Par Andrew Korybko – Le 4 septembre 2018 – Source orientalreview.org
La commission à l’examen des affaires économiques et de sécurité entre les États-Unis et la Chine déclare que Pékin procède à une opération d’influence importante à l’intérieur des institutions américaines.
Le rapport, publié il y a peu, sonne l’alarme sur ce que ses auteurs décrivent comme des actions clandestines de la Chine « de faire porter par des tiers ses messages, en partie parce que [Pékin] croit que les étrangers seront plus réceptifs de la propagande si elle semble provenir de sources non-chinoises », dans ce qui est décrit par Josh Rogin, du Washington Post, comme une vaste campagne « influençant les influenceurs » et « amenant des américains à porter le message [chinois] à d’autres américains ». Certains des exemples cités comprennent un financement présumé de divers think tanks de la Beltway [il s’agit des think tanks américains proches de pouvoir, implantés à l’intérieur du périphérique de Washington DC, d’où cette désignation, NdT], ainsi que de la création d’ONG socio-culturelles accusées de constituer des façades aux services de renseignements.
Bien que cela ne soit pas ouvertement dit, il est fortement insinué que la Chine prend part à une soi-disant « longue marche au sein des institutions » pour modifier les politiques et les perceptions américaines depuis l’intérieur. Cette notion avait été abusée de manière tristement célèbre lors de la chasse aux sorcières de McCarthy, quand l’« État profond » américain avait purgé publiquement une faction rivale et ses supposés soutiens au sein de la société civile, en les accusant de conspirer contre les intérêts du pays. Un processus similaire pourrait se produire aujourd’hui également, si l’administration Trump utilisait les conclusions de la commission pour agir contre ses ennemis institutionnels et en même temps envoyer un message à Pékin, comme part de ce qu’on appelle la « guerre commerciale » en cours.
Même à supposer que les accusation formulées envers la République populaire soient en tout ou partie avérées, il ne s’agirait pas d’une grande première : les USA ont pratiqué et continuent de pratiquer ce type d’opération d’influence envers d’autres pays depuis des décennies. Non que l’on veuille ici atténuer la portée possible de ces actions par « jemenfoutisme », mais le point ici est que les USA pourraient bien subir aujourd’hui un retour de bâton, après avoir ouvert la boîte de Pandore et perdu leur ancien monopole des ces tactiques de manipulation de la perception. Et de fait, la volonté proactive américaine de se protéger de ce scénario pourrait même expliquer pourquoi le pays a commencé il y a déjà des années à se transformer en « État de sécurité nationale ».
De nos jours, La société interconnectée offre un terrain fertile à l’influence de publics étrangers par moyens indirects, décrits dans le rapport et jusqu’à présent maîtrisés par les USA, et le seul moyen pour l’« État profond » américain de protéger ses intérêts et de garder le contrôle du récit national est, paradoxalement, d’aller à l’encontre de ses valeurs affichées d’ouverture, de liberté d’expression, et du marché des idées. De nombreux pays, comme la Russie, reconnaissent prendre des mesures contre ces tactiques, mais les USA se retrouvent en situation de dilemme : l’une des fondations de leur « soft power» est justement qu’ils ne prendraient jamais de telles mesures, tout en attaquant ceux qui en prennent.
Edward Snowden a exposé au grand jour ces doubles standards, et les dégâts irréparables que ses révélations, factuelles ont généré et ont infligé à la réputation de l’Amérique à l’étranger constituent l’une des raisons pour lesquelles il pourrait se faire exécuter par son gouvernement, si jamais il était capturé. Mais quoi qu’il en soit, les USA peuvent tenter de « justifier » la surveillance généralisée de leurs propres citoyens, sur la base qu’il faudrait les protéger contre de sombres opérations d’influences. Si le pays décidait d’adopter ce type de récit, le renversement stupéfiant que cela constituerait serait également le signal que les USA se préparent à changer de position sur leur « soft power », en ces temps où Trump continue de remodeler l’image mondiale de l’Amérique.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 31 août 2018
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone