Le Royaume-Uni a mené une opération de “vicieuse” propagande en Afrique


Selon le Guardian, pendant la guerre froide une unité secrète britannique, spécialiste des “coups tordus”, a dénigré le vice-président de gauche du Kenya.


Par RT − Le 7 août 2022

Le ministre kenyan de l’Intérieur, Oginda Odinga, passe en revue une garde d’honneur composée de policiers locaux, le 1er septembre 1963, à Kiambu. AFP

Une unité secrète du ministère britannique des affaires étrangères a, dans les années 1960, pris pour cible le premier vice-président du Kenya, Oginga Odinga, dans le cadre d’une campagne de “propagande diffamatoire“, a rapporté samedi le Guardian, citant des documents récemment déclassifiés. Après l’indépendance du Kenya vis-à-vis du Royaume-Uni en 1963, Londres percevait l’homme politique de gauche comme une menace pour ses intérêts, selon les documents.

Odinga aurait fait l’objet d’une campagne qui a duré trois ans, menée par l’Information Research Department (IRD), une unité clandestine initialement créée par le gouvernement travailliste après la Seconde Guerre mondiale pour diffuser des opinions anticommunistes. Selon le rapport, cette campagne a été menée par l’Unité éditoriale spéciale (UES), une “section spécialiste des sales coups“, une section très secrète de l’IRD.

Après que le Kenya s’est libéré de la domination britannique en 1963, Londres considérait apparemment que le président Jomo Kenyatta était celui qu’il préférait pour le pays. Toutefois, le Royaume-Uni semblait craindre que le vice-président, Odinga, une figure de gauche ouverte aux relations avec le bloc dirigé par l’Union soviétique et la Chine communiste, puisse d’une manière ou d’une autre remplacer Kenyatta à l’avenir. Ces appréhensions ont conduit les unités d’opérations secrètes britanniques à se démener pour affaiblir Odinga, même si les diplomates britanniques reconnaissaient qu’il n’était pas réellement communiste, indique le rapport.

Les dossiers déclassifiés détaillent quatre campagnes de dénigrement menées contre Odinga, selon The Guardian. En septembre 1965, le Daily Telegraph rapportait un pamphlet publié par une organisation fictive appelée “Front populaire d’Afrique de l’Est“, qui qualifiait le gouvernement de Kenyatta de “réactionnaire, fasciste et malhonnête“, tout en présentant Odinga comme “un grand leader révolutionnaire” qui pourrait accéder au pouvoir avec l’aide d’un nouveau parti socialiste.

Cependant, il s’agissait apparemment d’un stratagème de propagande sophistiqué destiné à éveiller les soupçons contre Odinga en faisant croire qu’il serait de mèche avec la Chine communiste. L’IRD aurait distribué le pamphlet à des “personnalités de premier plan et à la presse“. L’histoire a eu un grand retentissement au Kenya et a réussi à convaincre de nombreux ministres du pays que le pamphlet était authentique.

Selon l’historienne Poppy Cullen de l’université de Loughborough, citée par The Guardian, tout cela “montre clairement qu’Odinga était considéré comme la principale menace pour les intérêts britanniques.” Cela démontre également jusqu’où les Britanniques étaient prêts à aller pour le déstabiliser, a-t-elle ajouté.

Cependant, le vice-président kenyan sentit les ennuis venir, selon le rapport. En 1964, il a accusé la presse britannique d’une “vague de diffamation et de critiques faciles“, dénonçant les allégations de leurs rapports selon lesquelles il complotait contre Kenyatta.

Dans un autre cas, l’UES aurait créé un tract de ce qu’on appelait les “Loyal African Brothers“, qui fustigeait Odinga comme étant “un outil des communistes chinois“.

Bien que cette organisation n’ait jamais réellement existé et qu’elle n’ait été que la création de propagandistes britanniques, pendant près de dix ans ce groupe fictif a produit 37 tracts affirmant vouloir “libérer l’Afrique de toute forme d’ingérence étrangère.”

En avril 1964, Kenyatta a exprimé des soupçons qu’Odinga pourrait tenter de le renverser, ce qui, selon le Guardian, a suscité des plans d’intervention militaire britannique en cas de coup d’État. À la suite de ces efforts de propagande, les maisons d’Odinga et de ses partisans ont été perquisitionnées, mais aucune preuve de la préparation d’un coup d’État n’a été trouvée et le vice-président a conservé son poste, du moins pour le moment.

En 1966, Odinga démissionne et crée son propre parti de gauche, la Kenya People’s Union. En 1969, le parti est interdit, et Odinga est placé en détention puis emprisonné par le successeur de Kenyatta, Daniel arap Moi. Néanmoins, le fils d’Odinga, Raila Odinga, participa à l’élection présidentielle suivante au Kenya.

L’histoire des opérations de propagande britanniques au Kenya rappelle que l’époque d’un empire en déclin ne veut pas tant dire le faste que la tromperie, la désinformation et les coups bas“, a déclaré au Guardian le professeur Scott Lucas, spécialiste de la politique étrangère britannique à l’université de Birmingham.

En mai, The Guardian a révélé comment, des années 1950 aux années 1970, Londres a cherché à creuser un fossé entre Moscou, Pékin, le monde arabe et l’Afrique par le biais de la désinformation, dans le but de saper leur influence mondiale.

Des documents déclassifiés en 2021 et consultés par le journal ont également montré que la campagne de propagande britannique avait joué un rôle dans le massacre des communistes en Indonésie dans les années 1960. Bien que l’unité de propagande ait été officiellement dissoute en 1977, des efforts similaires auraient continué pendant près de dix ans, selon le journal [et continuent encore de nos jours, comme on le voit régulièrement, NdT].

RT

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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