Le Cambodge comme exemple de l’influence chinoise sur l’ASEAN


Par Dmitry Bokarev – Le 10 janvier 2017 – Source New Eastern Outlook

Depuis plusieurs années, les États d’Asie/Pacifique sont pris dans une confrontation entre la Chine et un certain nombre d’autres États riverains de la mer de Chine Méridionale (MCM). Les opposants à la Chine sont des membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui recherchent l’appui des autres États de cette association. Cependant, cette dernière inclut aussi des partisans de la Chine, et les tentatives de transformer l’ASEAN en un conseil pour résoudre ce problème ont échoué à plusieurs reprises.

Le conflit sur la MCM a troublé l’unité de l’ASEAN, en la divisant en partisans et opposants de la politique de la Chine. La Chine et des pays comme Brunei, le Vietnam, la Malaisie et les Philippines sont impliqués dans une confrontation sur un certain nombre d’îles et une partie considérable des eaux qui les entourent. Tous ces États sont riverains de la MCM. Ils sont également soutenus par Singapour. Entre Singapour et la Malaisie se trouve le détroit de Malacca, qui sert de voie d’eau pour les navires traversant la MCM. Ainsi, les économies de ces pays dépendent de la libre navigation sur la mer de Chine méridionale, et ils trouvent que les réclamations chinoises vont à l’encontre de ce concept. Les États-Unis soutiennent les opposants à la Chine principalement en raison de deux objectifs : politique (pour conserver leur influence dans la région par l’amitié avec ces États) et économique (plus de 5 000 milliards de dollars de marchandises transitent chaque année par la MCM et le détroit de Malacca). Si la Chine prend le contrôle total de cette région, les États-Unis pourraient subir de graves pertes.

Les partisans de la Chine dans ce dossier sont les États de l’ASEAN qui n’ont aucun intérêt en MCM mais qui ont de grands intérêts avec la Chine. Il s’agit notamment du Laos, du Cambodge et de la Thaïlande. Grâce à ses voisins amis, la Chine exerce une influence significative sur l’ASEAN, elle-même n’étant pas membre de l’association. En raison de cette influence de la Chine, l’ASEAN a longtemps été incapable de déterminer sa position sur la MCM.

Le Cambodge est particulièrement actif dans son soutien à la Chine. La première fois, en 2012, le document final du Forum des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN n’a pas été adopté à cause du Cambodge qui n’était pas d’accord avec la résolution sur la Chine et la MCM.

Il convient de noter que, d’un point de vue politique et économique, le Cambodge n’est pas le membre le plus puissant de l’ASEAN. Il a cependant empêché celle-ci d’adopter avec succès la résolution conjointe anti chinoise. Parce que toutes les décisions de l’ASEAN sont adoptées par consensus, et si un État choisit de ne pas voter pour une résolution particulière, cela annule automatiquement la décision de tous les autres États. Ainsi, chaque État membre de l’ASEAN a un effet de levier pour influencer la politique de toute l’Association.

La capacité d’un État membre à bloquer toute décision de l’ASEAN contraire à ses propres intérêts fait de chaque membre de l’Association un partenaire attrayant pour les différentes puissances externes qui cherchent à exercer une influence en Asie du Sud-Est. La Chine et les États-Unis sont en compétition pour le Cambodge et les autres pays. La position des États-Unis dans la région devient de plus en plus précaire parce qu’ils comprennent l’importance de chaque nouveau partenaire.

Fin janvier 2016, le secrétaire d’État américain John Kerry s’est rendu au Cambodge. Il a rencontré le Premier ministre, Hun Sen, et le ministre des Affaires étrangères, Hor Namhong. Le but de la visite de Kerry était de convaincre les dirigeants cambodgiens de se joindre aux opposants de la Chine sur la question de la MCM lors du prochain sommet de l’ASEAN + États-Unis dans la ville américaine de Sunnyland en février. Toutefois, après les négociations, Hor Namhong a annoncé que le Cambodge n’avait pas l’intention de modifier sa position et que l’ASEAN ne devrait pas s’ingérer dans les différends territoriaux entre certains pays. Cette déclaration est entièrement conforme à l’opinion de la Chine.

Pourtant, les États-Unis n’ont pas cessé d’essayer d’attirer le Cambodge à leurs côtés. En mai 2016, la Banque mondiale (avec son principal actionnaire les États-Unis) a repris le financement de nouveaux projets cambodgiens liés aux soins de santé, aux infrastructures, à l’approvisionnement en eau et à l’agriculture. En 2011, la Banque mondiale avait suspendu le financement des nouveaux projets au Cambodge en raison de la réquisition forcée de plusieurs milliers de personnes par le gouvernement cambodgien. Ce financement a maintenant repris et la Banque mondiale a décidé d’investir 130 millions de dollars dans des projets cambodgiens. Cependant, ces investissements n’ont pas changé la position tenue par le gouvernement cambodgien.

Il convient de mentionner que le Cambodge entretient des relations amicales avec la Chine depuis longtemps. Elle est son principal partenaire économique et politique. La Chine apporte un soutien considérable au gouvernement cambodgien, tandis que le Cambodge, à son tour, défend les intérêts chinois dans l’ASEAN. De plus, le Cambodge n’a aucun intérêt en MCM.

Le 24 juillet 2016, les ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN ont participé à une réunion dans la capitale du Laos, Vientiane. Peu de temps avant la réunion, le 12 juillet 2016, la Cour d’arbitrage de La Haye a arbitré en faveur de la plainte déposée par les Philippines en janvier 2013 sur l’invalidation des frontières en mer de Chine méridionale que la Chine entend établir en se référant à ses droits historiques sur les îles Spratly, le récif de Scarborough et une partie considérable de cette zone maritime. Le Vietnam et les Philippines ont accueilli avec enthousiasme cette décision de La Haye, alors que la Chine a choisi de ne pas la reconnaître.

La réunion des membres de l’ASEAN du 24 juillet est donc devenue la prochaine étape de cette discussion. Malgré tous les efforts déployés par les États-Unis, le Cambodge a défendu la position de la Chine lors de cette réunion, contre ses principaux adversaires, le Vietnam et les Philippines, qui tentaient de faire désapprouver collectivement les actions de la Chine par tous les membres de l’ASEAN. Le Vietnam et les Philippines n’ont pas cédé. Mais le Cambodge a utilisé son droit de véto et n’a pas appuyé la résolution collective. Par conséquent, encore une fois, les États de l’ASEAN n’ont pas réussi à parvenir à une position commune à l’égard de la Chine et de la MCM.

Après cela, la direction chinoise a exprimé sa gratitude envers le Cambodge.

Le Cambodge est un pays agraire. La majeure partie de sa population travaille dans le secteur de la production de riz, qui est une importante source de revenus pour le pays. Le Cambodge est l’un des principaux exportateurs de riz au monde, avec le Vietnam, le Myanmar et les États-Unis. À la fin de l’été 2016, les prix mondiaux du riz ont nettement chuté, ce qui a porté un coup dur à l’économie cambodgienne. Le pays a connu des troubles. La Chine a aidé le Cambodge dans cette situation. En septembre, le Premier ministre chinois, Li Keqiang, a annoncé qu’à partir de 2017, le pays doublerait les importations de riz cambodgien. Selon le gouvernement cambodgien, cela arrêtera la baisse des prix du riz et corrigera la situation. Il ne fait aucun doute que le Cambodge estime que ce soutien est plus important que les prêts de la Banque mondiale.

En octobre 2016, le leader chinois, Xi Jinping, a effectué une visite officielle au Cambodge. À la suite de cette visite, les deux pays ont signé 31 traités, dont ceux portant sur des prêts d’une valeur de 237 millions de dollars. Une semaine plus tard, la Chine et le Cambodge ont signé un certain nombre de nouveaux accords de partenariat dans les domaines militaire et technologique. Selon le ministre cambodgien de la Défense, Tea Banh, la Chine est prête à soutenir le pays dans la modernisation de ses forces armées, ce qui contribuera grandement au renforcement de la défense nationale cambodgienne.

L’exemple du Cambodge montre que des liens politiques et économiques solides avec certains membres de l’ASEAN donnent à la Chine une plus grande influence sur la décision politique de toute l’organisation. Dans le même temps, le Cambodge n’est pas le seul pays de l’ASEAN avec lequel la Chine bénéficie de tels liens. Ces dernières années, l’Empire céleste a renforcé ses relations avec le Myanmar et la Thaïlande. Les tentatives américaines pour attirer ces pays dans le bloc anti-chinois sont susceptibles d’échouer. Les économies de ces États dépendent trop de la Chine. En outre, la Chine a l’avantage de la proximité territoriale. Et puisque la politique de l’ASEAN doit être acceptée par chacun de ses États-membres, il est clair que cette organisation ne peut pas être utilisée contre la Chine.

Dmitry Bokarev

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF   

2 réflexions sur « Le Cambodge comme exemple de l’influence chinoise sur l’ASEAN »

  1. Ping : Le Cambodge comme exemple de l’influence chinoise sur l’ASEAN | Réseau International

  2. Ping : L’Indonésie et les puissances : une coopération dans le domaine de la sécurité /  Blogue sur l'Asie du Sud-Est

Les commentaires sont fermés.