Par Roger Harris – Le 5 août 2018 – Source Strategic Culture
Les États-Unis ont ciblé le Nicaragua pour un changement de régime. Certains anciens partisans du président nicaraguayen Daniel Ortega et de son parti sandiniste répercutent les points en discussion aux États-Unis : « Tout le gouvernement d’Ortega a été pour l’essentiel néolibéral. Puis il est devenu autoritaire, répressif. »
On pourrait penser qu’un régime néolibéral, surtout s’il était autoritaire et répressif, serait un moyen de gagner la faveur de Washington.
« La menace d’un bon exemple ».
Selon Noam Chomsky, le Nicaragua représente la menace d’un bon exemple pour l’Empire américain. Depuis le retour d’Ortega après sa victoire aux élections de 2006, le Nicaragua a obtenu les résultats suivants, selon le NSCAG, bien qu’il soit le deuxième pays le plus pauvre de l’hémisphère :
- Le deuxième taux de croissance et l’économie la plus stable en Amérique centrale.
- Le seul pays de la région produisant 90% de la nourriture qu’il consomme.
- La pauvreté et l’extrême pauvreté ont été divisées par deux ; c’est le pays présentant la plus grande réduction de l’extrême pauvreté.
- Atteinte de l’objectif du Millénaire pour le développement des Nations unies consistant à réduire de moitié la malnutrition.
- Soins de santé de base et instruction gratuits.
- Disparition presque totale de l’analphabétisme, qui était de 36% en 2006.
- Croissance économique moyenne de 5,2% ces cinq dernières années (FMI et Banque mondiale).
- Pays le plus sûr d’Amérique centrale (Programme de développement de l’ONU) avec l’un des taux de criminalité les plus bas d’Amérique latine.
- Niveau d’égalité entre les sexes le plus élevé dans les Amériques (Rapport mondial 2017 sur la parité entre hommes et femmes du Forum économique mondial).
- N’a pas contribué à l’exode de migrants aux États-Unis, contrairement à ses voisins le Honduras, El Salvador et le Guatemala.
- Contrairement à ses voisins, il a écarté les cartels de la drogue et a fait œuvre de pionnier en matière de police de proximité.
La Banque mondiale, le FMI et les pays de l’UE ont accordé une certification au Nicaragua pour son utilisation efficace des prêts et subventions internationaux. Les fonds ont été dépensés aux fins pour lesquelles ils ont été accordés, et n’ont pas été siphonnés dans la corruption.
Avant le 18 avril, le Nicaragua comptait parmi les pays les plus pacifiques et les plus stables de la région. La violence, par ailleurs inexplicable, qui a subitement submergé le Nicaragua doit être comprise dans le contexte du fait que les États-Unis l’ont pris pour cible pour imposer un changement de régime.
Le Nicaragua a provoqué l’ire des États-Unis pour les bonnes choses qu’il a faites et non pour les mauvaises.
Outre être la « menace » d’un bon exemple, le Nicaragua est membre de l’alliance anti-impérialiste ALBA avec le Venezuela, la Bolivie, Cuba et d’autres. L’attaque contre le Nicaragua fait partie d’une stratégie plus vaste des États-Unis visant à démanteler les alliances régionales de résistance à l’Empire.
Le Nicaragua vote régulièrement contre les États-Unis dans les forums internationaux, par exemple en contestant les politiques américaines rétrogrades en matière de changement climatique. Un canal interocéanique à travers le Nicaragua est à l’étude, qui contesterait le canal de Panama. La Russie et la Chine investissent au Nicaragua, faisant concurrence aux capitaux américains.
Le NICA Act, adopté par la Chambre américaine des représentants et actuellement devant le Sénat, déclencherait une guerre économique destinée à attaquer les conditions de vie au Nicaragua par des sanctions économiques ainsi qu’à intensifier l’intervention des services de renseignement américains. Le but ultime est de destituer le gouvernement Ortega démocratiquement élu.
Entretemps, USAID a annoncé un montant supplémentaire de 1,5 million de dollars « pour soutenir la liberté et la démocratie au Nicaragua » par le biais d’organisations non gouvernementales (ONG) afin de renverser le gouvernement et de « faire un véritable hémisphère de liberté ». C’est-à-dire la liberté pour l’Empire américain.
Les alternatives à Ortega seraient pires
Ceux qui, à gauche, appellent aussi à la destitution d’Ortega doivent accepter la responsabilité de ce qui vient ensuite. Ici, la leçon de la Libye est instructive, où le remplacement [du pouvoir] a conduit à une situation bien pire pour le peuple libyen.
Tout remplacement d’Ortega serait plus libéral, oppressif et autoritaire, et non moins. Lorsque le peuple nicaraguayen, tenu en otage de la guerre des Contras soutenue par les États-Unis, a voté la première fois pour démettre Ortega de ses fonctions en 1990, le gouvernement entrant de Violeta Chamorro, soutenu par les États-Unis, a apporté un ajustement structurel néolibéral et une économie moribonde.
« Les dictateurs ne gagnent pas des élections honnêtes avec des marges croissantes », note Chuck Kaufmann, militant de longue date de la solidarité, citant le retour d’Ortega en 2006 avec une majorité relative de 48%, suivi en 2001 par 63% et 72.5% en 2016. L’Organisation des États américains a officiellement accompagné et certifié les votes.
Les sandinistes dissidents qui se sont séparés du parti officiel après sa défaite pour former le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) ne constituent pas une alternative progressiste. Ils sont aujourd’hui confortablement installés dans des ONG financées par les États-Unis, ils se rendent régulièrement à Washington pour rendre hommage à des gens comme la députée Iliana Ros-Lehtinen ou le sénateur Marco Rubio pour faire pression en faveur du NICA Act. Ils ne représentent pas non plus une force populaire, récoltant moins de 2% aux élections nationales.
Lorsque le MRS a quitté le parti sandiniste, ils ont emmené avec eux presque tous ceux qui était plus instruits, venaient de milieux plus privilégiés et parlaient anglais. Ces anciens dissidents de gauche, aujourd’hui passés à droite dans leur haine d’Ortega, ont de nombreux liens avec des activistes nord-américains, ce qui explique une partie de la confusion qui règne aujourd’hui sur le Nicaragua.
Le pays le plus progressiste d’Amérique centrale
Le monde, et pas seulement Ortega, a changé depuis les années 1980, lorsque l’Union soviétique et ses alliés servaient de contrepoids aux intimidations américaines. Ce qui était possible alors ne l’est plus dans l’arène internationale plus restreinte d’aujourd’hui.
Le Nicaragua est le pays le plus progressiste d’Amérique centrale, sans rival proche. Il y a un décalage entre le fait d’exhorter les Nicaraguayens à remplacer Ortega par de nouvelles élections et le plaidoyer contre les déprédations impérialistes des États-Unis. Des élections anticonstitutionnelles au Nicaragua déstabiliseraient davantage une situation profondément déstabilisée. Étant donné l’impopularité et la désunion de l’opposition et l’unité et la force organisationnelle des sandinistes, Ortega l’emporterait probablement.
Plus important encore, les militants nord-américains de la solidarité ont pour rôle essentiel de mettre fin à l’ingérence des États-Unis au Nicaragua afin que les Nicaraguayens puissent résoudre leurs propres problèmes.
La violence de droite qui sévit depuis avril au Nicaragua doit être comprise comme une tentative de coup d’État. Une partie importante des Nicaraguayens s’est ralliée à son gouvernement élu comme on l’a vu lors des démonstrations massives commémorant la révolution sandiniste le 19 juillet.
Pour l’instant, les tranques (blocages) de droite ont été démantelés et les citoyens peuvent de nouveau circuler librement sans être molestés et menacés. Avec cependant comme conséquences que le Nicaragua a subi des pertes humaines inacceptables, des dommages importants à la propriété publique et une économie blessée avec le NICA Act qui menace d’être adopté par le Sénat américain.
Roger Harris
L’article original est paru sur TruePublica
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone