Où sont passés tous les nazis ?


Par CJ Hopkins – Le 17 août 2018 – Source Counterpunch

Il semble donc que les Antifa ont fait si peur à l’armée des nazis enhardis de Trump qu’ils se sont terrés dans leurs trous, ou du moins c’est l’interprétation que donne la Résistance aux bizarres événements de dimanche dernier. Au cas où vous ne seriez pas au courant, voilà ce qui s’est passé : des milliers de manifestants « antifascistes » sont descendus dans les rues de la capitale pour empêcher vingt ou trente idiots racistes de se rassembler sur la place Lafayette et crier des slogans racistes les uns aux autres (ou pour les tabasser).

L’organisateur de ce fiasco ridicule (je parle du fiasco raciste, pas de la contre-manifestation) était le même idiot raciste, avide d’attention publique, qui avait organisé l’événement initial, Unite the Right, à Charlottesville en 2017. Pendant ce week-end, comme vous le savez, un suprémaciste blanc a foncé dans la foule des manifestants avec sa voiture et tué une femme, de nombreuses autres personnes ont été agressées, et quelques centaines de racistes en polos et pantalons kaki ont défilé avec des torches en hurlant des sornettes néo-nazies pour tenter de lancer une sorte de guerre raciale, ou pour protester contre l’enlèvement d’une statue, ou quelque chose du genre.

Dimanche dernier a été un peu moins dramatique. Les vingt ou trente racistes ont été escortés par des centaines de policiers anti-émeute et de membres des services secrets jusqu’à Lafayette Square, où ils se sont retrouvés entourés de milliers de manifestants, dont beaucoup avaient l’intention de leur arracher les tripes. Ça devait être quelque peu impressionnant, parce qu’il semble que les racistes aient fui leur propre « rassemblement » sans même se crier leurs sornettes nazies. Ce qui a dû être extrêmement décevant pour le contingent de militants « antifascistes », qui comptait sur un bon combat de rue. Selon le New York Times, un groupe de militants frustrés a essayé de brûler un drapeau confédéré, mais il ne voulait pas prendre feu, alors ils ont été forcés de le déchirer de leurs mains et de sauter dessus. D’autres militants « antifascistes » ont jeté des œufs anti-nazis sur les flics, sans doute en « auto-défense préventive », ou simplement pour permettre à Breitbart de faire une vidéo les dépeignant comme des « terroristes ». Le reste du contingent « antifasciste », un peu moins militant, et dont la plupart n’avaient même pas pu entrevoir les nazis « enhardis » auxquels ils étaient venus s’opposer, s’est apparemment dispersé sans incident.

Les médias dominants et le reste de la Résistance fustigeaient l’idée de ce rassemblement depuis des mois. La photo tristement célèbre des nazis avec leurs torches avait été publiée à l’envie tout au long de l’été. Il y a eu des articles sur Kessler, l’organisateur, dont les activités semblent avoir été principalement financées par sa grand-mère, avec qui il avait également vécu, dans les principaux journaux internationaux. La couverture médiatique a atteint son point culminant au début du weekend. Samedi, il a été invité à la radio publique nationale, où il a donné son point de vue sur « l’intelligence raciale ». Allez regarder sur Google et émerveillez-vous de la quantité de publicité gratuite qui a été accordée à ce fanatique.

Et pas seulement par les médias dominants. La gauche militante « antifasciste » avait également promu ce soi-disant « rassemblement » en en faisant le Retour de la Vengeance de l’Épouse de Charlottesville. On a sollicité les groupes amis. On a imprimé des affiches « antifascistes ». Créé des hashtags militants sur Twitter. Peint des slogans « antifascistes », comme « Il faut des balles pour se débarrasser des fachos » et « Chasser le régime fasciste de Trump/Pence », sur des pancartes et des bannières. Le dimanche matin, les médias sociaux bourdonnaient de milliers de tweets et de messages de gens qui espéraient « tabasser un nazi ». Les Antifa se réjouissaient évidemment à la perspective d’une « autodéfense préventive » pure et dure… Il ne leur manquait plus que quelques centaines de nazis.

Ce fut donc un peu gênant, et c’est un euphémisme, quand seulement une dizaine ou deux de racistes se sont montrés, au lieu des hordes de tatoués de swastika, de nazis criant « Sieg heil ! » que la Résistance espérait. Après toute l’énergie et l’argent qu’ils avaient investi pour convaincre des millions de progressistes crédules que l’Amérique était menacée existentiellement par des légions de fascistes « enhardis » par Trump (et quelque part liés à Vladimir Poutine), voilà que se pointe cette minuscule bande de racistes asociaux pour « le grand rassemblement nazi »… Cela ridiculise un peu la narrative officielle qu’ils ont vendue à tout le monde, non ?

Selon la narrative officielle que les classes dirigeantes capitalistes mondiales et les médias dominants répandent depuis que Hillary Clinton a perdu l’élection, l’Amérique et la démocratie sont attaquées par une vaste conspiration de Russes et de Nazis (je les ai appelés « les Poutine-Nazis »), nominalement dirigée par Donald Trump, mais en fait contrôlée par Vladimir Poutine, qui essaie d’annihiler « l’Occident » et d’établir un empire russo-nazi qu’il gouvernera personnellement avec une poigne de fer.

Toujours selon cette narrative, en 2015, Poutine et ses nazis russes, furieux que nous ayons fomenté un coup d’État avec nos nazis ukrainiens sur leur frontière sud, ont activé Donald Trump, qu’ils avaient recruté dans les années 1980 (puis fait chanter avec une vidéo sexuelle vingt ans plus tard) et qui s’était fait passer pour un clown narcissique milliardaire en attendant le « signal d’activation » de ses maîtres de Moscou. Trump s’est immédiatement mis en action, en annonçant sa candidature le 16 juin, et en « enhardissant » les millions de nazis américains qui attendaient patiemment le jour où un marchand de bien raciste de New York s’élèverait des profondeurs de la télé-réalité pour les mener à la victoire dans une guerre raciale 1 ou quelque chose comme ça. Jusqu’à ce que Trump annonce sa candidature, ces nazis américains avaient fait profil bas en se faisant tatouer des croix gammées sur le visage, en arborant des drapeaux confédérés dans leur cour, en brûlant des croix, en postant des appels au génocide sur des sites nazis et, à l’occasion, en assassinant des gens de couleur et en faisant sauter des églises et des jardins d’enfants. Dès que Trump a commencé sa campagne électorale, cependant, les nazis ont abandonné toute retenue et se sont mis au travail en postant des grenouilles nazies 2 sur les médias sociaux, en faisant le tour des campus pour distribuer de livres nazis, et en se rassemblant dans des restaurants italiens chics pour être photographiés en train de faire le salut hitlérien.

Tout cet « enhardissement » a culminé avec le tristement célèbre rassemblement de Charlottesville l’été dernier, qui, comme l’a fait remarquer la Résistance, était une Nuit de Cristal… sauf qu’il n’y pas eu de pogrom à Charlottesville et que quatre-vingt-onze juifs n’ont pas été assassinés. Mais, à part cela, c’était exactement la même chose. Trump les a enhardis, puis les a ouvertement tolérés, et étant donné qu’il est un agent russe, nous pouvons supposer que les ordres viennent directement de Poutine, qui a probablement des agents dans la clandestinité fasciste, peut-être dans la cave de la grand-mère de Kessler, et qui a empoisonné des gens pris au hasard à Salisbury (je parle de Poutine, pas de la grand-mère de Kessler), et a peut-être orchestré la nazification du Parti travailliste par Jeremy Corbyn, et qui a influencé les gens par des messages sur Facebook, et Dieu sait quelles autres horreurs il a bien pu commettre… On en arrive à un point où c’est difficile d’être au courant de tout et de ne rien oublier !

Quoi qu’il en soit, après la Nuit de Cristal de Charlottesville, la Résistance s’est mise au travail en traquant les nazis, les faisant arrêter ou virer de leur travail, ou en venant simplement à leurs misérables petits rassemblements pour faire sortir à coup de pied le Hitler qui vit en eux. Étant pour la plupart idiots, ils n’étaient pas difficiles à trouver… en tout cas le genre Kessler qui défile avec des torches ne l’était pas. Il ne s’agit pas ici de la Confrérie aryenne. Il s’agit de créatures comme les Crying Nazis, Richard Spencer (un autre chouchou des médias), Andrew Auernheimer (pseudo « Weev »), de groupes comme les Proud Boys (dont vous n’avez probablement jamais entendu parler à moins de circuler dans la mouvance « antifasciste »), et d’autres idiots qui n’ont absolument rien à voir avec le pouvoir réel aux États-Unis, ou ailleurs.

