Par David Hearst – Le 28 mai 2016 – Middle East Eye
Les Émirats arabes Unis, l’Égypte et la Jordanie sont en train de planifier une ère post-Mahmoud Abbas, qui laisserait son rival du Fatah, Mohammed Dahlan, au contrôle de la présidence palestinienne, l’Organisation de libération palestinienne et l’Autorité palestinienne, a appris le journal Middle East Eye (MEE).
Des sources palestiniennes et jordaniennes de haut niveau nous ont parlé, chacune de leur côté, du plan. Bien qu’il y ait des différences d’approche – la source jordanienne a ajouté des mises en garde au sujet des faiblesses connues de Dahlan – elles ont corroboré de façon indépendante l’existence d’un plan d’action commun.
Abbas a été une figure dominante dans la politique palestinienne depuis les années 1990 et le président palestinien depuis 2005.
Dahlan est un ancien chef du parti politique palestinien Fatah, qui a été exilé de Gaza et de Cisjordanie et qui entretient des liens étroits avec la monarchie des États arabes unis (EAU).
Les EAU ont déjà eu des discussions avec Israël sur la stratégie à adopter pour installer Dahlan, et les trois parties en informeront l’Arabie saoudite, une fois qu’elles seront parvenues à un accord sur sa forme définitive.
Les principaux objectifs du plan sont les suivants:
- unir et renforcer le Fatah pour les prochaines élections contre le Hamas
- affaiblir le Hamas en le divisant en factions rivales
- conclure un accord de paix avec Israël, avec le soutien des États arabes
- prendre le contrôle des institutions palestiniennes souveraines, l’Autorité Palestinienne (AP), la présidence de l’OLP et le leadership du Fatah
- mettre en scène le retour de Dahlan comme la puissance derrière le trône du Fatah et de l’Autorité palestinienne.
L’un des principaux meneurs du plan est Mohammed bin Zayed, le prince héritier d’Abou Dhabi, qui a clairement fait savoir à la Jordanie que les différences qu’elle entretenait à propos du président palestinien Abbas avaient affecté leurs relations bilatérales.
Il y a quelques temps, les Émiratis ont demandé l’arrestation d’Abbas, ainsi que de lui interdire l’entrée en Jordanie ou d’utiliser la Jordanie comme point de départ pour voyager à l’étranger.
«Les Émiratis, en particulier Mohammed Bin Zayed, ont absolument rejeté Abbas, au plan personnel, dans la mesure où ils ont explicitement dit aux Jordaniens que la raison pour laquelle il se montrent peu coopératifs est dû au fait que la Jordanie n’a pas pris position contre Abbas», selon ce qu’une source palestinienne a déclaré à MEE.
Les trois pays arabes ont énuméré les étapes nécessaires pour mettre en œuvre ce plan et ont alloué des rôles à chaque acteur.
Avant que des élections présidentielles et législatives puissent être tenues cette année, au cours desquelles Abbas pourrait être démis, un remplaçant nommé et un accord conclu avec Israël, diverses mesures doivent être prises.
La première consiste à réussir une réconciliation au sein du Fatah.
«Dahlan estime que le Hamas est plus faible que le Fatah à Gaza et que le Fatah est plus faible que le Hamas en Cisjordanie et donc que le Fatah pourrait gagner à condition d’être uni, alors que le Hamas est susceptible de gagner si le Fatah reste désuni», nous dit la source palestinienne.
«Dahlan estime que deux options sont possibles pour y parvenir : soit Abu Mazen [Abbas] démissionne, ce qui est peu probable, soit la Jordanie arrive à réconcilier Dahlan et Abbas sous la bannière du Fatah pour le renforcer.»
La deuxième étape serait de se mettre d’accord avec le Hamas sur la tenue d’élections présidentielles et législatives. La troisième serait de remodeler l’AP pendant la période pré-électorale.
«Les parties concernées [les Émirats arabes unis, la Jordanie et l’Égypte] pensent que Mahmoud Abbas est politiquement fini et qu’ils devraient essayer d’empêcher toute surprise de la part de Abbas au cours de la période où le Fatah restera sous sa direction, jusqu’à ce que les élections aient lieu», ajoute la même source .
«C’est dans ce cadre qu’ils soulignent la nécessité de pousser Abu Mazen à nommer un adjoint.»
N’ayant pas envie de se présenter comme candidat à la présidence à ce stade, d’après nos sources, Dahlan vise le poste de président du Parlement, une position à partir de laquelle il pense pouvoir contrôler la présidence.
Dahlan veut l’ancien ministre palestinien des Affaires étrangères, Nasser al-Qudwa, pour le poste de président, bien que les Israéliens préfèrent Ahmed Qurei (Abu Alaa). Dahlan prétend être en mesure d’avoir autant d’influence sur les deux.
«Dahlan estime que les positions de direction peuvent être partagés en trois : le chef du Fatah, le président de l’Autorité palestinienne et président de l’OLP. Il n’a pas d’objection à ce que ce soit la Jordanie qui décide des personnes les plus appropriées pour ces positions», nous dit la source.
«Après avoir soumis ses options et préférences personnelles, Dahlan dit que la question est soumise au dialogue et à la discussion avec les Jordaniens et les Émirats et qu’il sera possible de travailler avec les noms proposés par la Jordanie.»
Dahlan veut des élections législatives et présidentielles menées au nom de l’État palestinien, plutôt que sous la bannière du conseil législatif palestinien, qui est dominé par le Hamas ou l’Autorité palestinienne. De l’avis de Dahlan, cet arrangement renforcerait l’OLP contre l’Autorité palestinienne, et permettrait de contourner la question de la Charte palestinienne.
