Les opérations de sauvetage économique commencent …


… à qui le gouvernement donnera-t-il l’argent ?


Par Eric Zuesse − Le 21 mars 2020 − Source Strategic Culture

Eric ZuessePartout dans le monde, les gouvernements sont confrontés à une forte activité de lobbyistes cherchant à obtenir leur renflouement par leur gouvernement.

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© Photo: Wikimedia

L’activité est féroce et terriblement compétitive, car certains lobbies ont plus d’argent à leur disposition que d’autres, et différents politiciens doivent leur carrière à différents types de lobbies ; ainsi, par exemple, si un politicien est financé principalement par l’industrie pétrolière et un autre par l’industrie du commerce de détail, ces deux politiciens chercheront probablement à sauver des intérêts particuliers différents. Puisqu’il y aura maintenant un nombre très important de faillites, il y aura un énorme besoin pour les gouvernements de réorienter la richesse, quelle que soit l’opposition au socialisme d’un gouvernement donné.

En temps normal, la richesse totale de la société augmente, et donc de telles interventions gouvernementales, qui résultent des compétitions de routine entre les lobbyistes, sont généralement destinées à des fonds fédéraux qui devraient provenir de la croissance des dépenses gouvernementales. Cependant, à une époque comme d’aujourd’hui, alors que nous sommes au début d’une dépression, qui signifie une période de baisse de richesse, cette concurrence entre les lobbies est beaucoup plus intense, car la survie économique des entreprises est en jeu.

La dépression mondiale du coronavirus commence par la nécessité d’augmenter la «distance sociale», ce qui signifie la séparation physique des individus les uns des autres et en particulier des étrangers. Cela signifie immédiatement que les détaillants locaux avec des magasins réels, “en dur”, verront moins de trafic alors qu’Amazon et d’autres détaillants en ligne verront plus de trafic ; et donc, en l’absence de la corruption gouvernementale existante, l’imposition sur ce dernier groupe – les détaillants en ligne – devrait augmenter pour financer les premiers – les magasins réels – qui ne feraient pas faillite. Ce serait un exemple du type de socialisme – social démocratique – qui existerait si le gouvernement n’était pas corrompu – c’est-à-dire s’il était démocratique, au lieu d’aristocratique – autrement appelé «oligarchique» ou «kleptocratique». Ici, le mot «aristocratie”, au sens moderne et bourgeois du terme, signifie contrôlé par un groupe privilégié par la richesse [et non quel-qu’autre vertu des temps anciens, NdT].

En outre : les restaurants, les cinémas et d’autres industries qui dépendent de la foule feront faillites, tandis que les services de livraison de biens et services concurrents – comme la livraison à domicile et, encore une fois, les fournisseurs en ligne – connaîtront une fréquentation accrue.

Tous les types de services de voyage et de tourisme feront faillite, ce qui signifie également que l’aviation commerciale pour les passagers sera durement touchée et verra des faillites, mais les services de fret aérien seront peu affectés et, par conséquent, ces derniers seraient plus taxés et les premiers – passagers des services aériens – seraient moins taxés, s’il n’y avait pas de corruption ; c’est-à-dire, si le pays était démocratique, et non oligarchique.

Le fascisme pourrait être défini comme un système de gouvernement corrompu, car il s’agit d’une forme de gouvernement qui ne valorise que certains groupes qui détiennent le pouvoir, et il dévalorise tous les autres groupes. Par conséquent, dans les circonstances actuelles, le type de redistribution des richesses qui a été décrit ci-dessus pour les démocraties ne se produira pas, mais, au contraire, les industries qui sont écrasées par les conséquences de la catastrophe du coronavirus seront laissées à l’abandon, puis noyées, et les industries qui sont stimulées par la catastrophe ne seront pas surtaxées pour en avoir bénéficié. Mais la situation dans les pays fascistes sera encore pire que ce qui vient d’être décrit ici. La redistribution de richesse la plus systématique se produira au niveau financier, où les options auxquelles les gouvernements étaient confrontés lors du krach financier de 2008 réapparaîtront mais avec une intensité encore plus grande : l’opportunité de diriger le renflouement vers les institutions financières géantes, qui avaient détroussé le public et ainsi provoqué la crise, plutôt qu’au public qui avait été escroqué. Pratiquement tous les renflouements ont laissé tranquilles les fraudeurs qui ont énormément augmenté leur fortune personnelle en trompant les investisseurs et les acheteurs de maisons. Pratiquement tous les dommages qu’ils ont causés à leurs victimes n’ont pas été indemnisés et n’ont reçu de ces fraudeurs aucun dédommagement. En d’autres termes : tous les gouvernements étaient réellement fascistes. Ils étaient oligarchiques, pas démocratiques. Ils ont favorisé les fraudeurs de haut niveau, pas le public. Ça, c’est du fascisme.

Pour un exemple de la façon dont cela fonctionnera dans les circonstances actuelles, le milliardaire américain Bill Ackman a déclaré le 18 mars : «J’ai acheté des actions [au plus bas] de manière agressive, y compris Hilton, aujourd’hui. Et j’ai acheté toute la liste, Hilton, les marques de restaurants et Starbucks », et il a déclaré : «Aucune entreprise ne peut survivre à une période de 18 mois [qui est le minimum auquel le ministère de la Santé et des Services sociaux s’attend] sans revenus», Bill Ackman attend donc que le gouvernement fédéral américain – via la Fed et, finalement, le Trésor américain – renfloue ces sociétés géantes avant cette échéance de 18 mois : CNBC a rapporté que «Ackman avait prédit que les actions des hôtels, y compris Hilton, pourraient « finir  à zéro» rapidement si aucune mesure n’était prise. Il est actionnaire majeur de Hilton.» De toute évidence, puisqu’il «achète tout le long», il parie [ou est déja initié, NdT] que le gouvernement américain sera à nouveau socialiste pour les riches – les gens comme lui. Donc, il veut que le gouvernement américain renfloue de grandes sociétés comme Hilton, qu’il «achète de manière agressive» dans l’espoir que le socialisme pour les riches se reproduira, comme il l’a fait avec Bush en 2008 et continué sous Obama en 2009 et après. À 11:55 dans l’interview vidéo de CNBC, il a déclaré : “Boeing ne survivra pas sans renflouement du gouvernement”, et il a dit cela en arguant que, pour les 30 prochains jours, le gouvernement devrait tout renflouer, ce qui, bien sûr n’arrivera pas. Mais les méga-corporations embauchent toutes de grandes sociétés de lobbying, qui en pratique rédigent nos lois. Fondamentalement, les entreprises de lobbying représentent les milliardaires américains, qui contrôlent les plus grandes sociétés du pays et toutes ses sociétés internationales. Les milliardaires américains s’attendent à être renfloués à nouveau, et ils s’opposent au socialisme pour tout le monde, ce qui serait démocratique. Par exemple, comment Joe Biden a-t-il battu Bernie Sanders ? Biden représente la Direction nationale du Parti démocrate, qui elle-même est constituée des méga-donateurs du Parti, qui étaient tous terrifiés par Sanders. Et ils pensent que le pays est si corrompu que le schéma va se reproduire – renflouer le gratin et abandonner tout le reste à son sort. C’est du fascisme. C’est ce que les milliardaires attendent et, en fait, exigent. Par exemple : qui peut douter que Donald Trump voudra que la holding Trump – tous ces hôtels et complexes – soit renflouée par le gouvernement fédéral ? L’Amérique est un attelage de corruption qui avance au seul profit de ses milliardaires ; c’est ce à quoi ils s’attendent et ce que le public américain tolère – comme quand, le 29 février, Biden a remporté sa première primaire présidentielle, au cours des trois tentatives de sa carrière pour remporter la nomination présidentielle démocrate.

