L’Occident fait de la paranoïa au sujet du sommet des BRICS


Par M.K. Bhadrakumar – Le 9 aout 2023 – Source Indian punchline<

La semaine dernière, Reuters a publié un rapport spéculatif disant que le Premier ministre indien Narendra Modi pourrait ne pas assister en personne au sommet des BRICS à Johannesburg et, en outre, que l’Inde n’était pas favorable à un élargissement du groupe. En dépit de la longue histoire de Reuters en matière de manipulation genre guerre froide, les médias indiens crédules sont tombés dans le piège de cette rumeur.

Cela a créé une certaine confusion, mais seulement momentanément. L’Afrique du Sud est consciente qu’avec l’état actuel de ses relations bilatérales avec les États-Unis, les excellentes relations personnelles du président Cyril Rampaphosa avec le président russe Vladimir Poutine, le séjour des BRICS sur la voie de la « dédollarisation » et ses projets d’expansion, on attend beaucoup du rôle constructif de Modi pour faire de l’événement à Johannesburg un jalon historique dans la politique mondiale du 21e siècle.

Les propos du ministre sud-africain des affaires étrangères, Naledi Pandor, à propos de l’article de Reuters sont tout à fait pertinents. Pandor a déclaré : « J’ai parlé à plusieurs collègues au sein du gouvernement et à l’extérieur, et tout le monde a été stupéfait par cette rumeur. Je pense que quelqu’un qui essaie de gâcher notre sommet crée toutes sortes d’histoires qui suggèrent qu’il ne sera pas couronné de succès. Le premier ministre indien n’a jamais dit qu’il ne participerait pas au sommet. Je suis en contact permanent avec le ministre des affaires étrangères Jaishankar. Il n’a jamais dit cela. Nos sherpas sont en contact et ils ne l’ont jamais dit. Nous avons donc tous essayé de chercher l’aiguille dans la botte de foin qui est à l’origine de cette rumeur« .

Il n’y a pas si longtemps, l’Occident se moquait des BRICS comme d’un papillon inefficace battant des ailes dans le vide d’un ordre mondial dominé par le G7. Mais l' »effet papillon » se fait sentir aujourd’hui dans la refonte de l’ordre mondial.

En termes simples, le flot torrentiel d’événements survenus l’année dernière autour de l’Ukraine a fait remonter à la surface la lutte existentielle de la Russie contre les États-Unis, ce qui a déclenché un changement tectonique dans le paysage international, dont l’un des aspects transformateurs est la montée du Sud global et son rôle de plus en plus important dans la politique internationale.

L’administration Biden ne s’attendait pas à ce qu’une polarisation visant à isoler la Russie et la Chine aboutisse à une telle situation. Paradoxalement, le « double endiguement » de la Russie et de la Chine par Washington, tel qu’il est inscrit dans la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden, a marqué le début de la révolte des pays du Sud contre le contrôle des grandes puissances, du repositionnement de leur statut et de leur rôle sur la scène internationale, et de la recherche d’une confiance en soi et d’une autonomie sur le plan stratégique.

L’Arabie saoudite en est un exemple frappant : elle a adopté une trajectoire indépendante dans des points chauds régionaux tels que le Soudan ou la Syrie, elle a calibré le marché mondial du pétrole dans le cadre de l’OPEP + plutôt que d’obéir aux diktats de Washington, et elle cherche à devenir membre des BRICS.

Les pays en développement gagnent en marge de manœuvre dans le jeu des grandes puissances et leur influence politique s’accroît rapidement. Leur indépendance diplomatique et leur autonomie stratégique dans le contexte de la crise ukrainienne ont accéléré leur ascension en tant que force émergente dans la politique mondiale en un laps de temps remarquablement court.

Ce qui incite les 23 pays non occidentaux à demander officiellement leur adhésion aux BRICS – bien que le groupe n’ait même pas de secrétariat – c’est que le groupe est perçu aujourd’hui comme la principale plateforme du Sud global pour prôner un ordre mondial plus équitable et qui, par conséquent, a un rôle à jouer dans le destin de l’humanité.

Dès leur création, les BRICS ont été suffisamment avisés pour ne pas injecter d' »antioccidentalisme » dans leur programme – en fait, aucun de leurs membres fondateurs n’a de « mentalité de bloc« . Mais cela n’a pas empêché l’Occident de se sentir menacé. En réalité, cette perception de la menace émane d’une peur morbide de l’extinction de la domination occidentale sur l’ordre politique et économique et sur le système international, vieille de quatre siècles, qui touche à sa fin.

Le néo-mercantilisme, qui est essentiel pour enrayer le déclin des économies occidentales, est remis en question de manière frontale, comme nous le constatons en temps réel au Niger. Sans le transfert massif de ressources en provenance d’Afrique, l’Occident est confronté à un avenir sombre. Le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a déclaré dans un moment de faiblesse que l’Occident, un jardin bien entretenu, était menacé par la jungle extérieure. Les peurs ataviques et les instincts implicites dans la métaphore de Borrell sont tout simplement stupéfiants.

D’où une telle frénésie à détruire les BRICS, à affaiblir leur détermination, à ternir leur image et leur réputation, et à les empêcher de prendre de l’élan. Hélas, le même vieil état d’esprit colonial « diviser pour mieux régner » est à l’œuvre pour amplifier les différences et les désaccords entre les États membres des BRICS.

La controverse concernant la position de l’Inde sur l’expansion des BRICS ne peut être perçue que de cette manière. La semaine dernière, à la suite de la rumeur lancée par Reuters, le porte-parole du ministère indien des affaires étrangères s’est senti obligé de clarifier à nouveau la situation : « Permettez-moi de le répéter encore une fois. Nous avons déjà clarifié notre position par le passé. Comme les dirigeants l’ont demandé l’année dernière, les membres des BRICS discutent en interne des principes directeurs, des normes, des critères et des procédures pour le processus d’expansion des BRICS sur la base d’une consultation et d’un consensus complets. Comme l’a indiqué notre ministre des affaires étrangères, nous abordons cette question avec un esprit ouvert et une perspective positive. Nous avons assisté à des spéculations sans fondement… selon lesquelles l’Inde aurait des réserves à l’égard de l’élargissement. Ce n’est tout simplement pas vrai. Permettez-moi donc d’être très clair à ce sujet. »

En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle Modi prévoyait de ne pas se rendre à Johannesburg, le porte-parole indien a réagi en ces termes : « Je vous invite à ne pas vous fier aux informations spéculatives des médias. Lorsque nous serons en mesure de parler, d’annoncer de telles visites de haut niveau, nous le ferons certainement, et vous saurez que c’est notre pratique. Pour l’instant, je vous demande à tous d’être patients et de nous laisser l’annoncer au bon moment. »

De même, la conspiration anglo-américaine derrière le mandat d’arrêt de la CPI contre Poutine est évidente. La Russie a été l’un des pionniers des BRIC et le premier sommet du groupe a eu lieu à Ekaterinbourg en 2008 [qui, soit dit en passant, s’est terminé par une déclaration commune mettant en garde contre la domination mondiale du dollar américain en tant que monnaie de réserve standard].

Poutine fait campagne sans relâche pour la « dédollarisation » et est aujourd’hui la voix qui résonne le plus sur cette question sur la scène internationale. Le pronostic de Poutine a été largement accepté dans le Sud, comme le montre l’exode des pays qui optent pour des monnaies nationales pour régler leurs paiements mutuels. Washington est de plus en plus préoccupé par le fait qu’un processus de « dédollarisation » gagne du terrain dans le système financier international à la suite de l’utilisation excessive des sanctions et de la saisie arbitraire des réserves de dollars des pays considérés comme récalcitrants.

Il est intéressant de noter que Bloomberg a publié un article sur le sommet des BRICS intitulé « Ce club n’est pas assez grand pour la Chine et l’Inde« . Sa thèse est que « les tensions entre les rivaux asiatiques empêcheront probablement le bloc des BRICS de poser un défi cohérent à l’Occident« . Il s’agit d’une tentative éculée de s’attarder sur les contradictions qui existent entre la Chine et l’Inde pour creuser un fossé et saper l’unité des BRICS.

Il est vrai que l’Inde peut s’inquiéter de la domination de la Chine sur le groupe des BRICS. Mais la Chine est également un fervent défenseur de l’expansion des BRICS et d’une représentation accrue des pays en développement. N’y a-t-il pas là une convergence stratégique ?

Fondamentalement, malgré leur différend frontalier non résolu, l’Inde et la Chine partagent la même vision selon laquelle les BRICS jouent un rôle essentiel sur la scène multilatérale mondiale. Les deux pays considèrent également les BRICS comme une plateforme leur permettant d’améliorer leur statut et leur influence au niveau international. C’est cette communauté d’intérêts qui inquiète l’Occident.

Pour l’Inde, les BRICS constituent une plateforme instrumentale favorable à la réalisation de son aspiration à une plus grande représentation sur la scène internationale. Par conséquent, le succès des BRICS ne peut que renforcer la politique étrangère de l’Inde – et pourrait même créer une énergie et une ambiance positives dans ses relations avec la Chine.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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2 réflexions sur « L’Occident fait de la paranoïa au sujet du sommet des BRICS »

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