Mais non Cassandre, l’économie chinoise ne se heurte pas à un mur


Par Moon of Alabama – Le 12 septembre 2023

L’économiste et chroniqueur du New York Times, Paul Krugman, a écrit à propos de la Chine qui irait droit dans le mur :

La Chine a de gros problèmes. Il ne s’agit pas d’un revers mineur en cours de route, mais de quelque chose de plus fondamental. L’ensemble du mode de fonctionnement du pays, le système économique qui a été à l’origine de trois décennies de croissance incroyable, a atteint ses limites. On pourrait dire que le modèle chinois est sur le point de heurter sa grande muraille, et la seule question qui se pose maintenant est de savoir quelle sera l’ampleur de l’effondrement.

Les salaires augmentent ; enfin, les Chinois ordinaires commencent à partager les fruits de la croissance. Mais cela signifie aussi que l’économie chinoise est soudain confrontée à la nécessité d’un « rééquilibrage » drastique – l’expression jargonnante du moment. Les investissements se heurtent désormais à des rendements fortement décroissants et vont chuter drastiquement, quoi que fasse le gouvernement ; les dépenses de consommation doivent augmenter de façon spectaculaire pour prendre leur place. La question est de savoir si cela peut se produire assez rapidement pour éviter un terrible effondrement.

C’est ce qu’il a écrit en 2013, lorsque le PIB de la Chine à parité de pouvoir d’achat (PPP) atteignait 16 300 milliards de dollars. Depuis, ce chiffre a plus que doublé pour atteindre 33 000 milliards de dollars en 2023. (Dans le même laps de temps, le PIB (en PPP) des États-Unis est passé de 17 à 26 000 milliards de dollars). Mais cela n’a pas influencé les conclusions de Krugman. Il y a deux semaines, il a écrit un autre article qui brosse le même tableau sombre et prescrit les mêmes faux médicaments :

Depuis la fin des années 2000, la Chine semble avoir perdu beaucoup de son dynamisme.

… La Chine ne peut manifestement pas maintenir des taux de croissance aussi élevés que par le passé.

À un niveau fondamental, la Chine souffre du paradoxe de l’épargne, selon lequel une économie peut souffrir si les consommateurs essaient d’épargner trop. Si les entreprises ne sont pas disposées à emprunter et à investir tout l’argent que les consommateurs essaient d’épargner, il en résulte un ralentissement économique. Un tel ralentissement pourrait bien réduire le montant que les entreprises sont prêtes à investir, de sorte qu’une tentative d’épargner davantage peut en fait réduire l’investissement.

La réponse évidente est de stimuler les dépenses de consommation. Inciter les entreprises publiques à partager une plus grande partie de leurs bénéfices avec les travailleurs. Renforcer le filet de sécurité. Et à court terme, le gouvernement pourrait simplement donner de l’argent aux gens – en envoyant des chèques, comme l’a fait l’Amérique.

Comment le fait de donner des chèques (en passant : aucun citoyen chinois ou européen n’utilise ces instruments antiques) à des personnes qui épargnent au lieu de consommer est-il censé augmenter leur consommation ? Je suppose qu’il s’agit plutôt d’une augmentation de leur épargne. Donner plus de revenus à des gens qui aiment épargner pour augmenter la consommation, c’est comme tirer sur une ficelle.

David Fishman, un économiste qui vit en Chine et parle le mandarin, a eu une conversation intéressante avec un chauffeur de taxi. Il conclut :

  1. Même après l’achat d’une propriété, des considérations à long terme poussent Yang à épargner, en particulier sa fille et ses parents.

  2. Yang et sa femme renoncent à consommer pour atteindre leurs objectifs à long terme, même en exerçant un travail supplémentaire, afin de mettre de l’argent de côté pour ces objectifs.

  3. Il associe les habitudes de consommation libre à la jeunesse et au manque de responsabilité. Aujourd’hui, sa consommation est stratégique et intentionnelle.

  4. Il n’est pas perturbé par la perspective d’une perte de valeur des biens immobiliers, puisqu’il a acheté sa maison pour y vivre et n’a pas l’intention de la revendre.

La macroéconomie n’est pas mon domaine de prédilection.

Mais si j’entends un expert parler des consommateurs chinois et de la manière dont ils se comporteront ou ne se comporteront pas en réponse à une politique gouvernementale, je me demanderai toujours à quoi ressemble son modèle mental du comportement de ce consommateur chinois générique.

Pour être crédible, ce modèle de comportement du consommateur devrait probablement ressembler à Yang, prêt à travailler un peu plus et à renoncer à la consommation, non pas par nécessité financière actuelle, mais pour se préparer à être un bon fils, et pour que sa fille de 3 ans puisse un jour prendre des leçons de danse.

Et c’est là le problème de Krugman lorsqu’il s’agit de diagnostiquer l’économie chinoise. Les Chinois travaillent dur. Et ils aiment épargner au lieu de consommer tous leurs revenus. Ils prennent leur retraite assez tôt mais vivent longtemps (bien que l’âge de la retraite soit susceptible d’augmenter). Le fait d’avoir un peu d’argent de côté permet donc de mieux vivre plus tard :

L’âge officiel de la retraite pour les hommes est de 60 ans. Les femmes occupant des postes de direction peuvent partir à la retraite à partir de 55 ans, tandis que les ouvrières peuvent prendre leur retraite à partir de 50 ans.

Les Chinois ne sont tout simplement pas des Américains. Mais les modèles économiques de Krugman supposent qu’ils le sont et il n’est pas disposé ou capable de regarder au-delà.

Pourtant, il était sur la bonne voie lorsqu’il a commencé son article par ces mots :

Le discours sur la Chine a changé à une vitesse stupéfiante, passant d’un rouleau compresseur inarrêtable à un géant pitoyable et impuissant.

Il est vrai que le discours sur l’économie chinoise a changé bien plus que les chiffres économiques de la Chine. Mais Krugman ne se demande pas pourquoi.

Certains affirment que ce changement de discours sert les intérêts des investisseurs :

Premièrement, les préoccupations les plus marquantes des commentateurs occidentaux reflètent la distribution asymétrique des capitaux étrangers au sein de l’économie chinoise.

La deuxième caractéristique concerne la dépendance de l’industrie financière à l’égard de l’art de la narration politico-économique pour vendre des options d’investissement.

Mais il s’agit probablement davantage d’un instrument politique destiné à soutenir la guerre générale des États-Unis contre la Chine.

Newsweek a récemment publié un article plutôt risible qui se demandait si Shanghai (25 millions d’habitants permanents) était devenue une « ville fantôme« .

Les rédacteurs du Global Times voient des motifs politiques derrière ces récits sur la « mauvaise Chine » :

Si Newsweek était le seul à agir de la sorte, il s’agirait d’un cas isolé, qui témoigne de l’éthique professionnelle problématique de l’organe de presse mais dont l’impact négatif ne serait pas significatif. Toutefois, depuis mars ou avril de cette année, Newsweek, mais aussi d’autres médias américains et occidentaux, utilisent de manière sélective des données spécifiques sur un certain point ou dans un certain domaine pour généraliser, voire fabriquer, des informations destinées à nuire à l’économie chinoise. Il s’agit d’une campagne coordonnée et à grande échelle, avec des étapes cohérentes, des actions intenses et un contenu étendu, ce qui est rare ces dernières années. Peut-on dire qu’il s’agit d’une coïncidence ?

Le discours sur la « mauvaise Chine » est un phénomène économique, mais il est utilisé pour des raisons politiques :

Dans le domaine de l’économie, il existe un terme appelé économie narrative, qui utilise la narration pour influencer les jugements, même au prix de la création de fausses informations, pour saper le moral et la confiance de la cible et tenter de dissuader les investissements étrangers, ce qui a un impact substantiel sur l’économie. Les États-Unis ont ouvertement considéré la Chine comme leur principal concurrent et la traitent même comme un ennemi imaginaire dans de nombreux aspects pratiques. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils s’engagent dans une concurrence loyale contre la Chine. Afin de remporter cette « compétition » qu’ils ont eux-mêmes initiée, les États-Unis ont souvent recours à tous les moyens possibles. Cette perspective peut expliquer le phénomène par lequel les États-Unis dénigrent l’économie chinoise de manière collective et peut également prédire approximativement les actions futures des États-Unis à l’égard de la Chine, ce qui indique qu’elle s’aligne sur les faits de base.

Le problème des récits sur « l’avenir sombre de la Chine » est qu’il s’agit de propagande. La propagande ne change pas la réalité. Elle s’effondre lorsqu’elle est confrontée aux faits.

La propagande de guerre s’effondre lorsqu’une guerre est perdue. La propagande économique s’effondre lorsque les nouveaux chiffres sont publiés. La propagande pessimiste de Krugman en 2013 a été battue en brèche par la croissance de la Chine. Sa propagande pour 2023 risque de connaître le même sort.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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