Le jour sans fin


Par Dmitry Orlov – Le 11 avril 2017 – Source Club Orlov

Lorsque vous écoutez quelqu’un, vous ne devez pas nécessairement lui faire confiance (parce que, par exemple, il est connu pour être un menteur). Il est même très important d’essayer d’évaluer s’il ment ou non. C’en est ainsi avec les représentants du gouvernement des États-Unis et leurs homologues de l’UE : ils ont menti sur beaucoup de choses par le passé. Et maintenant, est-ce qu’ils mentent ou non au sujet de la Syrie? Ils ont menti au sujet du golfe du Tonkin et ont utilisé ces mensonges pour commencer la guerre du Vietnam. Ils ont menti sur les armes de destruction massive irakiennes et ont utilisé cela pour justifier l’invasion de l’Irak. Ils ont menti sur les catastrophes humanitaires au Kosovo et en Libye, et ont utilisé ces mensonges pour démembrer la Serbie et détruire la Libye. Donc, un point de départ conservateur consiste à supposer que les Américains mentent, puis à chercher des preuves qui indiqueraient que cette fois, ils pourraient dire la vérité. Regardons cela de près.

À un niveau méta, le mensonge est souvent une question de comportement. Ceux qui racontent la vérité ont tendance à se reposer sur des preuves, en essayant de concilier des faits contradictoires, car il y a toujours des faits de ce genre. La vérité sur tout incident est presque toujours un peu désordonnée, surtout les premiers jours, avant que tous les faits ne soient connus. D’autre part, ceux qui mentent font généralement un grand effort pour garder leurs histoires cohérentes.

Ensuite, il y a la question du timing : si la « vérité » de l’histoire « sort » presque immédiatement après un événement, et ne change jamais, peu importe la quantité de preuves contradictoires qui sont révélées, il y a de très bonnes chances que ce soit un mensonge. Si au contraire elle s’élève graduellement, au cours d’une enquête minutieuse et d’un examen critique, en ayant bien pesé les preuves, il y a de bonnes chances que ce soit la vérité. C’est particulièrement gênant si l’histoire « s’échappe » dans les médias avant l’événement lui-même, ou peu de temps après, avec différents porte-paroles qui commencent à raconter exactement la même histoire, en utilisant exactement les mêmes mots et les mêmes phrases, sans avoir eu le temps de se consulter. Dans cette dernière attaque supposée à l’arme chimique en Syrie, la représentante de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, est venue publiquement faire un condamnation très peu de temps après, peut-être trop tôt pour lui donner le temps de vérifier les faits. A-t-elle simplement reçu un mémo du Département d’État américain, contenant ses points de discussion? Combien de décennies devrons-nous attendre, avant que cette information ne soit déclassifiée? Espérons qu’un bon pirate russe s’en emparera et la libérera avant, et que WikiLeaks la publiera.

Il est également un peu gênant que la réponse supposée spontanée, en réaction à un événement, ait nécessité des préparatifs qui ont commencé avant l’événement lui-même. Par exemple, les préparatifs de l’invasion américaine de l’Afghanistan ont débuté avant le 11 septembre. Un autre exemple : après que le vol malaisien MH17 ait été abattu à l’est de l’Ukraine, un groupe de pirates informatiques appelé CyberBerkut a publié des informations montrant plusieurs sbires de l’oligarque ukrainien Igor Kolomoisky, conspirant pour se mettre d’accord sur la couverture médiatique de l’événement, avant qu’il ne se produise. Dans ce dernier incident [à Khan Cheikhoun en Syrie, NdT], plusieurs experts militaires ont déclaré que l’opération consistant à tirer des missiles Tomahawk sur une base aérienne syrienne devait être planifiée préalablement. Il n’y avait tout simplement aucun moyen de le faire sans s’en préoccuper un bon moment avant. Il y eu une autre coïncidence étrange : ISIS a attaqué immédiatement après l’incident dans l’enclave d’Idlib, et les attaques massives ne sont jamais impromptues. Qui a donné un avertissement préalable à ISIS?

Enfin, c’est encore plus gênant lorsqu’un nouveau mensonge ressemble étrangement à un vieux mensonge. Cet événement supposé d’armes chimiques avait un certain air de « jour sans fin« : c’était une réplique presque exacte de la prétendue attaque à l’arme chimique qui avait conduit la Syrie à abandonner volontairement son stock d’armes chimiques [Attaque de la Gouta en 2013, NdT]. Combien de fois exactement, est-il possible de faire retirer à un pays ses armes chimiques et de certifier qu’il n’en a plus? Deux fois? Trois fois? À quel point tout ce processus se transforme-t-il en farce?

Mais revenons à nos moutons : l’histoire actuelle racontée encore et encore à propos de la Syrie est que l’armée de l’air syrienne a utilisé des armes chimiques contre des femmes et des enfants dans la province d’Idlib. Cela a d’abord été indiqué immédiatement après l’événement, sans aucune enquête. Aucune preuve n’a été recueillie, aucun test de laboratoire, rien. Il existe cependant certains faits qui ne correspondent pas à cette histoire. Tout d’abord, la Syrie avait renvoyé toutes ses armes chimiques aux inspecteurs internationaux, et les États-Unis ont payé pour les faire détruire. Les responsables de cette opération ont même reçu un prix Nobel de la paix pour leurs efforts. Ce prix sera-t-il annulé maintenant, vu qu’ils semblent avoir échoué? Deuxièmement, on sait que les soi-disant « rebelles syriens » (ou « terroristes modérés », si vous préférez) possèdent des armes chimiques et la capacité de les fabriquer. Bien que les médias occidentaux aient pris soin de ne pas en faire état, ils ont utilisé des armes chimiques en Syrie et en Irak. Il est intéressant de se demander où ils les ont obtenues. Selon Seymour Hersh, ils les ont obtenues depuis la Libye, avec d’autres armes, grâce à l’aide d’Hillary Clinton.

Troisièmement, rien ne prouve que des armes chimiques aient effectivement été utilisées. Ce qui a été démontré jusqu’ici, en ce qui concerne les « preuves », c’était des Casques Blancs (une organisation connue pour mettre en évidence de fausses atrocités) se précipitant sur la « scène du crime » et s’activant autour des enfants morts qui, et on est prié de les croire, seraient morts d’intoxication au gaz de sarin. Ces acteurs avec des casques blancs ne portaient pas de masques ni de gants appropriés, tout en manipulant des victimes présumées d’attaque chimique. Nous sommes donc en droit de nous poser des questions sur le moment de la mort de ces acteurs, et quand et où les enterrements auront lieu, au cas où nous souhaiterions leur rendre hommage, car à l’heure actuelle, ils seraient tous morts, eux aussi, d’empoisonnement au gaz sarin.

Enfin, si nous regardons attentivement les photographies des enfants qui étaient les victimes supposées de cette attaque au gaz sarin, dans plusieurs cas, nous pouvons observer des signes de traumatisme brutal à la tête ou au cou. Nous sommes donc en droit de nous renseigner et sur ce qui les a provoqués, et quand. Est-ce que les Casques Blancs les ont éliminés d’une balle dans la tête, puis les ont disposés comme victimes d’attaque chimique, pour faire une photo truquée? Le gaz sarin ne cause pas de contusions.

Étant donné qu’il n’y a pas de preuve concrète qu’une attaque chimique ait eu lieu, ou que le gouvernement syrien en soit complice, si elle s’est déroulée, il faut recourir à la technique standard utilisée pour évaluer les preuves circonstancielles d’un crime : établir un moyen, un motif et une opportunité. Nous devons certainement accorder que cette opportunité existe : les avions syriens ont bombardé le secteur au même moment, ciblant spécifiquement un stock de munitions qui aurait pu contenir des armes chimiques, et le gouvernement syrien ne l’a pas nié. Mais on ne peut pas dire que les Syriens avaient les moyens de perpétrer cette attaque chimique, sans contredire un grand nombre de personnes qui ont déclaré sans équivoque et par compte rendu, que la Syrie ne possède plus aucune arme chimique.

Le plus convaincant est le manque absolu et complet de motivation. Au contraire, les Syriens étaient très motivés pour ne rien faire de nature à perturber le processus de règlement de leur guerre civile par la diplomatie, alors que tous les signes indiquaient que cette méthode commençait à porter ses fruits. Le gouvernement syrien avait largement gagné la guerre et n’avait aucune raison de recourir à de telles mesures désespérées. D’autre part, les « terroristes modérés », qui sont à l’heure actuelle très proches d’être anéantis, avaient, eux, toutes les raisons d’essayer une telle tentative désespérée, en espérant que cela pourrait renverser la marée en leur faveur, ou au moins retarder sa conclusion inévitable.

Sur la base de tout ce qui précède, je crois qu’il est justifié d’accepter comme hypothèse de travail ce qui suit : la prétendue attaque syrienne à l’arme chimique à Idlib est une attaque sous faux drapeau, peut-être même une fausse attaque sous faux drapeau. Peut-être que des agents chimiques ont été rejetés dans l’air; peut-être pas. Seuls les résultats des tests en laboratoire des échantillons de sol peuvent nous le dire. Peut-être que les enfants sont morts d’empoisonnement, ou peut-être sont-ils morts, tués pour pouvoir être disposés là comme victimes d’une attaque chimique. Seule une autopsie pourrait le dire.

Maintenant, alors que la vérité peut être utile ou préjudiciable, et être utilisée à des fins diverses, elle est rarement proposée uniquement pour elle-même. Un mensonge est souvent inventé pour obtenir un résultat spécifique. Comme je l’ai déjà mentionné, ce mensonge particulier n’était clairement pas conçu pour aider le gouvernement syrien. D’autre part, on pourrait dire qu’il a aidé les « terroristes modérés », qui sont actuellement en difficulté. Mais ce sont des acteurs secondaires de ce drame. Il semble étrange de supposer que quelques mercenaires étrangers puissent dicter la direction de la politique étrangère ou de la stratégie militaire américaine. Il faut une queue plus grande que celle-ci, pour faire bouger un aussi gros chien.

Mais est-ce une question de politique étrangère ou de stratégie militaire des États-Unis, devons-nous nous demander, ou est-ce totalement autre chose? Jusqu’à présent, la riposte militaire a été la suivante. Les États-Unis ont tiré 59 missiles de croisière Tomahawk à partir de deux navires en Méditerranée, au large de la côte syrienne. Ces missiles de croisière coûtent 1,8 million de dollars chacun, pour un prix total d’un peu plus de 100 millions de dollars. Mais ce n’est que le coût de ces missiles. L’opération dans son ensemble, y compris la planification, a probablement coûté plus près de 300 millions de dollars, et si vous incluez le coût de la planification et toutes les autres activités associées, il est susceptible d’avoir dépassé le demi-milliard.

Seuls 23 des 59 Tomahawks ont atteint la zone cible, ce qui signifie que 60 millions de dollars de missiles ont simplement été jetés par-dessus bord. Le fait que plus de 60% de ces missiles, très coûteux, aient fondamentalement sous-performé ne doit pas être un sujet de grande satisfaction pour les puissantes forces militaires américaines. Nous pouvons être sûrs qu’aucun d’eux n’a été abattu par les systèmes de défense aérienne syriens ou russes. Les Syriens n’ont pas la capacité de démolir ces missiles de croisière. Les Russes en ont la capacité, mais les systèmes de défense aérienne qu’ils ont actuellement en place en Syrie couvrent uniquement la zone autour de leur base aérienne à Khmeimim et leur base navale à Tartous. Ces deux endroits sont à des centaines de kilomètres de la zone cible et la courbure de la Terre les aurait empêchés de suivre ou de cibler des missiles volant à une altitude de 50 mètres. Ainsi, il est assez sûr de supposer que plus de la moitié des Tomahawks sont simplement tombés du ciel.

L’intention de cette attaque était de contrecarrer les capacités du gouvernement syrien à utiliser sa force aérienne pour bombarder des civils en utilisant des armes chimiques qui, selon les autorités américaines, n’existent pas. À cette fin, l’objectif était un aérodrome militaire syrien. Fait intéressant, l’attaque a ciblé la mauvaise extrémité d’un aérodrome plutôt long, qui n’était pas utilisée. Il semble que la plupart des missiles aient explosé sans faire trop de dégâts. Quelques-uns d’entre eux ont frappé des objectifs qui pourraient être considérés comme des cibles : une salle de mess, une installation radar et six jets Mig-23 âgés. Ces jets ont plus de 30 ans et n’étaient plus vraiment susceptibles d’être utilisés activement. Leur valeur était d’à peine 100 000 $ chacun, soit un total de 600 000 $. La base aérienne syrienne était de nouveau opérationnelle moins de 24 heures plus tard, reprenant les sorties aériennes contre ISIS.

Ainsi, en termes militaires, les États-Unis ont gaspillé un demi-milliard de dollars pour infliger la valeur d’un million de dollars de dégâts aux Syriens. Ça fait 0,2% d’efficacité. On peut parler ici plutôt d’une défaite auto-infligée que d’une victoire, et certainement pas de quoi se vanter. En réponse, les Russes ont annoncé que le protocole d’évitement des confrontations directes, convenu avec les États-Unis, et qui a permis aux avions américains de voler en toute sécurité au dessus du territoire syrien, n’était plus en vigueur. Maintenant, les Américains devront être pris en charge par le contrôle du trafic aérien de Damas, sinon ils pourraient être abattus. Les Russes ont également déclaré qu’ils renforceraient les défenses aériennes syriennes. Ils ont la capacité technique de verrouiller complètement l’espace aérien syrien, en accomplissant la promesse d’Hillary Clinton d’imposer une zone d’exclusion aérienne sur la Syrie, sauf que maintenant, ce seront les Américains qui ne voleront plus là-bas. Il convient également de noter que la doctrine militaire russe impose de ne pas dépendre exclusivement des systèmes de défense aérienne. Dans le cours normal des événements, si un navire américain devait commencer à tirer des Tomahawks sur une cible russe, ce navire serait mis hors service quelque temps après, entre le premier et le deuxième Tomahawk, par une torpille à supercavitation russe. Ainsi, il n’est généralement pas conseillé de tester les défenses aériennes russes.

En plus de ces effets indésirables, les dommages politiques sont peut-être encore plus importants. La condamnation de cette attaque des États-Unis a été internationale. Les Américains les plus importants sont susceptibles de considérer cela comme un simple bruit, mais ils ont été tournés en ridicule: l’ambassadeur bolivien à l’ONU, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, a tenu une image de Colin Powell avec son flacon de poudre blanche, comme un rappel poignant que les Américains ont une riche histoire de coups fourrés. Ayant démontré qu’ils ne peuvent plus intimider les pays par la soumission, les Américains n’ont plus de cartes à jouer, militairement ou diplomatiquement. Comme l’attaque contre la Syrie a eu lieu sans une résolution appropriée du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis sont maintenant un état voyou – et impuissant de surplus. Qui, dans le monde, voudrait négocier avec un partenaire aussi peu fiable et aussi peu digne de confiance?

Nous devons donc conclure que ce mensonge n’a pas été conçu pour aider les États-Unis à l’international. Est-ce que c’était utile aux États-Unis sur le plan intérieur, alors? Sur le plan politique, l’attaque contre la Syrie a eu lieu sans l’autorisation du Congrès, requise par la constitution des États-Unis, mais ce n’est pas particulièrement intéressant, car la constitution des États-Unis est à présent aussi efficace qu’un ancien numéro de la Pravda dans une dépendance sibérienne abandonnée. Militairement, avoir démontré que 60% des missiles Tomahawk sont foireux, n’est pas exactement une super stratégie pour le complexe militaro-industriel. Essayer de neutraliser une base aérienne en ciblant le mauvais bout d’une piste et en soufflant une ancienne cafétéria n’est pas exactement une super stratégie pour la « communauté du renseignement » des États-Unis.

En fait, il semble qu’il n’y ait exactement qu’une seule personne pour laquelle ce message ait été conçu, et cette personne est Donald Trump. Il y a cinq manières distinctes, par lesquelles il a bénéficié de ce fiasco total – les enfants morts, les mensonges implacables en public, les problèmes des Tomahawks et les retombées internationales.

Tout d’abord, il a neutralisé l’accusation selon laquelle il y a collusion entre lui et les Russes, en démontrant son extrême belligérance contre son supposé allié russe. L’intégralité de la « tentative d’ingérence électorale » russe est absurde, mais elle lui était néanmoins néfaste. Les États-Unis ont un système politique « tu paies pour jouer », où les électeurs sont utilisés comme des pions dans un schéma délicat de charcutage électoral. Cela utilise un algorithme précis de division et de conquête, afin de déterminer le groupe d’initiés de Washington / Wall Street qui posera ses fesses derrière le bureau ovale. Mais, dans le cas de la victoire électorale de Trump, ce système a mal tourné. Il semble que les électeurs aient finalement décidé qu’ils ne voteraient plus pour les initiés de Washington / Wall Street, peu importe qui ils sont. La solution de l’establishment pour sauver la face a été de blâmer la Russie.

Cela peut sembler étrange, au début. Ce n’est pas comme si les pouvoirs étrangers n’étaient pas autorisés à se mêler de la politique américaine. Israël possède pratiquement la totalité du Congrès par le biais de l’AIPAC, mais ne le dites pas trop fort ou vous serez traité d’antisémite. Les Saoudiens ont financé un énorme morceau de la campagne électorale de Hillary Clinton. Même certains oligarques ukrainiens ombrageux ont dû jeter quelques millions de dollars aux époux Clinton. Beaucoup d’autres puissances étrangères appliquent un effet de levier sur les élites politiques des États-Unis, de diverses manières. Les Russes sont en fait l’exception. Où sont les lobbyistes russes? Où sont les sacs d’argent russe lancés sur les politiciens américains? Il ne reste que les allégations de « piratage » et de « trolling », toutes aussi légères et inconsistantes les unes que les autres. La raison pour laquelle « la responsabilité de la Russie » fonctionne réellement est, de façon étrange, que la Russie est irréprochable – et on peut donc la blâmer, sans risque de découvrir un nid de corruption au sein de l’establishment politique américain. Comme cette tactique fonctionne au niveau des mots et des gestes, le grand geste de Trump de faire sauter une poignée de vieux Mig en Syrie suffit à « prouver » qu’il n’est pas « le caniche de Poutine ».

Deuxièmement, Trump a réussi à réduire considérablement les attentes en ce qui concerne les négociations avec la Russie. Au cours de sa campagne électorale, il a promis qu’il normaliserait les relations avec celle-ci. Mais il était difficile de respecter cette promesse, parce que les Russes ont adopté une attitude nettement anti-américaine à cause des développements récents, tels que le renversement du gouvernement mené par les États-Unis à Kiev, les menaces de guerre de l’OTAN en Europe de l’Est, les sanctions américaines et européennes contre la Russie, la constante diabolisation de la Russie et de Poutine personnellement dans les médias occidentaux et de nombreux autres coups bas et insultes, comme l’interdiction des concurrents russes aux jeux olympiques et dans des compétitions internationales. L’amélioration des relations avec la Russie obligerait les États-Unis à engager une longue liste d’actions, auxquelles l’establishment américain ne consentirait pas. Et même alors, les Américains doivent comprendre qu’avec la Russie, il ne reste qu’un amour amer. En route vers Moscou, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson aurait été maladroit de venir les mains vides. Mais maintenant que les États-Unis ont bombardé une base aérienne syrienne et ont accusé publiquement la Russie de « collusion » avec le « régime Assad », Tillerson va juste faire un bon dîner dans un restaurant de Moscou avec Maria Zakharova, la brillante et séduisante porte-parole du ministère des Affaires étrangères, et peut-être échanger quelques plaisanteries avec Sergueï Lavrov, puis sauter tout de suite dans l’avion du retour. Problème résolu!

Troisièmement, le fiasco avec les Tomahawks a eu lieu alors que Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping et cela a complètement éclipsé la visite de Xi, ce qui a permis à Trump de ne pas avoir à parler du manque de résultats tangibles, lors de la visite du président chinois. Après avoir trompeté à voix haute être un grand « dealmaker », cela aurait été plutôt gênant pour lui d’admettre que tout ce qu’il peut faire, c’est de gaspiller le temps des gens importants en parlant futilité lors d’un parcours de golf. Quelqu’un peut-il faire quelque chose, au sujet de la Corée du Nord? Non, à moins que vous ne vous vouliez transformer Séoul en un cratère désertique! De plus, il y a de bonnes chances que Xi ait déclaré à Trump que les États-Unis ne sont plus le pays le plus puissant et le plus influent dans le monde : c’est la Chine, et rien de tel ne saurait venir à la conscience publique aux États-Unis.

Quatrièmement, Trump a réussi à regrouper les fauteurs de guerre au sein de l’establishment américain, ceux qui poussent à une guerre à grande échelle en Syrie depuis quelque temps, pour les bloquer dans un cul de sac de leur propre conception. Maintenant, leur planification de guerre doit tenir compte du fait qu’ils ne peuvent plus avancer en Syrie, sans déclencher un conflit international plus large. Des questions simples, telles que « Combien de dégâts y aura-t-il? », « Combien cela coûtera-t-il? » et « Combien de temps cela prendra-t-il? » devraient suffire à les bloquer dans la phase de planification. Alors qu’ils luttent en vain pour trouver des réponses plausibles à ces questions, Trump peut faire le beau en déclarant à haute voix que « quelque chose doit être fait », puis en ajoutant sotto voce que les coûts doivent être raisonnables, les dégâts potentiels contenus et qu’il mieux vaut attendre les prochaines élections.

Cinquièmement, cet événement semble avoir donné à cet occupant de la Maison Blanche, plutôt improbable et malchanceux, un nouveau bail sur la vie politique. La présidence de Trump, après seulement quelques mois, tourne en rond dans le marais. L’abrogation de l’Obamacare a échoué, son plan de réforme fiscale semble être mort-né, il y a un silence assourdissant au sujet de l’augmentation de la limite de la dette, qui est nécessaire pour éviter un arrêt du gouvernement cet été, et ses plans de développement de l’infrastructure ne sont nulle part près d’être réalisés. Même son mur le long de la frontière mexicaine reste purement conceptuel. Son taux d’approbation, déjà abyssal, va baisser encore un peu plus, alors qu’il se battait désespérément contre un establishment à Washington enragé et hostile. Mais maintenant, grâce à cet incident syrien, sa position envers ces affreux mécréants qui peuplent ce marigot semble s’être quelque peu améliorée, alors que ses anciens partisans dans la population reculent de dégoût. Bien sûr, personne ne sait combien de temps ce rebond durera, ou si ses supporters le lui pardonneront jamais.

Dans l’ensemble, cet événement, bien que mineur, jette une lumière peu flatteuse sur l’état actuel de l’ancienne hégémonie mondiale américaine : militairement impuissante, diplomatiquement un objet de dérision et de ridicule, politiquement dysfonctionnelle et en plein conflit intérieur, économiquement et financièrement précaire et dirigée par un bouffon ridicule, qui ne peut s’empêcher de faire trébucher tout et tout le monde autour de lui, y compris lui-même. Attention, les États-Unis sont encore très dangereux, mais à ce stade, ils sont surtout dangereux pour eux-mêmes.

Dmitry Orlov

Les cinq stades de l'effondrementLe livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

 

 

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

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