratique de Corée, dans la partie nord du pays, avait une économie très forte.

Ce fait sera évidemment automatiquement rejeté comme propagande scandaleuse par l’Américain moyen, mais il est confirmé par la BBC.

Un article sur le site internet de la BBC affirme :

«À un moment donné, l’économie planifiée centralement de la Corée du Nord semblait bien fonctionner – en effet, dans les premières années après la création de la Corée du Nord suite à la Seconde Guerre mondiale, elle a donné des résultats spectaculaires.

» La mobilisation massive de la population, parallèlement à l’aide technique et financière soviétique et chinoise, a eu pour résultat des taux de croissance économiques estimés atteindre 20%, même 30%, dans les années qui ont suivi la guerre de Corée dévastatrice entre 1950 et 1953.

» Jusque dans les années 1970, la Corée du Sud languissait à l’ombre du miracle économique au nord de la frontière

La crise de malnutrition en RPDC, pendant les années 1990, est le résultat de l’effondrement de l’Union soviétique. Les zones agricoles de la péninsule de Corée sont toutes au sud, tandis que le nord est très montagneux. Sans pétrole de l’Union soviétique, il est devenu très difficile pour le système agricole de la RPDC de fonctionner. Les sanctions des États-Unis ont rendu presque impossible à la RPDC d’acheter des biens sur les marchés internationaux, et le résultat a été une famine massive.

Les Coréens se réfèrent à cette période de famine massive des années 1990 comme celle de la dure marche et ils accusent le blocus économique et militaire des États-Unis de leur pays pour cela. Les conditions dans les régions nord de la péninsule de Corée ont été très mauvaises pendant les années 1990, et n’importe quel autre gouvernement se serait très probablement effondré sous une telle pression.

La RPDC a pu lentement se relever de ces années désastreuses. La RPDC commerce maintenant avec la Russie, l’Iran, le Venezuela, la Chine et d’autres pays. Le système agricole de la DPRC a été restructuré et le pays est aujourd’hui en mesure d’allouer des fonds pour la construction de nouveaux logements et d’autres infrastructures pour la population.

Les dépenses pour la défense restent une priorité absolue dans la DPRC, et presque chaque Coréen de plus de 18 ans est, d’une manière ou d’une autre, intégré à l’armée. Ceux qui critiquent la RPDC pour cela, oublient que c’est un pays littéralement en guerre avec les États-Unis. Des dizaines de milliers de soldats étasuniens sont alignés le long de ses frontières. L’armée américaine s’entraîne systématiquement au lancement de bombes nucléaires sur la RPDC, et le général de l’armée étasunienne Douglas MacArthur a publiquement menacé de le faire pendant la guerre de Corée.

Dans le Nord, les Coréens ressentent en général que la prolifération des armes nucléaires leur a permis d’être beaucoup plus en sécurité en tant que pays. Maintenant que la RPDC détient la bombe atomique, les États-Unis sont beaucoup moins susceptibles de l’attaquer, ou de l’envahir et de provoquer le changement de régime dont ils parlent souvent.

Les critiques contre la RPDC en relation avec le thème des droits de l’homme oublient souvent totalement le contexte et l’histoire de la Corée. Entre 3 et 4 millions de Coréens sont morts pendant la guerre de Corée, sans qu’un traité de paix ne soit jamais signé. Un nombre similaire est mort pendant les années 1990 à cause de la malnutrition imposée au pays par les États-Unis. Les gens en RPDC luttent pour leur vie même, contre le gouvernement le plus puissant et le mieux armé au monde. Les États-Unis ont fait des millions victimes coréennes.

On ne peut attendre d’aucun pays qui fait face à de telles menaces et à un tel encerclement, qu’il soit une société libre et ouverte, riche en débats et en discussions. La RPDC est verrouillée, dans un état de guerre, luttant pour sa survie. Aucune personne sensible ne prétendrait que c’est un paradis ou un modèle idéal de civilisation humaine. Dans des circonstances extrêmement hostiles, la RPDC survit – principalement grâce aux aptitudes politiques hors du commun du Parti des travailleurs de Corée et à sa capacité générale de mobiliser et de maintenir la loyauté de la population.

Les médias étasuniens décrivent souvent les dirigeants de la RPDC comme des nationalistes vulgaires ou des suprémacistes. Ceux qui se laissent prendre aux affirmations de ces médias que la RPDC est en quelque sorte raciste, devraient noter que la RPDC a un record de solidarité internationale avec les peuples opprimés dans le monde entier.

La RPDC a été très solidaire du parti étasunien des Panthères noires pendant les années 1970. Elle est venue en aide aux Palestiniens.

