La voix de son maitre ment


De nombreux journalistes américains ont été arrêtés alors même que le New York Times prétend que cela se produit rarement en Amérique.


par Caitlin Johnstone – Le 31 mai 2020 – Source caitlinjohnstone.com

Dans une démonstration d’autoritarisme éhontée, la police a arrêté l’autre jour un reporter de CNN, Omar Jimenez, alors qu’il couvrait en direct la manifestation contre le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis.

L’arrestation suivait des heures de reportage vantant les qualités de la police et fut suivi par des heures de reportages vantant le rôle crucial du journalisme dans une société libre, avec un article du Washington Post allant jusqu’à comparer l’équipe de CNN à George Floyd lui-même. Contrairement à Floyd, Jimenez était de retour à la caméra une heure plus tard, continuant ses éloges envers la police qui venait de l’arrêter de façon inexcusable.

Jonathan Cook (@Jonathan_K_Cook) - Le 29 mai 2020

Les images du journaliste arrêté en direct par la police du Minnesota alors qu’il ne faisait que son travail, furent révélées par inadvertance. Nous les avons vus se comporter comme des fascistes, mais il est désespéré de ne pas critiquer la police au cas où il perdrait son *accès*. Voilà ce qu'est une "presse libre" aux États-Unis https://t.co/Sy6lV9Y5R2

Dans son article sur l’arrestation de Jimenez, le New York Times a fait une déclaration vraiment choquante par son inexactitude et sa naïveté.

“Il est courant dans les pays autocratiques que des journalistes soient arrêtés lors de manifestations et d’émeutes, mais c’est rare aux États-Unis, où la collecte d’informations est protégée par le premier amendement”, ont écrit les auteurs de l’article, Michael Grynbaum et Marc Santora.

Des journalistes indépendants n’ont pas tardé à souligner l’absurdité de cette affirmation.

“Je fais des reportages sur les manifestations depuis quelques années et je peux dire avec certitude que les journalistes qui sont arrêtés pendant les manifestations et les émeutes ne sont pas rares du tout”, a répondu le journaliste indépendant Ashoka Jegroo.

“Le New York Times a bizarrement, et de manière totalement erronée, déclaré aujourd’hui que les journalistes sont rarement arrêtés lors des manifestations aux États-Unis”, a répondu le journaliste Ford Fischer, qui couvre régulièrement les manifestations américaines de toutes sortes.

“C’est une nouvelle pour moi ……… parce que j’ai été arrêté plusieurs fois lors de manifestations”, a tweeté Luke Rudkowski de We Are Change.

“En tant que journaliste indépendant qui a été arrêté pendant les manifestations d’Eric Garner et Mike Brown à New York, je dirai ceci : L’expérience d’Omar Jimenez est un risque fréquent et bien assumé que prennent les journalistes indépendants (en particulier les journalistes de couleur) aux États-Unis”, a tweeté Andrew J Padilla. “Courage à Omar Jimenez, mais malheureusement ce n’est pas nouveau.”

En effet, seul un journaliste isolé dans la tour d’ivoire qu’est son média grand public, qui ne connaît rien des manifestations aux États-Unis, peut croire qu’une telle chose soit rare. Il est peut-être rare que des reporters bien payés d’une grande plateforme soient arrêtés en direct à la télévision nationale, mais vous trouverez de nombreux rapports, venant de nombreux journalistes, qui ont été régulièrement emmenés par la police lors de grandes manifestations, n’importe où en Amérique, ces dernières années.

“L’endroit le plus dangereux pour un journaliste en Amérique est dans une manifestation”, rapportait la Columbia Journalism Review en 2017. “C’est l’une des principales conclusions du Press Freedom Tracker américain, un site web non partisan lancé en août qui documente les incidents liés à la liberté de la presse dans tout le pays. A la mi-septembre, la base de données avait enregistré 20 arrestations et 21 agressions physiques de journalistes pour l’année, la plupart lors de manifestations publiques”.

Personne ne devrait donc s’étonner que l’image que le New York Times nous dépeint – l’image d’un pays qui vénère le journalisme en tant qu’ennemi de toute oppression autocratique – ait été tournée en une vaste plaisanterie dans les heures qui ont suivi l’événement.

“Mes collègues de l’US Press Freedom Tracker enquêtent sur plus de vingt violations de la liberté de la presse rapportées au cours des seules deux derniers jours : des journalistes arrêtés, aspergés de lacrymogène, touchés par des balles en caoutchouc”, peut-on lire sur un récent tweet de Trevor Timm, directeur exécutif de la Freedom of the Press Foundation, qui a ensuite ajouté : “J’ai dit vingt ? C’est probablement le double ou le triple de cela – et, chose inquiétante, probablement beaucoup plus d’ici la fin de la nuit”.

Freedom of the Press Foundation est une organisation à but non lucratif œuvrant à la défense de la liberté de la presse. US Press Freedom Tracker est un site dédié à la documentation des violations de la liberté de la presse aux États-Unis.

Pour ne citer que quelques-uns des événements connus des dernières 24 heures, en rapport avec cette chose qui ne se produit que dans les nations autocratiques :

Un photojournaliste du WCCO, Tom Aviles, a été arrêté alors qu’il couvrait la manifestation à Minneapolis et s’identifiait clairement comme un membre de la presse, après avoir été frappé par une balle en caoutchouc.

Un reporter du Huffington Post nommé Christopher Mattias a été arrêté et emprisonné alors qu’il couvrait la manifestation à New York et portait visiblement son accréditation de presse autour du cou.

Fiorella Isabel, du Convo Couch, a été arrêtée, menottée et verbalisée alors qu’elle faisait un reportage sur la manifestation à Los Angeles. “Ils ne se sont pas souciés que je fasse partie de la presse”, a rapporté Isabel. “Ils m’ont mis les menottes si serrées que ma main est super rouge et ils ont traité tout le monde comme des criminels.”

Deux photojournalistes, Ellen Schmidt et Bridget Bennett, ont été arrêtées alors qu’elles couvraient la manifestation à Las Vegas. Elles ont dû déposer une caution de 1000 dollars en espèces pour être libérées.

Un journaliste de NBC, Simon Moya-Smith, a été aspergé de lacrymogène et arrêté alors qu’il couvrait la manifestation de Minneapolis, bien qu’il se soit identifié plusieurs fois comme journaliste.

Un commentateur et chroniqueur de CNN, Keith Boykin, a été arrêté et emprisonné pendant six heures pour avoir couvert la manifestation à New York. “La police m’a mis des menottes si serrées qu’elles m’ont fait des bleus aux poignets. Ils m’ont retenu dans un van pendant une heure. Puis dans un bus de police ou il faisait chaud pendant une heure. Puis ils m’ont emmené au 1 Police Plaza et m’ont enfermé dans une cellule de prison avec environ 35 autres personnes, sans aucune distance sociale et alors que beaucoup ne portaient pas de masques”, rapporte Boykin.

Mais ce ne sont que les arrestations de la journée précédente. Il y a encore de nombreux journalistes sur lesquels la police a tiré avec des balles en caoutchouc, ou du lacrymogène alors qu’ils étaient bien visibles comme membres de la presse, pendant ces manifestations.

Tout cela se passe aux États-Unis, où ces choses n’arrivent pas. Parce que les États-Unis ne sont pas un pays autocratique.

“J’ai été aspergé de poivre puis arrêté la nuit dernière par la police de Minneapolis, même après m’être identifié comme journaliste de NOMBREUSES fois “

“Il est courant dans les pays autocratiques que des journalistes soient victimes d’arrestations lors de manifestations et d’émeutes, mais rare aux États-Unis, où la collecte d’informations est protégée par le premier amendement. »

La vision du monde suprémaciste qui pousse quelqu’un à écrire quelque chose d’aussi idiot est la même vision du monde suprémaciste qu’un journaliste doit montrer pour être embauché et promu dans un média à forte visibilité comme le New York Times. C’est également la même vision du monde suprémaciste qui fait que les journalistes du New York Times acclament les guerres impérialistes, les interventions “humanitaires”, les régimes de sanctions et les campagnes de propagande, les unes après les autres.

Les personnes qui sont sur le terrain pour documenter les événements importants qui se déroulent dans toute l’Amérique font de véritables reportages et rendent un service important à la société. Les personnes qui rédigent des articles sur la suprématie américaine pour le New York Times ne font pas de véritables reportages et sont en fait nuisibles à la société.

Mais devinez qui recevra le plus d’argent et de récompenses ?

C’est ce qui fait que les gens dorment, c’est juste cela.

Espérons qu’ils trouvent un moyen de se réveiller.

Caitlin Johnstone

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « La voix de son maitre ment »

  1. Ping : La voix de son maitre ment – Saint Avold / The Sentinel

Les commentaires sont fermés.