Tout cela correspond aux priorités du président Trump. Le 10 février, USA Today a rapporté que, dans sa nouvelle proposition de budget, «Trump propose 740,5 milliards de dollars, soit une augmentation de 0,3%, des dépenses militaires pour l’exercice qui commence en octobre. Les programmes non liés à la défense seraient réduits de 5% pour atteindre 590 milliards de dollars.» Et le Wall Street Journal a rapporté que “le budget recherchera 4,4 milliards de dollars d’économies sur une décennie – et 2 milliards de dollars provenant d’économies sur les droits sociaux [Sécurité sociale, Medicare et Medicaid]”. Bien sûr, si l’Amérique était une démocratie, une personne comme Trump ne serait jamais devenue président, et son adversaire n’aurait pas non plus été Hillary Clinton ; il y aurait eu des types de dirigeants très différents, pas des dirigeants que les milliardaires ont choisis ; mais ce n’est pas une démocratie ; ainsi, le système produit des leaders comme eux.

Par conséquent, toute personne appartenant à une catégorie économique qui sera particulièrement touchée par la peste du coronavirus, comme les petites entreprises, peut raisonnablement s’attendre à ne pas être sauvée par les politiciens qui les représentent officiellement mais qui représentent en fait les méga-donateurs de ces politiciens ; et quiconque, comme Jeff Bezos [patron d’Amazon], qui appartient à une catégorie économique qui bénéficiera particulièrement de ce fléau, peut raisonnablement s’attendre à conserver la totalité ou la quasi-totalité de ses gains supplémentaires. C’est ainsi que le fascisme est censé fonctionner.

Le 18 mars également, le conseiller économique en chef de Trump, Larry Kudlow, a publiquement évoqué la possibilité que le gouvernement «prenne une position en actions» – achète des actions – dans certaines sociétés qui seraient autrement mises en faillite par le coronavirus. Cela ne serait pas nécessairement mauvais pour le public américain, car cela empêcherait non seulement les licenciements dans ces entreprises, mais cela pourrait également générer des bénéfices pour le gouvernement vendant les actions après la fin de la crise. Cependant, ce serait particulièrement bon pour les autres actionnaires de la société en question, en l’empêchant de faire faillite, cela les sauverait. Cela ne sera probablement fait que pour les sociétés contrôlées par des milliardaires, qui ont donc déjà un poids politique. Les petites entreprises sous contrôle local seront ignorées. Dans une démocratie authentique, les entreprises contrôlées par des milliardaires seraient ignorées et les entreprises contrôlées localement seraient sauvées.

Quelle que soit la société qui en ressortira, une fois la peste apaisée et disparue, sa richesse sera probablement encore plus inégalement répartie qu’aujourd’hui. Le fascisme tend à concentrer la richesse, et l’histoire récente des États-Unis est fasciste.

Bien qu’il y ait une croyance répandue selon laquelle le fascisme a disparu au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce n’était qu’au niveau militaire. Le fascisme en tant qu’idéologie s’est poursuivi et, après sa prise en charge progressive totale des États-Unis, rebaptisé par euphémisme «libéralisme», il s’est répandu à travers le monde, rebaptisé toujours par euphémisme «néolibéralisme». L’idéologie a gagné, malgré le fait que les nations fascistes ont perdu militairement en 1945. C’est une leçon d’histoire. L’Amérique n’était pas fasciste à l’époque [encore que ? NdT], mais elle l’est maintenant. Tout indique qu’avec la peste du coronavirus, cette réalité deviendra encore plus ancrée comme faisant partie de l’histoire – la victoire idéologique du fascisme après la Seconde Guerre mondiale – sous ses masques «liberal» ou «néolibéral».

Chaque gouvernement fait maintenant face à une sélection des bénéficiaires du renflouement. Tout indique, si le présent ne devait pas ressembler au passé, qu’aucun renflouement ne serait meilleur que celui qui prendrait aux plus riches pour donner aux plus pauvres, comme ce serait le cas dans une démocratie authentique – le socialisme pour tout le monde sauf pour les riches – serait la meilleure solution aux problèmes qui nous attendent aujourd’hui. Ce résultat constituerait une authentique révolution démocratique. Cependant, étant donné l’extrême inégalité des richesses qui existe déjà en Amérique, il est extrêmement peu probable que ce pays fasciste devienne une démocratie. Il est beaucoup plus probable, qu’il ne fera que devenir encore plus fasciste.

Eric Zuesse

Traduit par jj, relu par Kira pour la Saker Francophone

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