"... - Est-ce un moment crucial pour l’Iran sur son chemin pour devenir le prochain grand succès mondial ? - Bien sûr. Mais de préférence, pour le proche avenir, en profitant d’un second mandat de Rouhani comme président, avec un modéré comme prochain guide suprême."
Par Pepe Escobar – Le 25 février 2016 – Source Russia Today
Les élections en Iran, cette semaine, sont cruciales car elles détermineront si l’ouverture contrôlée de style persan réalisée par le président Hassan Rouhani – et son premier ministre Javad Zarif – assurera sa pérennité, soutenue par un Majlis (Parlement) favorable .
Non seulement les élections iraniennes ont fourni des acteurs politiques de premier plan, tels que le président dialogue-des-civilisations [Mohammad] Khatami, et le président immensément controversé [Mahmoud] Ahmadinejad ; mais les élections législatives, pour leur part, voient s’affronter un éventail de factions impliquées dans des alliances complexes pratiquement opaques à tout observateur extérieur.
Cette fois-ci, les enjeux sont nombreux : la récolte du fruit des affaires à venir après l’accord nucléaire de Vienne et la fin des sanctions de l’ONU et de l’UE (des sanctions américaines importantes subsistent) ; l’intégration progressive de l’Iran dans le projet chinois des Nouvelles routes de la soie ; la stratégie de l’Iran pour récupérer des parts de marché dans le commerce mondial du pétrole, couplée avec l’immense investissement nécessaire pour moderniser ses infrastructures dans l’industrie de l’énergie ; les contrats décrochés, l’un après l’autre, avec les partenaires européens – sans parler de l’Asie ; l’intégration totale, et non partielle, de l’Iran dans le marché mondial de la consommation ; l’enjeu final, et non des moindres, étant un coup de pouce à la réélection de Rouhani lors des prochaines élections présidentielles.
Alors oubliez la désinformation occidentale proverbialement pathétique, en particulier de la part des habituels suspects néo-cons US, et la diabolisation sioniste de tout ce qui concerne l’Iran. Voici ce que vous devez garder à l’esprit au sujet des perspectives de ces élections.
La participation est-elle importante ?
Oui. Lors des élections législatives de 2012, elle était de 64%. Plus le système Rouhani sera approuvé par les électeurs, mieux cela vaudra.
Comment les élections fonctionnent-elles ?
« Les listes » c’est le nom du jeu. Les caractères les plus affirmés dirigent ces listes. Les électeurs font leur choix en grande partie sur la base de l’attirance de la tête de liste.
Y aura-t-il des candidats réformistes ?
Certains – même si un bon nombre, parmi les plus populaires, ont été interdits. Le réformiste notoire, et ancien président, Khatami est interdit dans les médias iraniens officiels. Mais il a fait une vidéo cruciale exhortant les électeurs à voter pour la liste réformiste.
Que se passe-t-il à Téhéran ?
Énorme : pas moins de 1 121 candidats se battent pour 30 sièges parlementaires.
Quels sont les favoris ?
Parmi les réformistes, Mohammad Reza Aref, vice-président de Khatami de 2001 à 2005. Il n’a pas contesté les élections présidentielles de 2013 – suivant ainsi la suggestion de Khatami – qui ont ouvert la voie à la victoire de Rouhani. Il est essentiellement un modéré. Il y a aussi Kazem Jalali, membre d’une faction conservatrice, les Adeptes du Leadership.
Y a-t-il une sorte de front uni des anti ligne-dure ?
Oui, absolument. Elle regroupe les réformistes ; toutes sortes de partisans de Rouhani et Zarif ; les conservateurs modérés (et cela inclut le puissant président du Parlement Ali Larijani), et les Adeptes du Leadership mentionnés ci-dessus.
Qu’en est-il des conservateurs ?
Gardez un oeil sur Gholam-Ali Haddad-Adel, haut conseiller du guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei ; sa fille est l’épouse de Mojtaba, le fils de Khamenei ; il dirige les trente candidats de la liste conservatrice de Téhéran.
Sont-ils tous conservateurs ?
Pas vraiment. Leur liste comprend des partisans de la ligne dure – comme l’hojattoleslam Morteza Agha-Tehrani (ancien conseiller de Ahmadinejad) et Ismail Kowsari (un membre clé de la Commission de politique étrangère et de la Sécurité nationale). Fait important ; ils n’aiment vraiment pas du tout l’ouverture de Rouhani.
Est-ce que ces élections changeront la politique étrangère de Rouhani ?
Non.
Vont-elles interférer avec l’accord nucléaire de Vienne ?
Non.
Alors où est vraiment la grosse affaire ?
Dans les élections pour l’Assemblée des experts – parallèlement aux élections législatives.
Pourquoi ?
Parce que les quatre-vingt-huit membres de l’Assemblée des experts, selon la constitution iranienne, choisissent le prochain guide suprême [élu sans limite de durée, potentiellement à vie, mais destituable par l’Assemblée des experts s’il n’est plus en état d’exercer ses fonctions NdT]. Khamenei a 76 ans, sa santé s’est améliorée, mais il y a une probabilité énorme que cette Assemblée – qui est en place pour huit ans – doive choisir le prochain chef suprême.
Qui est en compétition pour l’Assemblée des experts ?
Il y a une liste réformiste de seize membres, dénommée « les experts du peuple » et dirigée par le célèbre ayatollah Hashemi Rafsanjani , alias The Shark [Le Requin]. Cette liste inclut le président Rouhani lui-même ainsi que l’ancien ministre du Renseignement Rouhani Seyed Mahmoud Alavi.
Qui est exclu ?
C’est un autre gros problème ; Hassan Khomeini, petit-fils de l’ayatollah Khomeini. Il est très populaire en Iran. Les raisons de son exclusion sont assez troubles. La chose intéressante est que, sur les affiches de campagne pour cette liste, on peut voir Rafsanjani, Khamenei, Rouhani et Hassan Khomeini prier ensemble ; en termes iraniens, c’est comme les Rolling Stones interprétant Satisfaction.
Qu’en est-il des conservateurs ?
Ils sont là en force. Ils ont deux listes – l’une d’elles présentée par l’importante Société des Enseignants du Séminaire de Qom, des religieux très conservateurs. Ce qui importe est que les deux listes sont constituées des meilleurs purs et durs – comme le président du Conseil des Gardiens de la Constitution l’ayatollah Jannati, le jusqu’au boutiste ayatollah Mesbah Yazdi, et l’actuel chef de l’Assemblée et secrétaire de la Société des Enseignants du Séminaire de Qom, Mohammad Yazdi. Et il y a même une troisième liste.
Alors, qu’est-ce qui est important la-dedans ?
C’est le champ de bataille entre The Shark, Rafsandjani, et les ultra-purs et durs. Il est utile de se rappeler que le rôle de Rafsanjani – conseiller le plus proche de l’ayatollah Khomeini – a été crucial pour élire Khamenei comme guide suprême. Il avait déjà conduit l’Assemblée des experts de 2007 à 2011.
Et si les jusqu’au boutistes gagnent ?
Ils éliront un des leurs comme prochain guide suprême. Ce n’est pas bon. Rafsandjani, dans ces circonstances, est un choix plus progressiste, étant donné qu’il n’a jamais diabolisé les dirigeants du Green Movement [Révolution verte : mouvement de protestation en 2009 demandant la destitution de Mahmoud Ahmadinedjad, NdT] et il affronte ouvertement la ligne dure.
Est-ce que le chef suprême a parlé ?
Non, il est censé être l’arbitre.
Et les Gardiens de la Révolution ?
Ils tendent vers la ligne dure ; surtout vers quelqu’un qui ne vacillera jamais face à Washington, Tel-Aviv et Riyad.
Est-ce un moment crucial pour l’Iran sur son chemin pour devenir le prochain grand succès mondial ?
Bien sûr. Mais de préférence, pour le proche avenir, en profitant d’un second mandat de Rouhani comme président, avec un modéré comme prochain guide suprême.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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