Le Brexit et l’esprit libéral malade


Par Jonathan Cook – Le 27 juin 2016 – Source Off Guardian

La réaction libérale au vote pour le Brexit est un déchaînement de rage. Cette colère est pathologique – et aide à faire la lumière sur la raison pour laquelle la majorité des Britanniques ont voté pour quitter l’Union européenne, comme auparavant une majorité des membres du Parti travailliste avait voté pour Jeremy Corbyn en tant que dirigeant.

Il y a quelques années, l’écrivain américain Chris Hedges a écrit un livre qu’il a intitulé la Mort de la classe libérale. Son argument n’était pas tant que les libéraux avaient disparu, mais qu’ils étaient devenus si cooptés par l’aile droite et ses objectifs – de la subversion des idéaux économiques et sociaux progressistes par le néolibéralisme, à l’étreinte enthousiaste de la doctrine néo-conservatrice dans la poursuite agressive et expansionniste de guerres sous l’excuse d’une intervention humanitaire – que le libéralisme en a été vidé de toute substance.

Les analystes libéraux tergiversent, mais finissent invariablement par soutenir des politiques bénéficiant aux banquiers et aux fabricants d’armes, à ceux qui causent des ravages au pays et à l’étranger. Ils sont les idiots utiles des sociétés occidentales modernes.

A la lecture de cet article sur les retombées du Brexit, écrit par Zoe Williams, une chroniqueuse qui se considère comme de gauche, selon les normes en vigueur au journal The Guardian, journal qui n’est plus ce qu’il était, on peut repérer cette pathologie libérale dans toute sa sordide splendeur.

Voici le passage révélateur, écrit par un esprit tellement embrouillé par des décennies d’orthodoxie néolibérale, qu’il a perdu tout le sens des valeurs qu’il prétend incarner:

Il y a une raison pour laquelle, quand Marine le Pen et Donald Trump nous ont félicités de notre décision, ce fut comme un coup de poing dans le visage – parce qu’ils sont racistes, autoritaires, mesquins et passéistes. Ils incarnent l’énergie de la haine. Les principes qui sous-tendent l’internationalisme – la coopération, la solidarité, l’unité, l’empathie, l’ouverture – ce sont cela les éléments qui incarnent l’amour.

On peut se demander où, dans les couloirs de la bureaucratie de l’UE, Williams arrive-t-elle à trouver cet amour qu’elle admire tant. L’a-t-elle vu quand les Grecs ont été écrasés et soumis, après qu’ils se soient rebellés contre les politiques d’austérité, héritage des politiques économiques européennes qui avaient exigé que la Grèce vende jusqu’à son dernier bien public ?

Est-elle amoureuse de cet internationalisme, lorsque la Banque mondiale et le FMI vont en Afrique et poussent les pays en développement dans une dette qui les rend esclaves, généralement après qu’un dictateur l’ait saccagé pendant des décennies après avoir été installé et protégé avec des armes et des conseillers militaires américains et européens ?

Qu’en est-il de l’internationalisme rempli d’amour de l’OTAN, qui a compté sur l’UE pour aider à répandre ses tentacules militaires à travers l’Europe, à proximité de la gorge de l’ours russe? Est-ce à ce genre de coopération, de solidarité et d’unité qu’elle pensait ?

Williams fait alors ce que beaucoup de libéraux sont en train de faire en ce moment. Elle appelle à la subversion de la volonté démocratique :

La colère des progressistes qui ont voté Remain, cependant, a une direction à prendre: en restant optimiste, nous avons maintenant l’élan pour mettre de côté l’ambiguïté au service de la clarté, de mettre de côté les différences au service de la créativité. Plus d’embarras ou de détachement ironique, nous nous sommes tenus trop loin de ce combat pendant trop longtemps.

Cela implique qu’ils vont chercher à évincer Jeremy Corbyn, bien sûr. Les Progressistes pour le Remain, paraît-il, en ont assez de lui. Son crime serait qu’il est originaire de la gauche aristocratique – ses parents étaient de gauche aussi, apparemment, et avaient même des principes internationalistes tellement forts, qu’ils se sont rencontrés dans un comité sur la guerre civile espagnole.

Mais le plus grand crime de Corbyn, selon Williams, est «qu’il n’est pas en faveur de l’UE». Il serait trop compliqué pour elle d’essayer de démêler l’épineux problème de comment un internationaliste suprême comme Corbyn, ou Tony Benn avant lui, pourrait être autant contre une UE si pleine d’amour. Alors, elle n’essaye même pas d’y réfléchir.

Williams ne nous dira jamais comment un dirigeant qui soutient les opprimés et les pauvres du monde entier serait fait de la même étoffe que des racistes comme Le Pen et Trump. Cela exigerait le genre de pensée souple dont elle accuse Corbyn d’être incapable. Cela pourrait révéler le fait qu’il y ait un point de vue de gauche tout à fait distinct du point de vue raciste – même si Corbyn n’a pas été autorisé par son parti à le défendre – pour abandonner l’UE. (Vous pouvez lire mes arguments pour le Brexit ici et ici.)

Mais non, Williams nous assure que le parti travailliste a besoin de quelqu’un avec un point de vue de gauche beaucoup plus moderne, quelqu’un qui puisse adapter ses voiles aux vents dominants de l’orthodoxie. Et ce qui est encore mieux, il y a dans le parti travailliste tout un tas de Blairistes à choisir. Après tout, leurs exploits internationaux ont été prouvé à maintes reprises, y compris sur les champs de la mort irakiens et libyens.

Et ici, enveloppé dans un seul paragraphe, on trouve une pépite d’or de la pathologie libérale de Williams. Son plaidoyer libéral furieux pour déchirer les fondements de la démocratie : se débarrasser de Corbyn, alors qu’il vient d’être démocratiquement élu et trouver un moyen, quelle que soit la façon, pour bloquer ce mauvais résultat au référendum. Pas d’amour, de solidarité, d’unité ou d’empathie pour ceux qui la trahissent, elle et sa classe :

Il n’a pas eu d’époque plus fertile pour un dirigeant travailliste, depuis les années 1990. La demande pour une élection générale anticipée, déjà forte, ne fera que s’intensifier au cours des prochaines semaines. Comme la fausseté des arguments pour quitter l’UE deviendra clair – ce n’était pas pour freiner l’immigration, il n’y aura pas d’argent supplémentaire pour le NHS, il n’y avait pas de plan pour pousser l’UE a dépenser dans les zones défavorisées – il y aura un argument puissant pour présenter l’élection générale comme une revanche. Pas un autre référendum, mais ne pas signer l’article 50 et suivre une nouvelle direction déterminée par le nouveau gouvernement. Si vous voulez continuer à quitter l’UE, votez pour les conservateurs. Si vous avez réalisé ou saviez déjà que c’est un acte de vandalisme qui a vient d’être perpétué, votez pour les travaillistes.

Jonathan Cook

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

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