« L’Amérique qui est de retour » se heurte à la réalité multipolaire


Par Moon of Alabama – Le 1 avril 2021

L’Organisation mondiale de la santé a récemment publié son rapport sur l’origine du virus SARS-CoV-2 qui a provoqué la pandémie de Covid-19. La plupart des scientifiques s’accordent à dire que le virus est d’origine zoonotique et non une construction humaine ou une fuite accidentelle d’un laboratoire. Mais les États-Unis veulent faire pression sur la Chine et ont conseillé au directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom, de continuer à mettre l’accent sur la culpabilité potentielle de la Chine. Il a agi en conséquence lorsqu’il a commenté le rapport de son agence :

Bien que l'équipe ait conclu qu'une fuite de laboratoire est l'hypothèse la moins probable, cela nécessite une enquête plus approfondie, éventuellement avec des missions supplémentaires impliquant des experts spécialisés, que je suis prêt à déployer.

Le département d’État américain a sauté sur l’occasion en demandant à ses alliés de signer sa déclaration commune sur l’étude des origines de la COVID-19 menée par l’OMS, qui demande un accès plus libre en Chine :

Les gouvernements de l'Australie, du Canada, de la Tchécoslovaquie, du Danemark, de l'Estonie, d'Israël, du Japon, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Norvège, de la République de Corée, de la Slovénie, du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique restent fermement résolus à collaborer avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les experts internationaux qui ont une mission essentielle, et la communauté internationale pour comprendre les origines de cette pandémie afin d'améliorer notre sécurité sanitaire mondiale collective et notre réponse à cette pandémie. Ensemble, nous soutenons une analyse et une évaluation transparentes et indépendantes, exemptes d'interférences et d'influences indues, des origines de la pandémie de la COVID-19. À cet égard, nous partageons les mêmes préoccupations concernant la récente étude menée par l'OMS en Chine, tout en soulignant l'importance, pour l’avenir, de travailler ensemble à l'élaboration et à l'utilisation d'un processus rapide, efficace, transparent, scientifique et indépendant pour les évaluations internationales de telles épidémies d'origine inconnue.

Le plus intéressant dans cette déclaration est la liste des pays alliés des États-Unis qui n’ont pas signé cette déclaration.

La plupart des principaux pays de l’UE, notamment la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, en sont absents. Tout comme la Nouvelle-Zélande, membre des Five-Eyes. L’Inde, alliée des États-Unis dans l’initiative anti-chinoise Quad, n’a pas non plus signé. Cette liste de signataires de la déclaration conjointe est un résultat étonnamment maigre pour une initiative « conjointe » des États-Unis. Elle est sans précédent. C’est le signe que quelque chose a craqué et que le monde ne sera plus jamais le même.

Les premiers mois de l’administration Biden ont vu une rupture dans le système globaliste. Tout d’abord, la Russie a réprimandé l’UE pour ses critiques hypocrites de problèmes internes à la Russie. Biden a ensuite qualifié Poutine de « tueur ». Puis le ministre chinois des affaires étrangères a dit à l’administration Biden de fermer sa gueule au sujet des problèmes domestiques chinois. Peu après, les ministres des affaires étrangères de la Russie et de la Chine se sont rencontrés et ont convenu de renforcer leur alliance et d’éviter le dollar américain. Ensuite, le ministre chinois des affaires étrangères est parti en tournée au Moyen-Orient. Il y a rappelé leur souveraineté aux alliés des États-Unis  :

Wang a déclaré que les objectifs attendus avaient été atteints en ce qui concerne une initiative en cinq points sur la réalisation de la sécurité et de la stabilité au Moyen-Orient, qui a été proposée pendant la visite.

"La Chine soutient les pays de la région pour qu'ils puissent résister aux pressions et aux interférences extérieures, pour qu'ils explorent de manière indépendante des voies de développement adaptées à leurs réalités régionales", a déclaré Wang, ajoutant que les pays devraient "s'affranchir de l'ombre de la rivalité géopolitique des grandes puissances et résoudre les conflits et les différends régionaux en tant que maîtres de la région."

La tournée de Wang a été couronnée par la signature d’un accord avec l’Iran qui a changé la donne :

Il est évident que le pacte Chine-Iran s'inscrit profondément dans une nouvelle matrice que Pékin espère créer avec les États arabes du golfe Persique et l'Iran. Le pacte fait partie d'un nouveau récit sur la sécurité et la stabilité régionales.

« L’ordre international fondé sur des règles décidées par les États-Unis » est enfin terminé. La Russie et la Chine l’ont enterré :

Les pays d'Asie et d'ailleurs suivent de près le développement de cet ordre international alternatif, dirigé par Moscou et Pékin. Et ils peuvent également reconnaître les signes du déclin économique et politique croissant des États-Unis.

Il s'agit d'un nouveau type de guerre froide, mais qui n'est pas fondée sur l'idéologie. C'est une guerre pour la légitimité internationale, une lutte pour les cœurs, les esprits et l'argent dans la très grande partie du monde qui n'est pas alignée sur les États-Unis ou l'OTAN.

Les États-Unis et leurs alliés continueront d'agir dans le cadre de leur narrative, tandis que la Russie et la Chine feront valoir une narrative concurrente. C'est ce qui est apparu clairement au cours de ces quelques importantes journées de diplomatie des grandes puissances.

L'équilibre mondial du pouvoir est en train de changer et, pour de nombreux pays, il serait judicieux de miser désormais sur la Russie et la Chine.

La contre-mesure américaine évidente à l’initiative russo-chinoise consiste à unir ses alliés dans une nouvelle guerre froide contre la Russie et la Chine. Mais comme le montre la déclaration commune ci-dessus, la plupart de ces alliés ne veulent pas suivre cette voie. La Chine est un trop bon client pour être évincée. Parler des droits de l’homme dans d’autres pays peut plaire à l’électorat local, mais ce qui compte finalement, ce sont les affaires.

Même certaines entreprises américaines trouvent que la voie hostile suivie par l’administration Biden ne peut que leur porter préjudice. Certaines demandent à la bande à Biden de baisser le ton :

Dave Calhoun, directeur général de [Boeing], a déclaré à un forum d'affaires en ligne qu'il pensait qu'un important différend avec l'Europe concernant les subventions aux avions pourrait être résolu après 16 ans de querelles au sein de l'Organisation mondiale du commerce, mais il a comparé cette situation aux perspectives de la Chine.

"Je pense que politiquement (la Chine) est un problème plus difficile pour cette administration que pour la précédente. Mais nous devons toujours commercer avec notre plus grand partenaire au monde : La Chine", a-t-il déclaré lors du sommet de l'aviation de la Chambre de commerce des États-Unis.

Faisant état des multiples différents, il a ajouté : "J'espère que nous pourrons en quelque sorte séparer les problèmes de propriété intellectuelle, de droits de l'homme et autres de ceux concernant le commerce et continuer à encourager un environnement de libre-échange entre ces deux poids lourds économique. ... Nous ne pouvons pas nous permettre d'être exclus de ce marché. Notre concurrent s'y engouffrera immédiatement."

Avant la débâcle de son 737 MAX, Boeing était le plus gros exportateur américain et la Chine était son plus gros client. Le MAX n’a pas encore été recertifié en Chine. Si Washington maintient son ton hostile à l’égard de la Chine, Boeing sera perdant et l’européen Airbus fera un malheur.

Biden annonce donc que « l’Amérique est de retour » pour s’entendre dire qu’elle n’est plus nécessaire dans le rôle surdimensionné qu’elle jouait auparavant. Si Washington n’est pas capable d’accepter le fait qu’il ne peut plus jouer « unilatéralement » mais qu’il doit suivre les vraies règles du droit international, nous pourrions vivre des moments intéressants :

Question : Enfin, craignez-vous que la détérioration des tensions internationales ne conduise à une guerre ?

Glenn Diesen : Oui, nous devrions tous être inquiets. Les tensions ne cessent de s'intensifier et il y a de plus en plus de conflits qui pourraient déclencher une guerre majeure. Une guerre pourrait éclater à propos de la Syrie, de l'Ukraine, de la mer Noire, de l'Arctique, de la mer de Chine méridionale et d'autres régions.

Ce qui rend tous ces conflits dangereux, c'est qu'ils s'inscrivent dans une logique de "gagnant-vaincu". Le fait de souhaiter ou de pousser activement à l'effondrement de la Russie, de la Chine, de l'UE ou des États-Unis est également une indication d’une mentalité « gagnant-vaincu ». Dans ces conditions, les grandes puissances sont davantage prêtes à accepter des risques plus importants à un moment où le système international se transforme. La rhétorique de la défense des valeurs démocratiques libérales a également des connotations claires de jeu à somme nulle, car elle implique que la Russie et la Chine doivent accepter l'autorité morale de l'Occident et faire des concessions unilatérales.

L'évolution rapide de la répartition internationale du pouvoir crée des problèmes qui ne peuvent être résolus que par une véritable diplomatie. Les grandes puissances doivent reconnaître que leurs intérêts nationaux divergent, puis s'efforcer de trouver des compromis et des solutions communes.

Le président russe Vladimir Poutine a demandé à plusieurs reprises la tenue d’un sommet des dirigeants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU :

Poutine a fait valoir que les pays qui ont créé un nouvel ordre mondial après la Seconde Guerre mondiale devraient coopérer pour résoudre les problèmes d'aujourd'hui.

"Les pays fondateurs des Nations unies, les cinq États qui ont la responsabilité particulière de sauver la civilisation, peuvent et doivent être un exemple", a-t-il déclaré lors d’une sombre cérémonie commémorative.

Une telle réunion "jouera un grand rôle dans la recherche de réponses collectives aux défis et menaces modernes", a déclaré Poutine, ajoutant que la Russie était "prête pour une conversation aussi sérieuse."

Un tel sommet serait l’occasion de travailler sur un nouveau système mondial qui éviterait l’unilatéralisme et la mentalité de bloc. Comme les États-Unis apprennent aujourd’hui que leurs alliés ne sont pas disposés à suivre leurs politiques anti-chinoise et antirusse, ils pourraient être disposés à négocier un nouveau système international.

Mais tant que Washington restera incapable de reconnaître son propre déclin, une tentative de résoudre le problème une fois pour toutes par la violence n’en est que plus probable.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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