Par Moon of Alabama − le 23 juin 2020
Le mois prochain, l’Égypte mènera probablement deux guerres.
La guerre à l’ouest concernerait le Gouvernement libyen d’accord national (GNA) qui menace de s’étendre de l’ouest de la Libye jusqu’à la frontière égyptienne. La guerre au sud serait contre l’Éthiopie qui commencera bientôt à remplir son grand barrage de la Renaissance éthiopienne (RGO) avec de l’eau du Nil dont l’Égypte a besoin pour survivre.
Le GNA en Libye, soutenu par la Turquie et le Qatar, veut quitter ses zones de Tripoli et Misrata pour prendre la ville de Syrte et les installations pétrolières à l’est de celle-ci. Syrte est actuellement détenue par l‘Armée nationale libyenne (LNA) sous le commandement du général Haftar.
Comme nous l’avons anticipé il y a deux semaines :
L'Égypte a commencé à positionner du matériel militaire lourd à sa frontière occidentale. Elle ne veut pas que les Frères musulmans voisins contrôlent la Libye. Le tampon du LNA, dirigé par Haftar, est une priorité pour sa propre sécurité. L'Égypte ainsi que la France, la Grèce, Chypre et les Émirats arabes unis ont également rejeté les aspirations turques en Méditerranée orientale. Si la Russie retirait son soutien et abandonnait complètement Haftar, l'Égypte verrait la nécessité d'intervenir en Libye. Une guerre turco-égyptienne pour des motifs libyens deviendrait alors probable.
Samedi, le dictateur égyptien Abdel Fattah el-Sissi a inspecté les troupes à la frontière occidentale de l’Égypte. Les officiers supérieurs de l’armée égyptienne étaient également là. Le nombre de troupes déployées montre qu’ils ne rigolent pas.
Sissi a menacé d’une intervention directe de l’Égypte :
Dans une allocution télévisée, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a déclaré que Syrte était une "ligne rouge" pour l'Égypte, citant la nécessité de protéger sa frontière poreuse comme motif "d'intervention directe" en Libye. "Si le peuple libyen nous a demandé d'intervenir, c'est un signal au monde que l'Égypte et la Libye partagent ... des intérêts communs, la sécurité et la stabilité", a déclaré samedi Sissi.
L’Égypte bénéficie du soutien de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Mais les combats en Libye provoqueraient une guerre contre la Turquie qui a des troupes ainsi que 14 000 djihadistes mercenaires de Syrie engagés avec le GNA. Une guerre entre les deux plus grandes armées de la Méditerranée orientale pourrait facilement dégénérer.
Le mois prochain, l’Éthiopie commencera à remplir son nouveau grand barrage sur le Nil Bleu.
Les travaux ont commencé en 2010 et le projet de 4,8 milliards de dollars fera de l’Éthiopie un exportateur d’électricité. L’Égypte craint que le remplissage du barrage et sa gestion ultérieure ne laissent pas couler suffisamment d’eau dans le Nil pour les besoins de l’Égypte et la nourriture de ses 100 millions d’habitants.
Les négociations entre l’Égypte et l’Éthiopie, modérées par les États-Unis et la Banque mondiale, n’ont pas abouti. L’Égypte a demandé (pdf assez long, 17 pages) l’intervention du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le problème est existentiel pour les deux pays :
Le conflit qui dure depuis des années oppose le désir de l'Éthiopie de devenir un important exportateur d'électricité dans la région au souci de l'Égypte que le barrage réduise considérablement son approvisionnement en eau s'il est rempli trop rapidement. L'Égypte devrait perdre au moins 22% du débit d'eau et craint que jusqu'à 30% de ses terres agricoles ne se transforment en désert. L'Égypte et l'Éthiopie ont fait allusion à la possibilité de prendre des mesures militaires pour protéger leurs intérêts, et les experts craignent qu'une rupture des pourparlers ne conduise à un conflit. Le Soudan, autre partie à cette querelle, est depuis longtemps pris entre les intérêts concurrents. L'arrivée de la saison des pluies apporte plus d'eau au Nil Bleu, la branche principale du Nil. Addis-Abeba considère que le mois prochain serait le moment idéal pour commencer à remplir le réservoir du barrage. Le bassin a été conçu pour stocker le volume énorme de 74 milliards de mètres cubes d'eau.
Une fois terminé et rempli, le barrage produira 5 250 MW d’électricité, soit plus du triple de ce que l’Éthiopie peut actuellement produire. Une grande partie de la nouvelle électricité produite sera exportée vers le Soudan, raison pour laquelle ce pays n’a pas pris le parti de l’Égypte.
Aucun dirigeant égyptien ne peut tolérer une situation dans laquelle 30% de l’agriculture du pays disparaîtrait. Des dizaines de millions de petits agriculteurs perdraient leurs revenus et une famine serait alors probable.
Une attaque militaire contre le barrage serait compliquée. La route terrestre devrait passer par le Soudan. Elle est très longue et manque d’infrastructures. Une attaque aérienne à grande échelle en provenance de la mer Rouge semble être l’opération la plus probable. Mais cela serait risqué et ne résoudrait pas le problème de l’Égypte. Le barrage serait réparé et l’opération devrait être répétée.
L’Éthiopie a besoin de l’électricité du barrage pour développer le pays et rembourser les prêts qu’elle a contractés pour le construire. Elle veut remplir complètement le barrage au cours des sept prochaines années. Une prolongation de ce délai réduirait l’impact immédiat sur l’Égypte. Mais l’Éthiopie est pauvre et quelqu’un d’autre devrait payer pour les pertes qu’elle subirait.
L’Égypte pourrait-elle gérer deux guerres en même temps ? Pour une courte période, ce serait probablement possible. Mais les deux conflits potentiels, avec la Libye et l’Éthiopie, se prolongeraient probablement et prendraient des années à se régler. L’Égypte n’a pas d’argent pour les payer.
Sissi devra désormais prendre des décisions assez difficiles. Comment va-t-il faire ?
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone
Ping : L’Égypte fait face à deux guerres – Que décidera Sissi ? – Saint Avold / The Sentinel