Le Double Standard élevé à son paroxysme


Par Dmitry Orlov – Le 6 décembre – Source Club Orlov

Les présentateurs du monde entier sont confrontés à un nouveau défi : rapporter les nouvelles sur les États-Unis avec un visage sérieux. Prenons l’exemple de la comédie de mise en accusation qui se déroule aux États-Unis et qui fait partie du quotidien de la télévision russe, que je surveille de loin. Ici, après des années de reportage sur le récit de l’« ingérence russe« , le script s’est peu à peu transformé en celui d’une comédie, une sorte de Commedia dell’Arte. Dans un sketch typique, « notre homme à Washington », Donny, supplie Poutine de le faire sortir du froid, mais Poutine lui dit : « Tiens bon, Donny, on doit d’abord aligner Tulsi pour la présidence. » La beauté de ce paradigme comique, c’est que ce sont les Américains qui écrivent tous les scénarios ; les Russes, comme une grande partie du reste du monde, ne peuvent tout simplement que s’asseoir et rire.

La véritable histoire derrière le faux récit de l’« ingérence russe » s’est désormais déplacée vers l’espionnage illégal par l’administration Obama de la campagne Trump, le tout justifié par des preuves concoctées par eux-mêmes. Mais cela semble trop subtil pour la plupart des auditeurs. Cela soulève également la question de savoir quand les responsables américains vont cesser de mentir et de faire des choses illégales et quand des mesures seront prises à cet égard. Et puisque les réponses à ces questions semblent être : « jamais, oh grand jamais », on va juste assister à encore plus de la même absurdité sordide et donc pas trop amusante. Mais le plus important est que des développements beaucoup plus amusants sont à l’ordre du jour…

Maintenant, c’est au tour des Ukrainiens de galoper autour de la piste de cirque, la queue à en l’air, au son du fouet américain. Ici, Trump est accusé d’avoir fait pression sur son malheureux homologue ukrainien, le comédien professionnel fraîchement élu Vladimir Zelensky (cela ne s’invente pas tout ça, sérieusement !) pour qu’il enquête sur son rival politique « Sleepy » Joe Biden et son fils Hunter, « l’ami de la Coke », pour des crimes liés à la société énergétique ukrainienne Burisma Holdings qui est, elle aussi, complètement corrompue. Apparemment, les présidents américains ne devraient pas jouer un rôle proactif pour empêcher les criminels de se présenter à la présidence. (D’ailleurs, je viens d’utiliser les termes « complètement corrompu » et « ukrainien » ensemble, ce qui est redondant. C’est mon erreur.)

La corruption ukrainienne était peut-être amusante autrefois, mais maintenant elle est tout simplement triste. Ce pseudo-pays a existé en tant qu’État indépendant pendant une fraction de seconde après l’effondrement de l’Empire russe et avant la fusion de l’Union soviétique, puis pendant une autre fraction de seconde après l’invasion nazie et avant qu’ils ne soient chassés. Pendant les 29 dernières années, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, ce pays se dirige vers un effondrement complet et total.

Centre industriel sous les Soviétiques, l’Ukraine fabriquait des moteurs de fusées, des moteurs d’hélicoptères, des moteurs diesels marins, des navires, des avions et bien d’autres produits de haute technologie. Mais aujourd’hui, elle n’a pour ainsi dire plus d’industrie, et elle en a récemment été réduite à vendre sa terre – qui est probablement le dernier produit de valeur qui lui reste – comme l’a demandé le FMI, comme condition pour la maintenir en vie financière pendant un peu plus longtemps. Sur ordre de leurs superviseurs à l’ambassade des États-Unis de Kiev, les Ukrainiens ont coupé leurs liens commerciaux avec la Russie. Par conséquent, bien que presque toutes les industries soient fermées, ils souffrent pourtant d’un extrême manque d’énergie, les écoles sont fermées à cause du manque de chauffage et les enfants en maternelle font la sieste tout habillé. L’Ukraine flirte avec une catastrophe humanitaire, dont une partie de la responsabilité peut être imputée aux responsables américains, le reste étant un résultat final naturel pour ce pays qui n’en est pas un.

Outre certaines exportations agricoles, l’Ukraine exporte des personnes – des millions d’entre elles – qui fuient pour sauver leur vie, la plupart d’entre elles vers la Russie. Mais il y a aussi des exportations plus exotique ; par exemple, des nazis ukrainiens financés par les États-Unis sont récemment arrivés à Hong Kong, pour aider à perpétuer le chaos dirigé par les États-Unis, ce qui rend la vie des habitants de Hong Kong infernal depuis des mois maintenant. Si « simplement triste » semble un mot trop faible, pourquoi pas « sinistre », « désespéré » et « voilà à quoi ressemble un effondrement ». Inutile de dire que rien de tout cela n’est amusant.

Peut-être faut-il encore faire preuve d’un peu d’allégresse et de légèreté en appliquant l’expression « complètement corrompu » aux États-Unis. Beaucoup de choses ont déjà été dites à ce sujet ; pour résumer, les États-Unis sont corrompus de manière systémique : la bàs, la corruption est ancrée dans le système juridique, le système financier et le système politique. Cela commence par les lobbyistes d’entreprise qui rédigent les propositions de lois, se poursuit avec les législatures et les exécutifs qui signent ces lois quasiment en douce et sans les remettre en question, et se termine avec ces mêmes lobbyistes d’entreprise, qui ont depuis longtemps infiltrés les ministères gouvernementaux chargés de faire respecter les lois qu’ils ont rédigées, les utilisant à leur plein avantage. C’est vrai, mais ce n’est pas drôle.

Ce qui est drôle (du moins pour le reste du monde), c’est qu’une autre forme de corruption sévit aux États-Unis depuis sa création. C’est un trait culturel qui a été hérité des Britanniques – un manque pernicieux de sens moral, mieux connu sous le nom d’hypocrisie. Certains pourraient dire que l’hypocrisie britannique est si répandue qu’elle est devenue imperceptible pour les Britanniques eux-mêmes, de la même manière que l’eau est imperceptible pour les poissons. Une façon plus spécifique de décrire cela est l’utilisation généralisée du deux poids, deux mesures. Ils reprennent le vieil adage romain « Quod licet Iovi, non licet bovi«  (« Ce qui est permis pour Jupiter n’est pas permis pour un taureau ») comme une sorte de modus vivendi, si ancré et apparemment si naturel qu’il ne peut jamais être remis en question.

L’hypothèse de base incontestée est que les Britanniques (anciennement) et maintenant, par osmose culturelle, les Américains, sont toujours et partout les « bons » qui, par leur nature même, ne peuvent faire que ce qui est bon pour tous. Rien de ce qu’ils font – que ce soit larguer des bombes nucléaires sur des civils, renverser des gouvernements constitutionnellement élus, imposer des sanctions économiques unilatérales (et illégales) qui entraînent une malnutrition infantile à grande échelle, enlever et torturer des ressortissants étrangers, lancer des campagnes de bombardement sur la base de preuves falsifiées – ne peut être mis en cause pour questionner cette qualité fondamentale. Quiconque ose remettre en question cette supériorité morale innée est automatiquement étiqueté comme un ennemi.

Parce que les Américains sont supposés être moralement supérieurs à tout le monde, ils peuvent faire des choses aux autres que les autres ne sont pas autorisés à leur faire. Par exemple, il y a eu des discussions très médiatisées au sein des groupes de réflexion de Washington sur ce qui devrait être fait au sujet de la Russie après Poutine, dont le deuxième et dernier mandat à la présidence prendra fin en 2024. Ils ont même convoqué des symposiums internationaux pour discuter de cette question. L’objectif clair de toutes ces activités est de se mêler de la politique russe au point d’aider les électeurs russes à choisir le « bon » prochain président. Aux États-Unis, une telle activité est considérée comme parfaitement légitime surtout dans la poursuite d’objectifs de sécurité nationale.

Maintenant, imaginez un instant si Moscou convoquait une conférence internationale sur le choix du prochain président américain ? Et supposons qu’il ait été déterminé que la meilleure façon d’aller de l’avant est de s’assurer que Tulsi Gabbard devienne le prochain président des États-Unis est de formuler des stratégies pour atteindre cet objectif. Imaginez le tollé que provoquerait une telle conférence. Les accusations d’« ingérence étrangère » fuseraient et toute personne jugée coupable d’avoir participé à cet effort serait étiquetée comme un « agent étranger » et serait emprisonnée, déportée ou sanctionnée. La règle de base est : « Nous pouvons nous mêler de vos élections, mais vous ne pouvez pas vous mêler des nôtres ! »

Il est important de souligner que le principe « Quod licet Iovi, non licet bovi«  ne s’applique pas seulement aux relations des États-Unis avec le reste du monde, mais au sein même des États-Unis. C’est une société de castes, où la caste d’une personne est déterminée par le nombre de zéros de sa valeur financière. La moitié de la population n’a que des dettes ; elle ne compte pas du tout. [C’est le vote censitaire, NdT] La plus grande partie du reste serait anéantie après une seule confrontation juridique contre des grands et des puissants ; même un millionnaire est facilement anéanti par les frais juridiques et les frais de justice. Et puis il y a les multimillionnaires, les milliardaires et les multimilliardaires, dont certains sont complètement hors d’atteinte du système judiciaire.

Ainsi, les Bidens peuvent voler l’argent des Ukrainiens sans que ce soit un crime, parce qu’aux États-Unis vous ne pouvez être considéré comme un criminel que si un tribunal vous condamne pour un crime, et aucun tribunal américain ne le ferait jamais. Tenter de traduire les Bidens en justice est ipso facto un crime : aucun individu des castes supérieures ne le ferait jamais alors que les individus de caste inférieure ne peuvent être autorisés à s’immiscer dans les affaires des individus de ces castes supérieures. Mais si vous faites partie de la classe ouvrière sous-employée, toute personne d’une caste supérieure peut vous accuser anonymement de maltraiter votre femme et vos enfants, aucune preuve n’est nécessaire. Si vos enfants ont la peau claire et sont en bonne santé, ils seront emmenés et donnés à un couple sans enfant d’une caste supérieure plus « méritante ». Votre femme, incapable de payer son loyer sans votre aide, se retrouvera également sans abri, et vous n’aurez que vous-même à blâmer pour vous être mariée et avoir eu des enfants tout en étant trop pauvre pour vous défendre contre les prédateurs sociaux de castes supérieures. Beaucoup d’hommes américains ont compris que c’est comme ça que ça marche et refusent de se marier, choisissant plutôt de passer leur vie à se masturber devant du porno sur Internet.

Jusqu’à récemment, cet état de choses était problématique pour le reste du monde – parce que des pays du monde entier étaient continuellement victimes d’intimidation, d’ingérence, d’invasion et d’autres violations de la part des États-Unis – mais sans problème pour les États-Unis, où la grande majorité des personnes des castes inférieures avaient subi un lavage de cerveau et avaient été forcées à accepter leur pauvreté comme leur échec moral personnel alors que les personnes des castes supérieures voyaient leur bonne fortune (qui plus souvent qu’à leur tour était le fruit d’une activité criminelle) comme un signe de leur bienveillance et de leur supériorité morale naturelle. Mais alors, tout ce plan a commencé à s’effondrer. La seule façon de l’empêcher de s’effondrer totalement serait par une expansion économique continue. Mais si l’on soustrait la nouvelle dette (qui a atteint des proportions astronomiques), il n’y a eu aucune croissance économique aux États-Unis depuis le début de ce siècle. Il est devenu évident pour les Américains de la plus haute caste que cela ne peut pas durer plus longtemps, et ils ont commencé à chercher quelqu’un pour en porter le blâme.

Et c’est là que tout devient vraiment drôle. Par leur propre politique du deux poids, deux mesures, les Américains des plus hautes castes sont par définition irréprochables, chacun d’entre eux et leurs enfants. Il était donc naturel qu’ils blâment les Américains des castes inférieures. Les élites bi-côtières ont été les premières à franchir ce rubicon. Elles détesteraient rejeter le blâme sur leurs propres fidèles flagorneurs parmi les érudits et les progressistes, et elles ont donc blâmé les « Déplorables » qui vivent surtout dans le Sud et dans les « États du centre qu’elles survolent en Jet ». Cela aurait pu fonctionner si les Déplorables n’avaient pas trouvé leur propre champion en la personne de Donald Trump. Et il se trouve que le système démocratique fictif des États-Unis a été organisé en deux équipes opposées presque parfaitement égales (pour que les lobbyistes d’entreprise puissent tourner le pouce d’un côté ou de l’autre de l’échelle, selon le camp qui n’est pas assez sage et essaye d’apaiser l’électorat en suivant la volonté du peuple plutôt que les diktats des lobbyistes). Ainsi, avec un minimum d’efforts, Trump a été propulsé au pouvoir, et la haute caste américaine a été divisée en deux moitiés égales. L’hilarité s’en est suivie.

Par leur double standard profondément enraciné, chaque moitié est tout ce qu’il y a de bon et de convenable et ne peut rien faire de mauvais alors que l’autre partie ne l’est pas et le peut. Les règles selon lesquelles chaque partie a joué avec le reste du monde depuis l’époque de l’Empire britannique, c’est-à-dire que tout est permis et que personne de votre côté n’est jamais responsable de quoi que ce soit, s’appliquent maintenant aussi aux États-Unis. Et puisqu’il a toujours été permis de diffamer l’autre partie en utilisant n’importe quel nombre de combinaisons de caractérisations suggestives, de réécritures de l’histoire et de calomnies flagrantes, ils se sont mis à mentir les uns sur les autres et à se salir mutuellement dans toute la mesure du possible.