La quatrième étape de ce plan est de soumettre le Hamas.
Ceci, de l’avis de Dahlan, pourrait être atteint de plusieurs façons : en divisant le Hamas en une faction nationale à l’intérieur de Gaza et une autre, à caractère international, liée à l’organisation internationale des Frères musulmans ; en contenant le Hamas à l’intérieur de l’AP ; en exerçant une pression douce sur le Hamas, avec, par exemple, un plan émirati pour installer une usine de dessalement d’eau dans le Sinaï, qui servirait Gaza tout en donnant aux Égyptiens et à leurs alliés la possibilité de couper l’approvisionnement.
«Dahlan estime qu’il devrait être possible de travailler avec la direction du Hamas à Gaza. Il affirme qu’il a été celui qui a convaincu les Égyptiens de rencontrer la délégation du mouvement Hamas dans ce contexte», a déclaré la source.
«Les Égyptiens ont présenté au Hamas leurs trois conditions pour la réconciliation, à savoir que le Hamas cesse tout comportement hostile à l’intérieur de la bande de Gaza ; que le Hamas travaille pour pacifier la situation à l’intérieur du Sinaï ; et que le Hamas livre à l’Égypte ceux qu’elle recherche et qui se cachent à l’intérieur de Gaza. Dahlan insiste sur le fait qu’il a été celui qui a ajouté la dernière condition, en particulier pour faire pression sur le Hamas.»
D’autres moyens de contenir Gaza sont des tentatives de lier le Djihad islamique, un mouvement rival du Hamas dans l’enclave, aux Émirats arabes unis, en misant sur la probabilité que l’Iran les a abandonnés.
Une délégation du Djihad islamique est arrivée mardi au Caire et a mené des entretiens avec les responsables de la direction générale du renseignement de l’Égypte.
Les EAU ont assigné des rôles à Tony Blair, l’ancien envoyé spécial au Moyen-Orient pour le Quartet, et à l’envoyé de l’ONU en place, Nicolai Mladinov. Les Émirats arabes unis cherchent également à rencontrer Rached Ghannouchi, le leader du parti tunisien Ennahdha.
Le plan a été corroboré par une source jordanienne de haut niveau, qui nous en a informés après la visite de Dahlan à Amman le 31 mars, sa première visite au royaume depuis cinq ans.
Au plus fort du conflit entre Abbas et Dahlan en 2012, la Jordanie a saisi les avoirs du frère de Dahlan, sur les instructions de l’Autorité palestinienne.
L’excuse pour la récente visite de Dahlan était d’assister à une cérémonie de mariage, mais son objectif était de demander l’intervention jordanienne pour la réconciliation avec Abbas.
La Jordanie, selon cette source, se méfie de Dahlan.
Ses points forts sont ses liens étroits avec les Émirats arabes unis, Israël et les États-Unis. Dahlan a également des liens étroits avec les principaux politiciens palestiniens tels que Yasser Abd Rabbuh, Salam Fayyad et Nasser al Qudwa, et il a la capacité d’augmenter son influence en Cisjordanie et à Gaza par l’argent.
Les faiblesses de Dahlan
Mais la liste de ses points faibles, selon les autorités jordaniennes, est plus longue.
Il est considéré comme impopulaire parmi les Palestiniens et est accusé de corruption et de liens avec les services de sécurité israéliens.
Sa relation à somme nulle avec Abbas, qui voit Dahlan comme la principale menace à sa présidence, est également considérée comme problématique, comme l’est le fait qu’il travaille en dehors du territoire contrôlé par l’Autorité palestinienne.
Les Jordaniens estiment que la décision prise par Abbas de remplacer Yasser Abd Rabbuh, le secrétaire exécutif de l’OLP, par Saeb Erekat montre qu’Abbas est conscient de la possibilité d’une révolution de palais, et pourrait travailler contre les intérêts jordaniens à Jérusalem.
Il a toutefois été noté que Dahlan avait de l’influence dans les camps de réfugiés palestiniens installés en Jordanie et constituerait «un atout important pour imposer un contrôle à l’intérieur des camps».
Pour peser les différents avantages et inconvénients de l’offre de Dahlan, la Jordanie a choisi de prendre du temps, selon notre source.
La stratégie est de continuer à renforcer les contacts avec Dahlan et de montrer de l’intérêt pour une réconciliation à l’intérieur du Fatah, de lui dire d’attendre jusqu’aux élections présidentielles américaines et de demander l’aide américaine pour pousser Abbas vers une réconciliation.
La Jordanie devrait dire à Dahlan que le terrain doit être préparé avant une telle démarche et en même temps «tester la sincérité et la loyauté de Dahlan», en lui demandant de soutenir le rôle de la Jordanie à Jérusalem de manière concrète.
La Jordanie voit les avantages évidents de travailler avec Dahlan. Un rapprochement au sein du Fatah, par exemple, permettrait à la Jordanie d’exercer une influence en Cisjordanie. Mais elle y voit également des pièges potentiels.
Ceux-ci comprennent l’importance du roi Abdallah à rester au-dessus de la mêlée palestinienne; le risque pour la Jordanie d’être happée par le conflit en cours au sein du Fatah; et le risque de mettre en péril les bonnes relations qu’Abbas continue d’avoir avec la Jordanie.
«Le roi de Jordanie ne devrait pas mener une initiative qui est susceptible d’échouer. Considérant l’implication de Dahlan, le roi pourrait être considéré comme quelqu’un prenant parti en soutenant un camp contre un autre. Voici comment Abbas voit le rôle joué par [le président égyptien Abdel Fattah al] Sisi et les EAU», nous a déclaré la source jordanienne.
David Hearst
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.