« Les bravades russes offrent de gros avantages aux fabricants d'armes, car c’est devenu l'argument idéal en faveur de la hausse des dépenses du Pentagone – même si le Pentagone a déjà suffisamment d'argent pour répondre à toute menace réelle pour les États-Unis. » – William Hartung, directeur du Arms & Security Project
Par Lee Fang – Le 19 aout 2016 – Source The Intercept
L’escalade de la rhétorique anti-russe dans la campagne présidentielle américaine survient au moment même où les marchands d’armes cherchent à donner une image de Moscou comme étant un ennemi puissant qui doit être contré par une augmentation drastique des dépenses militaires des pays de l’OTAN.
Ces mêmes marchands d’armes disent aux investisseurs qu’ils comptent sur les tensions avec la Russie pour faire de nouvelles affaires, profitant de l’annexion de la Crimée par la Russie et de la modeste augmentation du budget militaire de celle ci.
En particulier, l’industrie de l’armement − à la fois directement et par l’intermédiaire de son arsenal d’experts et des lobbyistes rémunérés − fait pression sur les pays membres de l’OTAN pour qu’ils augmentent leurs dépenses militaires selon l’objectif de l’OTAN qui voudrait que les États membres consacrent au moins 2 % de leur produit intérieur brut pour la défense.
Le général à la retraite, Richard Cody, vice-président chez L-3 Communications − le septième plus grand fabricant d’armes des États-Unis − a expliqué aux actionnaires, en décembre, que l’industrie est face à une occasion historique. Après la fin de la guerre froide, a dit Cody, la paix s’était « installée à peu près partout dans le monde » à cause du déclin russe et des pays de l’OTAN célébrant la chute du mur et « tous les budgets de défense ont baissé ».
Maintenant, a fait remarquer Cody, la Russie est « résurgente » partout dans le monde, mettant du coup la pression sur les alliés américains. « Les nations qui appartiennent à l’OTAN sont censés utiliser 2 % de leur PIB à la défense, a-t-il dit, selon une transcription de ses propos. Nous savons que ces dépenses vont se faire et nous nous positionnons pour cela. »
Parlant aux investisseurs lors d’une conférence organisée par le Crédit Suisse en juin, Stuart Bradie, le directeur général de KBR, une entreprise travaillant avec l’armée, a discuté « des opportunités en Europe », soulignant l’augmentation des dépenses de défense des pays de l’OTAN en réponse à « ce qui se passe avec la Russie et l’Ukraine ».
La National Defense Industrial Association, un groupe de pression industriel, a demandé au Congrès de rendre plus facile pour les entrepreneurs américains de vendre des armes aux alliés en réponse à la menace russe. Des articles récents dans un magazine de défense nationale discutent de la nécessité pour les alliés de l’OTAN de stimuler les dépenses militaires dans la marine, les dépenses sur les systèmes en Arctique, et la défense antimissile, pour contrer la Russie.
De nombreux experts ne sont pas convaincus que la Russie constitue une menace militaire directe. L’armée de l’Union soviétique comptait autrefois plus de 4 millions de soldats, mais aujourd’hui, la Russie en compte moins d’un million. Le budget militaire combiné de l’OTAN devance largement celui de la Russie − les États-Unis à eux seuls dépassent largement le budget militaire de la Russie, 609 milliards de dollars pour les premiers et moins de 85 milliards de dollars pour la seconde.
Et pourtant, l’Association des industries aérospatiales, un groupe de pression travaillant pour Lockheed Martin, Textron, Raytheon, et d’autres entrepreneurs de la défense, a prétendu, en février dernier, que le Pentagone ne dépense pas assez pour contrer « l’agression russe aux portes de l’OTAN ».
Les autres think tanks, financés par d’importantes entreprises travaillant pour la défense − dont l’Institut Lexington et le Conseil de l’Atlantique − ont eux aussi réclamé des budgets militaires plus élevés pour contrer la Russie.
Stephen Hadley, ancien conseiller à la sécurité nationale auprès du président George W. Bush, qui travaille maintenant au conseil d’administration de Raytheon − une entreprise qui participe aux appels d’offre pour les grands contrats militaires de l’OTAN − a beaucoup insisté pour que les budgets attribués à la défense soient augmentés et pour fournir une aide létale à l’Ukraine. Hadley a déclaré dans un discours, l’été dernier, que les États-Unis « doivent augmenter la pression sur la Russie pour ce qu’elle est en train de faire en Ukraine », ajoutant que « même le président Poutine est sensible aux sacs mortuaires ».
La presse économique a remarqué l’évolution. Le Washington Business Journal a noté que « si quelqu’un bénéficie bien du malaise entre la Russie et le reste du monde, c’est Lockheed Martin », ajoutant que l’entreprise a remporté un contrat majeur en Pologne, pays qui modernise son armée pour faire face à la Russie. Roman Schweizer − un analyste pour l’industrie de défense à Guggenheim Securities − a prédit l’année dernière que les ventes d’armes américaines continueraient à augmenter, en particulier parce que « les pays de l’Est de l’OTAN vont augmenter leur achats à cause de l’activité russe permanente en Ukraine ».
À l’Exposition Internationale sur la Sécurité et la Défense, une conférence de marchands d’armes qui s’est tenue à Londres l’automne dernier, les entrepreneurs ont été prompts à utiliser la Russie et les budgets de défense en hausse pour vendre leurs produits. « La menace des tanks est […] beaucoup, beaucoup plus proche de vous aujourd’hui parce que Poutine est en train de préparer quelque chose » dans l’est de l’Ukraine, a déclaré un représentant, vantant les lanceurs de roquette portatif de Saab, à Defense One.
« Les entreprises comme Lockheed Martin et Boeing se sont engagées à augmenter la part des exportations dans leur chiffre d’affaires global, et elles ont été à la recherche d’importantes transactions commerciales avec l’Europe centrale et orientale depuis les années 1990, lorsque l’expansion de l’OTAN a commencé », a déclaré William Hartung, directeur du Arms & Security Project au Center for international Policy. Hartung a noté que comme certains pays commençaient déjà à augmenter leurs dépenses, les entreprises américaines allaient « frapper à la porte, cherchant à vendre de tout, des avions de chasse aux systèmes de défense antimissile ».
« Les bravades russes offrent de gros avantages aux fabricants d’armes, car c’est devenu l’argument idéal en faveur de la hausse des dépenses du Pentagone – même si le Pentagone a déjà suffisamment d’argent pour répondre à toute menace réelle contre les États-Unis », a-t-il ajouté.
Lee Fang
Article original publié sur The Intercept
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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