Par Moon of Alabama – Le 15 janvier 2020
Un curieux « changement de régime » s’est produit en Russie aujourd’hui, avec la démission du Premier ministre Dimitri Medvedev et de l’ensemble de son cabinet.
Ce matin, le Président Vladimir Poutine a tenu son discours annuel devant l’Assemblée fédérale de Russie (transcription anglaise). Poutine a parlé de la situation démographique de la Russie, de son armement et de la célébration prochaine du 75e anniversaire de sa victoire dans la Seconde Guerre mondiale.
Mais la partie la plus importante a porté sur les changements constitutionnels. Voici un résumé via l’agence TASS :
Poutine a suggéré de mettre en place un ensemble d'amendements constitutionnels en vue d'un plébiscite. Dans le même temps, le président russe a déclaré qu'il ne voyait aucune raison d'adopter une nouvelle constitution pour la Russie. Poutine a également suggéré de stipuler la suprématie de la Constitution russe sur les normes internationales en Russie. "Le temps est venu d'apporter quelques modifications à la loi fondamentale de la nation qui garantiraient directement la priorité de la Constitution russe dans notre espace juridique. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les exigences du droit international et les décisions des organes internationaux ne peuvent être appliquées en Russie que dans une mesure qui ne viole pas les droits et libertés de l'homme et du citoyen et ne porte pas atteinte à notre Constitution", a souligné Poutine.
Il semble que la Cour européenne des droits de l’homme ait énervé la Russie une fois de trop. La Cour est associée au Conseil de l’Europe qui compte 47 états membres dont la Russie. Elle a jugé à plusieurs reprises en faveur des oligarques renégats en exil et de l’opposition « occidentale » en Russie.
Poutine a ensuite proposé des changements supplémentaires à la constitution. Ce sont probablement ces points qui ont conduit à la démission de Medvedev :
Poutine est d'accord pour que la même personne n'occupe pas le poste de chef de l’État pendant plus de deux mandats consécutifs. "Je sais que notre société débat de la disposition constitutionnelle selon laquelle la même personne ne doit pas occuper le poste de président de la Fédération de Russie pendant plus de deux mandats consécutifs. Je ne pense pas que cette question soit d'une importance fondamentale, mais je suis d'accord avec cela", a déclaré M. Poutine.
L’interprétation de l’agence TASS selon laquelle Poutine « convient que la même personne ne devrait pas occuper le poste de chef d’État pendant plus de deux mandats consécutifs » n’est pas soutenue par la déclaration de Poutine. Actuellement, la constitution russe prévoit une limite de deux mandats consécutifs. Poutine veut-il la conserver ou l’enlever ? La transcription officielle en anglais du discours a également une formulation légèrement différente :
Je sais que l'on discute de la disposition constitutionnelle selon laquelle une personne ne peut pas occuper le poste de président de la Fédération de Russie pendant deux mandats successifs. Je ne considère pas cela comme une question de principe, mais je soutiens et partage néanmoins ce point de vue.
Quel est exactement le point de vue que Poutine soutient ici. Une limite de mandat, comme l’agence TASS semble le laisser entendre, ou aucune limite, comme le laisse entendre le New York Times ? Si la limitation du mandat est levée, Poutine pourrait se présenter à nouveau pour une troisième présidence consécutive. Medvedev, qui aurait espéré redevenir président, n’aimerait probablement pas la deuxième interprétation.
Plus venant de TASS :
Le président a également proposé de compléter la Constitution russe par une exigence spéciale selon laquelle un candidat au poste de chef de l’État doit résider en Russie depuis au moins 25 ans et ne pas avoir de nationalité étrangère ni de permis de séjour à l'étranger, non seulement au moment de l'élection, mais jamais auparavant. En vertu de la Constitution actuelle, tout citoyen russe qui vit dans le pays depuis au moins dix ans peut être élu président de la Russie.
Le fait qu’un candidat à la présidence n’ait jamais dû avoir de permis de séjour dans un pays étranger est une curieuse restriction. Poutine a vécu en Allemagne de l’Est entre 1985 et 1990. Il était officier du KGB à l’époque, mais je suis sûr que le KBG a pris soin d’obtenir des permis de résidence du pays hôte pour ses officiers d’infiltration. Toutefois, ce changement n’aurait pas d’incidence sur Medvedev.
En outre, Poutine a proposé de modifier la constitution pour élargir les pouvoirs du Parlement et du Conseil fédéral de l’État, qui n’a actuellement pas grand-chose à dire. Voici un extrait de son discours :
Quelle est la situation actuelle ? Conformément aux articles 111 et 112 de la Constitution russe, le Président n’a besoin que de l'accord de la Douma d’État pour nommer le Premier ministre, puis il nomme le chef du Cabinet, ses adjoints et tous les ministres. Je propose de modifier la procédure et de permettre à la Douma d'État de nommer le Premier ministre de la Fédération de Russie, puis tous les vice-premiers ministres et les ministres fédéraux sur recommandation du Premier ministre. En même temps, le Président devra les nommer, il n'aura donc pas le droit de refuser les candidats approuvés par le Parlement. (Applaudissements). Tout cela signifie des changements drastiques dans le système politique.
Cette décision donnerait à tout futur président moins de pouvoir que celui que détient actuellement Poutine. Mais pourquoi Poutine affaiblirait-il la position du président s’il voulait se présenter pour un autre mandat ?
La démission de Medvedev en tant que premier ministre est complètement inattendue et semble politiquement inutile. Les médias ont fait le lien avec les changements constitutionnels proposés par Poutine :
Avant d'annoncer la démission du cabinet, M. Medvedev a rencontré M. Poutine pour discuter de son discours sur l'état de la nation, qui a eu lieu plus tôt mercredi, a déclaré le bureau de presse du Kremlin. Dans son discours, M. Poutine a proposé plusieurs amendements à la constitution. Medvedev a expliqué que son cabinet démissionne conformément à l'article 117 de la Constitution russe, qui stipule que le gouvernement peut offrir sa démission au président qui, à son tour, peut l'accepter ou la rejeter. "Dans ce contexte, il est évident que, en tant que gouvernement, nous devons fournir au président la capacité de prendre toutes les décisions" qui sont nécessaires pour mettre en œuvre le plan proposé, a expliqué Medvedev.
Poutine a accepté la démission et a annoncé qu’un nouveau poste de vice-président du Conseil de sécurité serait créé et que Medvedev occuperait ce poste. Le Conseil de sécurité nationale russe est présidé par le président lui-même et comprend le premier ministre, les chefs du Conseil fédéral et de la Douma d’État, les ministres de la défense, des affaires étrangères et de l’intérieur, ainsi que les chefs des services de sécurité.
Medvedev n’est donc pas mis à l’écart mais obtient un poste où il est l’adjoint de Poutine dans les affaires intérieures et extérieures importantes.
Dans la soirée, Poutine a annoncé qu’il avait nommé Mikhaïl Michoustine, le chef du service fiscal fédéral russe, comme nouveau Premier ministre. Ce natif de Moscou, âgé de 53 ans, est pratiquement inconnu du grand public. C’est un choix curieux et surprenant.
Même les analystes russes proches de Poutine ne semblent pas savoir si Poutine et Medvedev avaient planifié le « changement de régime » d’aujourd’hui ou si c’est le geste totalement spontané d’un Medvedev en colère. Ils ne semblent pas non plus savoir si Poutine veut partir en 2024 ou s’il veut rester pour un autre mandat.
Il ne nous reste donc qu’à lancer nos paris.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone