Par Dmitry Orlov – Le 21 mars 2023 – Source Club Orlov
Peu de gens sont capables de voir à travers la fumée et de saisir les sinistres machinations de la Réserve fédérale, du Trésor américain et de leur affiliée, la Banque centrale européenne. Il est possible d’éplucher sans fin les articles de presse, de lire fidèlement tous les rapports de la Fed et peut-être même de suivre des cours du soir en macroéconomie et en finance, sans pour autant avoir une compréhension intuitive de ce qui se passe. Les statistiques ne mentent pas tant que cela mais se contentent de rester là à vous voir les fixer sans la moindre idée de ce qu’elles signifient vraiment.
Pourtant, de temps en temps, une statistique attire mon attention et décrit la situation de manière assez éloquente. En voici une : 83 % de tous les dollars américains existant actuellement dans le monde ont été créés au cours des 22 derniers mois, c’est-à-dire depuis mai 2021. En termes historiques, quatre dollars sur cinq ont été créés quasiment hier.
Les États-Unis et tous les participants au système du dollar se sont-ils enrichis de 83 % ? Non, bien au contraire ! La population américaine est plutôt en détresse, de nombreuses personnes vivant au jour le jour ou ne parvenant pas à joindre les deux bouts. D’autres pays occidentaux sont dans un état encore plus déplorable, avec des manifestations et des émeutes qui éclatent ici, là et partout.
Y a-t-il eu une inflation de 400 %, obligeant les autorités monétaires à émettre de nouvelles liquidités pour couvrir les diverses obligations des gouvernements membres qui sont, d’une manière ou d’une autre, indexées sur l’inflation ? Non, dans tous les pays occidentaux, l’inflation est encore bien inférieure à 20 %, la Pologne s’en approchant le plus avec 18,4 %.
Avec autant de liquidités en circulation, les banquiers poursuivent-ils leurs clients dans la rue et tentent-ils de leur remplir les poches d’argent juste pour s’en débarrasser ? Non, en fait, il y a un grave problème de liquidités – si grave que la Fed a dû récemment injecter 300 milliards de dollars de nouvelles liquidités dans le système bancaire en une semaine, juste pour stabiliser momentanément la situation.
D’énormes quantités d’argent sont créées ; il y en a beaucoup plus que nécessaire pour alimenter une nouvelle croissance (quelle croissance ?) ou pour compenser l’inflation croissante ; et pourtant, il y a un manque constant d’argent. Une question raisonnable à se poser est la suivante : où va l’argent ? J’espère que mon analogie avec un sac percé pourra aider à éclaircir les choses.
Il y a quelques années, j’ai fait une prédiction : Un jour viendra où offrir un million de dollars à quelqu’un vous vaudra un coup de poing au visage. Eh bien, ce jour est arrivé et est passé, et la Majorité Mondiale (un nouveau terme inventé par Sergei Lavrov pour désigner l’ensemble de la planète sans l’Occident) progresse à grands pas pour se libérer du système du dollar. Mais j’ai peut-être été trop gentil : offrir un million de dollars à quelqu’un ne vous permet pas de lui donner un coup de poing ; au contraire, vous vous en tirez avec un coup de couteau qui va vous faire saigner. S’il y a suffisamment de coups de couteau de ce type, le système du dollar entrera en état de choc à cause de la perte de sang.
Chaque fois qu’une transaction en dollars est dédollarisée et devient cachée du point de vue du système du dollar, cela crée une nouvelle fuite dans le système du dollar : les dollars qui ont été précédemment prêtés pour financer cette transaction disparaissent. Mais ce prêt était l’actif d’un banquier et était censé couvrir le passif de ce banquier – les dépôts sur lesquels on comptait pour payer les salaires, les fournisseurs et d’autres dépenses essentielles. C’est alors que la Fed se précipite avec des seaux de sang neuf. Mais le coup de poignard causé par la perte du commerce du dollar est toujours là et les fuites se poursuivent – et s’accumulent, car la fuite du dollar (et, par extension, de l’euro) est continue, irréversible et s’accélère.
L’autre élément vital du système financier américain est le pétrole. Les États-Unis ont obtenu un sursis de dix ans face aux ravages du pic pétrolier en injectant beaucoup d’argent (fonds de pension, capital spéculatif et bien d’autres choses encore) dans le pétrole de schiste. Mais la production de pétrole de schiste a déjà atteint son maximum et se dirige vers une baisse. Pour rester parmi les économies développées du monde, les États-Unis devraient redevenir un très gros importateur de pétrole. Mais comment paieront-ils ce pétrole ? Leur déficit commercial s’élève déjà à 1 000 milliards de dollars par an. Imprimer plus de dollars ? Personne ne veut plus de dollars ; voir ci-dessus. Emprunter dans d’autres devises que les exportateurs de pétrole accepteraient ? Mais qui prêterait à un tel mauvais payeur ?
La Fed peut encore stabiliser les choses pendant un certain temps en utilisant son réservoir de liquidités en dollars, mais chaque intervention de ce type lui fera gagner de moins en moins de temps de répit à chaque fois qu’elle sera effectuée. Au bout du compte, il n’y a que l’effondrement.
Étape 1 : L’effondrement financier. La foi dans le “business as usual” est perdue. L’avenir n’est plus censé ressembler au passé d’une manière qui permette d’évaluer les risques et de garantir les actifs financiers. Les institutions financières deviennent insolvables ; l’épargne est anéantie et l’accès au capital est perdu.
Dmitry Orlov
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Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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