La RPDC a aussi soutenu le peuple de Zimbabwe lorsqu’il luttait contre l’Empire britannique et l’État colonial d’apartheid appelé Rhodésie. Elle a soutenu le peuple d’Angola dans sa lutte contre le colonialisme portugais. Elle a même apporté un soutien militaire à Nelson Mandela et au Congrès national africain, alors que les États-Unis les qualifiaient de terroristes.

Racisme anti-asiatique et propagande de guerre

La haine de la RPDC semble presque compulsive aux États-Unis. Les médias étasuniens répètent régulièrement des affirmations anti-RPDC scandaleuses et sans aucun fondement.

Les médias américains ont proclamé que les femmes en Corée du Nord ont l’interdiction de rouler à bicyclette. Cette affirmation est réfutée facilement. Les femmes en Corée du Nord non seulement font du vélo mais ont gagné des médailles d’or dans des sports olympiques tels que le tir à la cible et l’haltérophilie.

Sans la moindre hésitation, les médias étasuniens ont répété l’affirmation qu’un éminent responsable de la RPDC avait été exécuté «en étant dévoré par une meute de chiens sauvages». Il a été prouvé que cette histoire scandaleuse trouvait son origine dans une publication satirique en Chine et n’avait même jamais prétendu être véridique.

Hollywood pond des films comme L’Aube rouge (Red Dawn), La Chute de la Maison Blanche (Olympus Has Fallen) et L’Interview qui tue (The Interview), tous destinés à diaboliser la RPDC, à déshumaniser sa population et à préparer psychologiquement l’opinion publique américaine à la guerre. La quantité de distorsions extrêmes, associée à tout ce qui se rapporte à la situation dans la péninsule de Corée, devrait choquer gravement et bouleverser toute personne sensible.

De nombreux Américains asiatiques disent que la manière dont la RPDC est décrite dans les médias étasuniens devrait choquer, non seulement les Coréens, mais tous les Asiatiques. Le film hollywoodien anti-RPDC L’Interview qui tue, qui a provoqué des tensions internationales, tournait largement en dérision l’accent coréen imité par des comédiens blancs masculins. En outre, le film décrivait notamment des femmes coréennes – qui avaient été réduites en esclavage sexuel par le Japon, et souvent violées par des soldats américains pendant la guerre de Corée – comme de simples objets sexuels, avec des personnages masculins blancs émettant des commentaires grossiers sur leurs corps.

Les multiples moqueries sur les accents, les vêtements et d’autres choses en relation avec la RPDC, tout cela s’inscrit dans un concept raciste archaïque communément appelé despotisme asiatique. À un moment donné, la presse étasunienne et européenne occidentale dépeignait les dirigeants chinois, vietnamiens et même russes, à peu près de la même manière.

Ce que le message raciste sous-jacent laissait entendre, par la calomnie et la moquerie sans fin des dirigeants de la Corée, c’est que les peuples d’origine asiatique sont des sauvages barbares qui aspirent naturellement à l’autocratie et ont besoin des Blancs pour les civiliser énergiquement et leur enseigner ce qu’est la démocratie. Alors que la diabolisation extrême des dirigeants de la RPDC est l’exemple le plus flagrant, la vieille caricature raciste des despotes asiatiques et des tyrans mongoloïdes refait graduellement surface, à propos de Xi Jinping en Chine et de Vladimir Poutine en Russie.

Ces cinquante dernières années, la RPDC a appelé à la réunification pacifique de la péninsule de Corée. Les dirigeants du Parti des travailleurs de Corée ne demandent aujourd’hui rien de plus que ce qui avait été convenu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils veulent des élections nationales auxquelles tous les partis, y compris les communistes, puissent participer. Ils veulent aussi que les troupes américaines s’en aillent.

C’est à peine une proposition radicale ou extrême. La demande de la RPDC est, fondamentalement : «Laissez les Coréens gouverner la Corée.» Il n’y a rien d’extrême, de délirant ou de fou là-dedans.

Les Coréens sont des gens – exactement comme les Américains, les Européens de l’Ouest, les Russes, les Iraniens, les Chinois ou d’autres. Cependant, les Coréens sont un peuple qui a été soumis à presque un siècle de division, de dégradation et d’humiliation extrême par des puissances étrangères.

Les habitants de la péninsule de Corée, tant au Nord qu’au Sud, méritent notre soutien et notre respect, et pas encore plus de diabolisation et de moqueries. L’usage par les médias étasuniens d’une tromperie et d’un racisme aussi extrêmes, dans leur manière de dépeindre la situation dans la péninsule de Corée, devrait susciter une indignation mondiale.

Caleb Maupin

Caleb Maupin est un analyste politique et un militant basé à New York. Il a étudié les sciences politiques Baldwin-Wallace College et a été inspiré par le mouvement Occupy Wall Street, dans lequel il s’est impliqué, spécialement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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