Le problème de la « doctrine Gerasimov » est qu’elle n’existe tout simplement pas


Par Bryan MacDonald – Le 19 septembre 2017 – Source Russia Today via dedefensa.org

The problem with the 'Gerasimov Doctrine' is that it doesn’t exist

Juste au moment où vous pensiez que la couverture médiatique occidentale sur la Russie ne pouvait pas être pire, eh bien non. Le Financial Times, autrefois relativement compétent sur ce sujet, a offert sans broncher une couverture médiatique sur une stratégie militaire inexistante. Ils pourraient tout autant publier un article sur les « Crop Circles » ou sur le « Prieuré de Sion ».

Le canular concerne la « doctrine Gerasimov » – sur la base d’un essai de 2013 où le chef d’état-major général des forces armées de Russie, Valéry Gerasimov, a mentionné différents types de guerres modernes, qu’on pourrait appeler « guerres hybrides ». En réalité, il réfléchissait sur les opérations militaires conduites par l’Occident, et non pas par la Russie. Plus précisément sur la Libye et la Syrie et les efforts de « changement de régime » liés aux « printemps arabes » de cette année là.

Dans l’article, Gerasimov ne mentionne jamais le mot « guerre hybride », et le mot le plus proche est le conflit « asymétrique », qui est prononcé à trois reprises. De plus, il convient de se rappeler comment le concept a d’abord été exprimé à la suite de l’agression géorgienne contre l’Ossétie du Sud en 2008 et la réaction du Kremlin face au gambit de Mikhail Saakachvili. De plus, à l’époque, Nikolai Makarov était chef de l’armée, et non Gerasimov. Donc, si cela devait exister, un titre plus approprié contiendrait le nom de ce dernier.

Les manœuvres militaires peuvent avoir des effets étranges sur les gens. Par exemple, la manœuvre  conjointe Russie-Biélorussie, Zapad-2017, qui se déroule actuellement, a tellement effrayé les États baltes qu’ils ont délégué leur espace aérien au contrôle américain. Pendant ce temps, le président de l’Ukraine suggérait que ces manœuvres n’étaient qu’un écran de fumée pour masquer l’invasion de son pays, et le vice-ministre de la Défense polonais avertissait que cela pourrait servir d’excuse pour stationner de façon permanente des soldats en Biélorussie.

Nous avons également appris comment Moscou entame des « manœuvres guerrières », alors que l’OTAN ne fait que des « exercices », et découvert que de nombreux responsables américains et européens pensent que Vladimir Poutine a engagé exactement 100 000 soldats dans l’action. Probablement, parce qu’il aime des nombres parfaitement ronds, grands et effrayants. Mais, pour sa part, le Kremlin insiste sur le fait que seulement 13 000 hommes sont engagés dans l’effort.

Menace d’irréalité

Comme la Coupe du monde, Zapad se tient tous les quatre ans, ce qui signifie que les essais en cours ont bien été annoncés et ne sont guère surprenants. Mais son existence même est une bonne aubaine pour l’industrie de la « menace russe », et il est remarquable que la CEPA, un groupe de pression travaillant pour les fabricants d’armes américains, ait même mis en place un site internet avec une horloge compte à rebours pour aider à doper les affaires de leurs sponsors.

Une autre source de peur apparue récemment est cette merde nommée la « doctrine Gerasimov ». Elle est fortement promue par Molly McKew, une lobbyiste qui est rapidement passée, malgré son manque de références, au statut d’« expert russe ». On peut supposer que ses fantasmes conviennent au récit courant aux États-Unis. Cependant, le problème avec cette grande stratégie est que cette doctrine n’existe tout simplement pas. Nous le savons parce que personne en Russie ne la mentionne et que personne de crédible n’atteste de son authenticité.

Bien sûr, certains « observateurs russes » occidentaux et « kremlinologues » ont spéculé dessus, mais ces personnes ne doivent pas être prises au sérieux. Parce que s’il pleuvait de la soupe à Moscou, ils se tiendraient debout dans la rue avec des fourchettes. Loin de la capitale russe, naturellement.

Allons-y directement maintenant : la « doctrine Gerasimov » n’est qu’une fiction. Ce qui signifie qu’elle entre dans la même catégorie que le monstre du Loch Ness ou la malédiction de la momie. Et pourtant, de grands adultes se cachant souvent derrière de faux diplômes scolaires en parlent.

Les chaises musicales

Il y a quelques années de cela, The Financial Times était peut-être le seul journal occidental qui gardait encore un peu d’objectivité sur le sujet russe. Mais son correspondant d’alors, Charles Clover, a été réaffecté, et ses successeurs ont manqué d’expérience, de sérieux et de capacité. Ce déclin a conduit à ce que le journal tombe dans une escroquerie telle que la « doctrine Gerasimov », le week-end dernier, et la fonde dans l’hystérie à propos du Zapad pour créer un « agrandissement phénoménalement hyperbolique » de la situation.

En effet, comme Mark Galeotti, un expert de la Radio Free Europe étasunienne, le dit : « Il semble que Molly McKew a travaillé sur la biographie Wikipédia de Gerasimov, et le travail a dû être bouclé en une heure. » Et, pour être juste, il a mâché ses mots.

Parce que l’équipe de Moscou du Financial Times a livré quelque chose de si grossièrement construit qu’elle a fait preuve d’une compétence allant de y à z. Un faux pas qui présente un général russe à la retraite comme un Zhuge Liang ou un Lord Nelson contemporain, capable de construire un dogme martial radical à partir de rien. Et du coup, ils en font un géant.

Le FT tente de soutenir son argumentation en mentionnant la Crimée, des allégations de piratage des élections américaines et de guerre de l’information. En présentant ces exemples comme la découverte soudaine de méthodes non linéaires russes. De plus, l’auteure n’est pas consciente que les États-Unis utilisent depuis des décennies des techniques hybrides comme les sanctions et les révolutions, qu’elles soient colorées ou non, pour atteindre des objectifs stratégiques.

Des sanctions économiques ou le renversement de gouvernements légitimes sont clairement des formes de « guerre hybride » qui sont bien antérieures à Gerasimov, Makarov et Poutine lui-même. N’oublions pas non plus que James Mattis, l’actuel secrétaire américain à la Défense, a publié conjointement un essai, en 2005, intitulé « La guerre du futur : l’augmentation des guerres hybrides », huit ans avant que Gerasimov ne rédige son article.

Soyons clairs : la « doctrine Gerasimov » est du grand n’importe quoi. Et elle semble avoir émergé de ce simple article écrit en 2013 et diffusé sur les médias sociaux par les observateurs occidentaux de la Russie, ce qui en fait une construction étrangère sans aucune base dans la réalité russe. Ainsi, cela équivaut à une version contemporaine du « Missile Gap » du temps de la guerre froide. Mais le fait que le Financial Times soit tombé dans ce piège ne fait que montrer à nouveau l’état désespéré du journalisme américain et britannique quand il s’agit de Moscou.

Bryan MacDonald

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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2 réflexions sur « Le problème de la « doctrine Gerasimov » est qu’elle n’existe tout simplement pas »

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