C’est la question du pouvoir qui, bien sûr, est au cœur de l’hystérie nazie que la Résistance tente de propager, enfin, quand ils ne sont pas trop occupés à nous bassiner avec l’hystérie Trump-est-un-agent-russe. Comme je l’ai souligné dans plusieurs autres articles, il n’y a pas d’« attaque russe contre la démocratie » et il n’y a pas non plus de « marée noire » de nazis enhardis qui menacerait l’Occident. Tout ce qui se passe réellement, c’est que les classes dirigeantes capitalistes mondiales mènent une opération psychologique (PSYOP) contre-insurrectionnelle, dont l’objectif est de réprimer la résistance « populiste » au capitalisme mondial. Je ne veux pas dire qu’un groupe de conspirateurs capitalistes mondiaux se réunirait pour monter de telles opérations. Non, c’est simplement le système qui réagit (en tant que système) pour éliminer une menace interne et rétablir son contrôle sur son environnement qui, dans ce cas, est la planète entière (car le capitalisme mondial n’a pas d’ennemis extérieurs).

Cette PSYOP de contre-insurrection consiste, d’une part, à délégitimer quiconque et tout ce qui fait obstacle au capitalisme mondial. Peu importe que l’opposition provienne de ce que la plupart d’entre nous considèrent comme la « gauche » ou la « droite ». Le capitalisme mondial ne s’en soucie pas. Il ne peut tout simplement pas s’offrir de bouleversements majeurs comme le référendum sur le Brexit et l’élection de Trump, dans son entreprise de privatisation de tout ce qui existe (qu’il a commencée au début des années 1990, immédiatement après la fin de la guerre froide). Ces insurrections populistes se nourrissent les unes les autres. Un jour, ce sont les nationalistes qui abandonnent l’UE, le lendemain, ce sont les socialistes qui boycottent Israël, puis, ce pourraient être les Américains qui réclament des soins de santé universels, une formation universitaire subventionnée ou la démilitarisation de la police nationale. La situation pourrait devenir incontrôlable assez rapidement.

L’autre but de cette PSYOP de contre-insurrection est de fabriquer autant d’hystérie et de paranoïa que possible dans la population, à propos des agents russes et des nazis « enhardis ». Et ça marche… S’opposer au capitalisme mondial est un travail difficile et peu gratifiant. C’est tellement plus facile (et beaucoup plus amusant) de traquer les Russes et des nazis imaginaires. Et si vous ne connaissez pas d’agents russes, ou si vous ne pouvez pas trouver de vrais nazis, pas de soucis, il y a beaucoup de « défenseurs » d’Assad, de Poutine, d’Alex Jones, des terroristes, beaucoup  de racistes anti-transgenres, de socialistes britanniques antisémites et de crypto-fascistes « rouge bruns », sans parler de Susan Sarandon et de tous ceux qui n’ont pas voté pour Clinton. Vous pouvez les traquer et les insulter sur Facebook dans le confort de votre foyer. Je suis relativement sûr que les modérateurs d’Internet de l’Atlantic Council ne vous en empêcheront pas. Par contre, faites attention à ce que vous dites sur la CIA, du FBI, de la NSA et autres vaillantes sociétés et organisations non gouvernementales qui « travaillent ensemble pour assurer l’avenir ».

Oh et si vous voyez l’un de ces nazis ramper hors de sa cachette, ou quelqu’un qui a l’air d’être sur le point de commettre un acte de génocide verbal, n’hésitez pas ! Arrachez-lui les yeux ou ce que vous voulez… Parce que nous ne pouvons pas nous permettre de laisser un pouce de terrain à ces nazis. Bonne journée, et bonne chasse !

Traduction : Dominique Muselet

Notes

  1. Dans le texte : RaHoWa : Racist Holy War
  2. Allusion à la grenouille Pepe, moustachue et à croix gammée, utilisée dans la propagande nazie. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pepe_the_Frog
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