Les raisons de notre piratage d’une série télévisée primée : Homeland N’EST PAS une série
Par Heba Amin – Le 14 octobre 2015 – Source blogue de l’auteure
Qu’est-ce qui cloche dans le message politique de Homeland? Dès sa toute première saison, Homeland expliquait au public étasunien que al-Qaïda est en fait une créature iranienne. D’après le scénario, al-Qaïda est non seulement étroitement lié au Hezbollah, mais il cherche même à se venger des USA au nom de l’Iran. Ce fantasme dangereux est devenu un fait établi aux USA, qu’ont répété de nombreux médias de masse généralistes. Cinq saisons plus tard, l’intrigue a bien progressé, mais la propagande à peine voilée n’en demeure pas moins flagrante. La cible est maintenant la liberté d’information et la protection de la vie privée, qu’on enveloppe soigneusement sous la forme de menaces que représentent les lanceurs d’alertes, État islamique et le reste de l’Islam chiite.
À l’été 2015, la série télévisée étasunienne Homeland était tournée à Berlin. En juin et juillet, on filmait dans différentes parties de la ville les faits et gestes de l’ex-agent de la CIA Carrie Mathison (Claire Danes), dans son nouveau rôle de conseillère en sécurité pour le compte d’un oligarque humanitaire allemand, Otto Düring (Sebastian Koch). Au milieu d’allusions à un complot de hackers et à des accords secrets entre les USA et l’Allemagne, la série tente de reprendre à son compte des événements s’étant réellement produits, avec un émule d’Edward Snowden qui révèle un projet conjoint d’espionnage illégal de citoyens allemands par la CIA et le BND (le Service fédéral de renseignement de l’Allemagne). Mais contrairement à la réalité, la fuite a obligé l’Allemagne à libérer tous les terroristes d’EIIS qu’elle avait arrêtés.
La série s’est taillée la réputation d’être l’émission la plus fanatique présentée à la télévision, en raison de sa représentation inexacte, sans nuance et très tendancieuse des Arabes, des Pakistanais et des Afghans, et de ses déformations grossières des villes de Beyrouth et d’Islamabad et de ce qu’on appelle le monde musulman en général. Après quatre saisons et avec la cinquième en cours de route, Homeland repose toujours sur une dichotomie entre des protecteurs étasuniens photogéniques et blancs pour la plupart, et la menace musulmane démente et rétrograde. Le Washington Post a réagi à l’horreur raciste que constituait l’affiche promotionnelle de la saison quatre, où l’on voyait un petit chaperon rouge blanc perdu dans une forêt de loups musulmans sans visage. Dans sa forêt, le petit chaperon rouge a droit à bien des nuances de gris (corruption, frappes de drone, torture et assassinats déguisés) pour parvenir à ses fins. Elle pointe ses armes de choix contre des méchants monochromes, qui font les mêmes choses que les bons, mais avec des desseins infâmes.
Il est vrai que l’émission est bien léchée, bien interprétée et bien produite, comme ses nombreux prix le démontrent. Mais qui aurait cru que dans une série télévisée qui aborde des sujets chauds de l’heure comme la lutte contre le terrorisme, EIIS et les affrontements idéologiques entre les USA et le Moyen-Orient, l’un des principaux personnages de terroriste porte le nom du véritable ambassadeur du Pakistan aux États-Unis? Il faut reconnaître aussi que l’émission est bien vue par le public étasunien pour sa critique de l’éthique de son gouvernement, mais non sans contribuer au racisme qui caractérise la période hystérique que nous vivons actuellement. Joseph Massad, professeur agrégé du cours Politique moderne et histoire intellectuelle des Arabes à la Columbia University, a abordé la question du racisme bien enraciné des médias envers le Moyen-Orient, en disant que Homeland ne s’écarte pas vraiment de ce paradigme [de programmation raciste], mais en ajoutant que les Arabes sont tellement dangereux qu’ils peuvent corrompre même les hommes blancs, tout ce qu’il y a de plus étasuniens, et donc les rendre également dangereux pour les USA.
Au début de juin 2015, nous avons reçu un appel d’un ami présent sur la scène des arts de la rue et des graffitis en Allemagne depuis une trentaine d’années, qui a fait des recherches poussées sur les graffitis au Moyen-Orient. L’entreprise responsable des plateaux de tournage de Homeland lui avait dit qu’elle cherchait, pour la nouvelle saison, des artistes de la rue arabes pour inscrire des graffitis conférant une authenticité à un plateau de tournage représentant un camp de réfugiés syriens à la frontière libano-syrienne. Étant donnée la réputation de la série, nous étions plutôt réticents, jusqu’à ce que nous réalisions que nous pouvions, par cette intervention, transmettre notre mécontentement politique et celui de bien d’autres personnes à l’endroit de la série. C’était notre chance de faire valoir notre point de vue en subvertissant le message en nous servant de l’émission.
Lors de notre rencontre initiale, on nous a donné une série d’images de graffitis pro-Assad supposément courants dans un camp de réfugiés syriens. Nos instructions étaient les suivantes : 1) les graffitis doivent être apolitiques ; 2) vous ne pouvez copier les images parce que cela constituerait une violation du droit d’auteur ; 3) écrire Mahomet est grand est évidemment permis. Nous avons donc songé à des slogans, à des proverbes prêtant à une interprétation critique et, si l’occasion se présentait, à des critiques sévères dirigées contre l’émission. Et nous en sommes arrivés là.
Le décor du plateau devait être terminé en deux jours, afin de pouvoir filmer le troisième jour. Les concepteurs du plateau étaient trop frénétiques pour nous prêter la moindre attention, tout occupés qu’ils étaient à monter un plateau hyperréaliste où tout était prévu, des pinces à linge de plastique aux bords effilochés des rideaux de plastique à l’extérieur. Le résultat faisait très Moyen-Orient, une illusion que le soleil et la chaleur de l’été rendaient encore plus réaliste. Le contenu de ce que nous avions écrit sur les murs n’intéressait absolument personne. À leurs yeux, l’écriture arabe n’est qu’un simple aspect visuel mettant une touche finale à l’horrible représentation qu’on se fait du Moyen-Orient, l’image d’une affiche qui déshumanise une région au complet en la réduisant à des figures inhumaines enveloppées dans des burqas sombres devenues aussi, cette saison, des réfugiés. L’émission a ainsi créé un lien de cause à effet avec les Arabes dès le début et par la suite (Ni victimes, ni bourreaux). Comme il était écrit l’espace d’un instant sur les murs d’un camp de réfugiés syriens factice dans une ancienne Futterphosphatfabrik (usine de production d’aliments pour animaux), à la périphérie de Berlin, il faut se méfier de la situation – الموضوع فيه أن.
Les artistes de la rue arabes
Heba Amin
Caram Kapp
Stone
* Notre intervention a été diffusée le 11 octobre 2015 (Homeland, saison 5, épisode 2).
1001 calamités (Alf nila w’nila)
Bachar apprend par la répétition (jeu de mots avec le proverbe égyptien «l’âne apprend par la répétition». « Homar » (âne en arabe) rime avec Bachar.
Prêt à mourir (nemout)
Homeland est raciste
Traduit par Daniel (avec l’aimable autorisation de l’auteur) relu par jj et Diane pour le Saker Francophone.
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Mot du Saker
L’intervention de graffiteurs sur le plateau de tournage de la populaire série télévisée étasunienne Homeland a créé bien des remous la semaine dernière. Voici le point de vue des artistes concernés, avec photos à l’appui. L’intervention met en lumière l’ignorance crasse de la machine à propagande, pour qui les écrits peints sur les murs des villes du Moyen-Orient ne sont qu’un bel exercice de calligraphie.