Nous avons donc maintenant la situation suivante. Environ la moitié des États-Unis est aujourd’hui considérée comme peuplée de fanatiques religieux ignorants, racistes, sexistes, misogynes, homophobes et armés. Ils sont trop mal éduqués et trop ignorants pour jouer un rôle dans la nouvelle économie numérique mondiale de la bière artisanale, des boissons sur-caféinées hors de prix, des studios de yoga et du toilettage pour chiens. Ils ne veulent pas lutter contre le réchauffement de la planète en ne chauffant pas leur maison et en ne conduisant pas leur camionnette. Ils ne s’intéressent pas non plus à la lutte contre la surpopulation en restant « sans enfants » : ils se fichent que le Bangladesh soit terriblement surpeuplé ! En fait, certains d’entre eux insistent pour avoir des enfants même s’ils n’ont pas les moyens de les habiller à la mode, sans parler de leurs leçons privées de piano et de ballet ! Ils ne veulent pas ouvrir les frontières nationales à tous les nouveaux arrivants et en plus aider à payer le logement, l’éducation et les soins de santé de ces étrangers. Pire crime de tous, ils sont prêts à réélire l’horrible, raciste, sexiste, misogyne, homophobe, Donald Trump.

L’autre moitié des États-Unis est maintenant considérée comme peuplée de traîtres purs et simples. Ils n’aiment pas leur pays comme ils le devraient, et ils ne se soucient pas des intérêts de la classe ouvrière américaine – les gens qui les nourrissent, leur permettent de chauffer leurs maisons et d’allumer la lumière. Ils sont impatients d’acheter des produits importés et d’expédier des emplois américains à l’étranger. Ils ne savent pas faire la différence entre un Américain de naissance et un étranger clandestin. Ils massacrent des bébés chrétiens innocents en pratiquant des avortements et beaucoup d’entre eux sont des pédophiles. Environ la moitié d’entre eux sont des femmes horribles et hurlantes qu’aucun homme sain d’esprit ne voudrait épouser (quelqu’un veut-il se marier sur catalogue ?) alors que le reste est composé d’hommes qui pourraient aussi bien être des femmes – qui s’épilent la poitrine et les parties intimes, dépensent une fortune en coiffures et se pavanent en prétendant être gay. Oh, et il y a aussi un bon nombre de gays parmi eux – des Sodomites, techniquement parlant, dont le sort est, selon la Sainte Bible, la damnation éternelle. Mais au lieu de craindre pour leur âme immortelle, ils se délectent de toute sorte de dépravation et de perversion.

Si vous pensez que les deux côtés ne peuvent pas être plus différents, vous avez probablement tort. Oui, car ils s’auto-ségréguent aussi activement entre différents états et différents quartiers – comme une défense psychologique, peut-être, ou une question de sécurité, parce que les deux parties deviennent de plus en plus fragiles, et une rencontre accidentelle avec un membre du camp opposé pourrait facilement entraîner des dommages physiologiques et/ou psychologiques. Mais pour un observateur extérieur, ce sont pratiquement les mêmes. Les deux parties sont de plus en plus appauvries, mal éduquées, obèses, de mauvais poil, déprimées/suicidaires, incultes, vulgaires, négligentes et indisciplinées. Les deux parties souffrent d’un niveau élevé d’abus de substances, avec des taux d’alcoolisme et de dépendance aux opiacés qui doublent à peu près chaque décennie. De part et d’autre, le taux d’infection par les maladies vénériennes est élevé, le taux de mortalité augmente et le taux de naissance est en chute libre. Grâce à Internet et aux médias sociaux, les deux parties vivent maintenant dans une sorte de zoo humain – un panoptique qui peut être observé par n’importe qui dans le monde, tandis que le reste du monde leur reste caché derrière un miroir sans teint de barrières culturelles et linguistiques.

Compte tenu de l’expérience des deux derniers siècles, on peut pardonner au reste du monde d’éprouver un profond sentiment de Schadenfreude en regardant les Américains se faire mutuellement ce qu’ils lui ont fait subir. C’est la vue du dernier culte païen d’un monde qui se consume. Mais il y a une alternative à « Quod licet Iovi, non licet bovi » et ça s’appelle la Règle d’Or : « Ne faites à autrui que ce que vous voudriez que l’on vous fasse. » (Matt. 7:12). Les Américains pourraient peut-être sauver ce qui reste de leur pays en la redécouvrant.

Les cinq stades de l'effondrement

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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