Par Moon of Alabama – Le 11 juin 2019
L’administration Trump veut réaffirmer son hégémonie sur l’Amérique latine. Cuba est l’une de ses principales cibles. Par l’intermédiaire de ses alliés de droite et par ses propres moyens, elle cible le programme d’exportation le plus réussi de Cuba – la fourniture de médecins cubains aux pays qui en ont besoin.
En 2002, l’administration Bush créait un programme pour former des juristes latino-américains à mener une « guerre contre la corruption » dans leur pays d’origine. De retour dans leur pays, les personnes formées aux États-Unis fourniront des renseignements aux américains sur les politiciens de gauche du pays. Cela permet aux États-Unis de lancer une chasse aux sorcières contre ceux qu’ils veulent mettre à l’écart.
Sérgio Moro, un juge brésilien, a participé à ce programme américain. Alimenté par une (dés)information en provenance des États-Unis, il a lancé une attaque judiciaire contre le président brésilien de l’époque, Lula, et son Parti des travailleurs. L’attaque a été victorieuse. En 2018, Lula a été mis en prison uniquement sur la base d’allégations douteuses faites par un témoin criminel.
Les transcriptions fuitées des conversations entre le juge Moro, le procureur et d’autres personnes impliquées démontrent que son intention n’était pas de servir la justice mais de faire incarcérer Lula pour empêcher son parti de gagner la présidence. Le complot a réussi et l’homme politique d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a remporté les élections. Après son investiture, il a immédiatement installé Moro comme ministre de la Justice.
Bolsonaro a immédiatement commencé à s’occuper des priorités américaines. Ce sont surtout les Brésiliens pauvres qui souffrent maintenant de ces politiques. Leur accès aux soins de santé a fortement diminué :
Pendant sa campagne présidentielle, M. Bolsonaro, un populiste de droite, s'était engagé à apporter des changements majeurs au programme Mais Médicos [Plus de médecins], une initiative lancée en 2013 alors qu'un gouvernement de gauche était au pouvoir. Le programme envoyait des médecins dans les petites villes du Brésil, les villages indigènes et les quartiers urbains violents et peuplés de gens à faible revenu. Environ la moitié des médecins de Mais Médicos étaient cubains, et ils étaient déployés dans 34 villages indigènes éloignés et dans les quartiers pauvres de plus de 4 000 villes, des endroits où les médecins brésiliens évitaient en général de s’installer. ... Les médecins cubains se plaignent depuis longtemps de ne recevoir qu'une petite partie de l'argent versé pour leur travail, et M. Bolsonaro a déclaré qu'ils devraient être autorisés à garder la totalité de leur salaire et à emmener leur famille avec eux au Brésil. Ils devaient également réussir des examens d'équivalence pour prouver leurs qualifications. "Nos frères cubains seront libérés", déclarait M. Bolsonaro dans ses propositions de campagne officielles, celles présentées aux autorités électorales. "Leurs familles seront autorisées à émigrer au Brésil. Et s'ils réussissent leur requalification, ils commenceront à recevoir le montant total volé par les dictateurs cubains !" Deux semaines après la victoire de M. Bolsonaro à la présidence en octobre, Cuba ordonnait à tous ses médecins de quitter le pays.
Il y avait un total de 11 500 médecins cubains au Brésil. The Economist a expliqué l’accord :
Les médecins cubains participent au programme brésilien Mais Médicos, qui vise à apporter des services médicaux dans des régions éloignées ou mal desservies du pays en employant des médecins étrangers, principalement des cubains. Il a été créé en réponse aux protestations de masse qui ont secoué le Brésil en juin 2013 au sujet de la mauvaise qualité des services publics, y compris les soins de santé. Le programme verse à chaque participant un salaire d'environ 4 500 dollars par mois. Toutefois, la participation de médecins cubains est organisée par l'Organisation panaméricaine de la santé (OPS). Le gouvernement brésilien verse les salaires à l'OPS, qui transfère ensuite les fonds au gouvernement cubain après avoir prélevé une commission administrative de 5%. Le gouvernement cubain paie aux professionnels de la santé travaillant au Brésil un salaire mensuel de 1 245 $US et empoche le reste.
Dans le cadre du programme, le logement et la nourriture des médecins sont payés par les autorités locales. La plupart des médecins cubains qui se sont portés volontaires pour le programme l’apprécient :
Yanet Rosales Rojas, 30 ans, a passé trois ans dans la ville brésilienne de Poços de Caldas, où elle a gagné en moyenne plus de 10 fois son salaire mensuel à Cuba. Elle est retournée sur l'île l'année dernière et a pu acheter un appartement à La Havane. "Vous gagnez beaucoup plus que ce que vous gagnez à Cuba. J'ai toujours voulu voyager et soigner des gens dans d'autres pays. Ce fut une opportunité", dit-elle. La location de professionnels de la santé est la principale exportation de Cuba, qui rapporte plus que le tourisme : l'an dernier, les services professionnels de médecins et d'infirmières ont rapporté 11 milliards de dollars, contre 3 milliards de dollars pour le tourisme. La possibilité de gagner de l'argent à l'étranger est un incitatif majeur pour étudier la médecine, ...
Les médecins reçoivent leur formation gratuitement à Cuba. Les revenus que le Ministère cubain de la santé publique tire de ce programme servent à équiper les cliniques cubaines et à importer des médicaments. Cuba fournit des soins de santé gratuits à ses citoyens.
Les médecins cubains travaillant au Brésil ne voulaient pas tous retourner dans leur pays d’origine. Certains espéraient continuer à travailler au Brésil, mais leur pari sur les promesses de Bolsonaro a mal tourné :
Plus de 2 000 médecins cubains ont choisi de rester au Brésil, défiant l'appel au retour. Mais l'arrangement spécial avec Cuba ayant pris fin, ils ne peuvent plus exercer la médecine tant qu'ils n'ont pas validé un examen - que le gouvernement brésilien n'a plus proposé depuis 2017 et pour lequel le ministère de la Santé n'a pas encore fixé de date.
Les médecins ont non seulement perdu leur emploi professionnel et leur revenu, mais ils doivent maintenant aussi accepter un travail à faible revenu.
Bolsonaro a promis de remplacer les médecins cubains par des médecins brésiliens. Mais ils sont trop peu nombreux. Ils ne veulent pas non plus travailler dans des villes éloignées ou dans des bidonvilles :
En février, il semblait que M. Bolsonaro tiendrait sa promesse : le ministère de la Santé nationale a annoncé que tous les postes laissés vacants par le retrait des cubains avaient été occupés par des médecins brésiliens. Mais en avril, des milliers de nouvelles recrues avaient déjà démissionné ou ne se présentaient plus à leur travail.
Au total, quelque 28 millions de personnes au Brésil ont perdu l’accès à un médecin :
"Dans plusieurs États, les cliniques de santé et leurs patients n'ont pas de médecins", a déclaré Ligia Bahia, professeur à l'Université fédérale de Rio de Janeiro. "C'est un pas en arrière. Cela entrave les diagnostics précoces, le suivi des enfants, des grossesses et la poursuite des traitements déjà en cours."
L’administration Trump apprécie les mesures prises par Bolsonaro. Elle veut priver Cuba de l’accès aux devises fortes qu’apporte la location des médecins. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elle vise le Venezuela :
Environ 50 000 professionnels de la santé cubains travaillent dans 66 pays à travers le monde, dont environ la moitié au Venezuela et 11 456 au Brésil.
Les médecins cubains au Brésil sont partis et les États-Unis font pression pour que ceux du Venezuela partent aussi. Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, prétend à tort que les médecins cubains au Venezuela sont des militaires qui devraient quitter le pays. Les Forces armées révolutionnaires cubaines ne disposent au total que de 39 000 soldats réguliers. Dire que plus de la moitié d’entre eux se trouvent au Venezuela, bien qu’on n’en ait jamais vu, est quasiment du délire.
L’administration Trump cherche d’autres moyens de détruire le programme cubain de location de médecins :
En 2006, l'administration George W. Bush lançait le Programme de libération conditionnelle des professionnels de la santé cubains (CMPP). L'idée était de persuader les médecins cubains à l'étranger d'abandonner leur poste et de s'installer aux États-Unis. Les programmes de solidarité médicale de Cuba, en place depuis un demi-siècle, en souffriraient. Le président Obama a mis fin au CMPP en janvier 2017. Maintenant, le gouvernement américain veut le rétablir.
Certains ont comparé la location de médecins cubains à d’autres pays à de la « traite humaine ». Mais ce n’est en rien différent de ce que font IBM ou d’autres entreprises lorsqu’elles forment leur personnel et les envoient comme consultants dans d’autres pays et entreprises. Les consultants perçoivent un revenu plus élevé qu’à la maison mais leur entreprise garde une important partie de ce que le client paie.
Le programme des docteurs cubains est bon pour le peuple cubain. Des dizaines de millions de personnes dans d’autres pays d’Amérique latine et d’Afrique en dépendent pour leurs soins de santé de base.
L’administration Trump vient d’envoyer le navire-hôpital USNS Comfort pour « aider les réfugiés du Venezuela ». C’est de l’humanitarisme factice. La crise que les sanctions américaines sur le Venezuela causent au Venezuela crée plus de dommages que mille navires de ce type ne pourraient compenser. Que les États-Unis, et le gouvernement de droite qu’ils soutiennent, aient l’intention de détruire le programme médical cubain montre qu’ils n’ont pas du tout l’intention de s’occuper des gens dans le besoin.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone