La troisième guerre mondiale a déjà eu lieu


Par C.J. Hopkins − Le 13 janvier 2020 − Source Unz Review

220px-CJ_Hopkins_Summer_20182020 démarre donc de façon passionnante. Nous sommes à peine à la mi-janvier, et nous avons déjà traversé la Troisième Guerre mondiale, qui était légèrement moins apocalyptique que prévu. Les équipes médico-légales tamisent encore les cendres, mais les rapports préliminaires suggèrent que l’empire capitaliste mondial est sorti du carnage en grande partie intact.

shutterstock_563616151-600x635Cela a commencé au Moyen-Orient, bien sûr, lorsque Donald Trump – un «atout russe» – a ordonné le meurtre du général iranien Qasem Soleimani à l’extérieur de l’aéroport de Bagdad, probablement après y avoir été autorisé par Poutine [De l’humour ?, NdSF], ce qui, compte tenu des relations entre l’Iran et la Russie, n’a pas vraiment de sens.

Mais peu importe. Selon le gouvernement américain, et les médias de masse, Soleimani, un «terroriste», qui avait travaillé avec Assad, un autre «terroriste», pour détruire État islamique – également un ramassis de «terroristes» – et des éléments d’Al-Qaïda qui furent aussi pendant un temps des «terroristes», avec le soutien des Russes, une autre espèce de «terroristes», Soleimani, donc, préparait toutes sortes d’autres choses «terroristes» non spécifiées mais certainement imminentes.

Apparemment, Soleimani s’était envolé pour Bagdad à bord d’un vol commercial « terroriste » secret et se rendait à une sorte de réunion diplomatique « terroriste » secrète pour répondre à une proposition de désescalade, faite à l’Iran, par l’Arabie saoudite – qui n’est certainement pas « terroriste » –  lorsque l’armée américaine l’a assassiné de manière préventive avec un drone Reaper MQ-9B de General Atomics Aeronautical Systems.

L’Iran, officiellement un pays «terroriste» de longue date – depuis janvier 1979 – lorsqu’il a renversé la brutale marionnette occidentale que la CIA et le MI6 avaient installée comme le «Shah» en 1953, après avoir changé de régime en virant le Premier ministre iranien, qui avait nationalisé la Persian Oil Company, pour lui rendre son vrai nom correct de British Petroleum, l’Iran, donc, a réagi au meurtre préventif de son général «terroriste» comme un pays «terroriste».

L’ayatollah Khamenei – un «terroriste», mais vous l’aviez deviné – a émis une série de menaces «terroristes» contre les 50 000 militaires américains entourant plus ou moins complètement son pays sur des bases partout au Moyen-Orient. Des millions d’Iraniens – actuellement«terroristes», à l’exception des membres du MeK – qui, selon les responsables américains, détestaient Soleimani, sont descendus dans les rues de Téhéran et d’autres villes pour pleurer sa mort, brûler des drapeaux américains, et scander «mort à Amérique» et autres slogans à caractère «terroriste».

L’empire est allé à jusqu’au niveau maximal d’alerte (DEFCON 1). La 82e Airborne a été activée. Le Département d’État a conseillé aux Américains en vacances en Irak d’en sortir. Le hashtag # worldwar3 a commencé à prospérer sur Twitter.

Les pays épris de liberté de toute la région s’attendaient à être anéantis. L’Arabie saoudite a reporté son édition du week-end de décapitations en public. Israël a composé le numéro de téléphone de ses armes nucléaires inexistantes. Les Koweïtiens ont posté des gardes armés à côté de leurs incubateurs de bébé. Les Qataris, les Bahreïniens, les Emirats arabes unis et d’autres avant-postes loyaux de l’Empire ont fait tout ce qu’ils font habituellement lorsqu’ils font face à l’Armageddon nucléaire.

Aux États-Unis, c’était une hystérie massive. Les médias ont commencé à diffuser des histoires sur Soleimani, «terroriste numéro un dans le monde», avec «du sang sur les mains», génocidaire impitoyable de centaines de soldats américains, qui, en 2003, avaient envahi et détruit l’Irak, à titre préventif, en liquidant et torturant préventivement ses habitants pour les empêcher d’attaquer l’Amérique avec les armes de destruction massives qu’ils n’avaient pas.

Les Américains – dont la plupart n’avaient jamais entendu parler de Soleimani jusqu’à ce que leur gouvernement l’assassine, et dont beaucoup ne peuvent pas trouver l’Iran sur une carte – se sont tournés vers Twitter pour appeler à la neutralisation immédiate de l’Iran depuis l’espace. Le maire de New-York, Bill de Blasio a ordonné à une division de forces anti-«terroriste» lourdement armées de patrouiller dans sa ville avec leurs fusils dans la position classique «armé, chargé» pour empêcher les Iraniens de traverser l’Atlantique à la nage avec leurs dauphins tueurs communistes, rampant sur la plage d’East Hampton, prenant les trains du Long Island Railroad pour aller à New-York commettre des atrocités «terroristes» dévastatrices qui seraient commémorées jusqu’à la fin des temps par des porte-clés, des t-shirts et des tasses à café grand modèle.

Trump, en tant qu’agent russe discipliné qu’il est, a gardé son sang-froid et a protégé sa couverture d’espion, accomplissant son acte de «crétinerie totale» comme seul un agent russe expérimenté peut le faire. Alors que l’Iran était toujours en deuil, il a commencé à délirer publiquement sur le cadavre démembré de Soleimani, le bombardement des sites culturels iraniens, et a nargué l’Iran comme un ivrogne émotionnellement défié au coin d’une rue. Sa stratégie était clairement de convaincre les Iraniens – et le reste du monde – qu’il était un imbécile dangereux qui assassinerait les officiels de tout gouvernement étranger que Mike Pompeo lui aurait désigné, puis atomiserait leurs musées et mosquées, et sans doute le reste de leurs pays «de merde», s’ils pensent même à des représailles.

Néanmoins, les représailles des Iraniens étaient au rendez-vous. Dans une manifestation sadique de «terrorisme» de sang-froid, ils ont lancé un  feu d’artifice dévastateur de missiles balistiques «terroristes» contre deux bases militaires en Irak, ne tuant et ne blessant personne, mais faisant subir les derniers outrages à certains bâtiments vides, un hélicoptère et quelques tentes. Mais tout d’abord, afin de maximiser le caractère «terroriste», ils ont – sadiquement – appelé l’ambassade de Suisse à Téhéran en leur demandant d’avertir l’armée américaine qu’ils allaient bientôt lancer des missiles sur leurs bases. Comme le rapportait le site web Moon of Alabama :

«L'ambassade Suisse à Téhéran, qui représente les États-Unis, a été avertie au moins une heure avant l'attaque. Vers 0h00 UTC, la Federal Aviation Administration des États-Unis a publié un avis aux aviateurs (NOTAM) qui interdisait les vols civils américains au-dessus de l'Irak, de l'Iran, du golfe Persique et du golfe d'Oman.»

À la suite de la contre-attaque dévastatrice des Iraniens et des pertes massives qui n’en ont pas résulté, toute personne disposant d’une connexion Internet ou d’un accès à la télévision est descendue dans son bunker antiterroriste et a retenu son souffle en prévision de l’enfer nucléaire que Trump allait sûrement déchaîner. J’avoue même que j’ai regardé son intervention télévisée, qui a été l’un des spectacles publics les plus troublants que j’aie jamais vus.

Trump a fait irruption par les portes du Grand Foyer de la Maison Blanche, dramatiquement rétro-éclairé, fraîchement «bronzé», fronçant les sourcils comme un lutteur de la Fédération des arts martiaux, et a annoncé que, tant qu’il sera président, «l’Iran ne sera jamais autorisé à avoir des armes nucléaires»… comme si l’un des événements de la semaine précédente avait quelque chose à voir avec les armes nucléaires – dont les Iraniens n’ont pas besoin et ne veulent pas, sauf dans un fantasme néoconservateur selon lequel l’Iran a l’intention de commettre un suicide national en effaçant Israël de la planète.

Je n’ai pas suivi entièrement son intervention, qu’il a menée dans un staccato robotique à bout de souffle – peut-être parce que Poutine, ou Mike Pompeo, dictait son texte mot à mot dans l’oreillette – mais il était clair dès le départ que le combat nucléaire total, pied à pied contre, au choix, l’Axe de la Résistance, l’Axe de la Terreur, l’Axe du Mal, ou l’Axe de Quoi que ce soit, avait été évité.

Mais, sérieusement, toute hystérie de masse mise à part, malgré les atrocités à venir, la troisième guerre mondiale ne se produira pas. Pourquoi, me demanderez-vous, cela ne se produira-t-il pas ? OK, je vais vous le dire, mais vous n’aimerez pas ça.

La troisième guerre mondiale ne se produira pas parce que la troisième guerre mondiale a déjà eu lieu… et l’empire capitaliste mondial a gagné. Jetez un œil à ces cartes de l’OTAN, assurez-vous d’explorer toutes les différentes missions.

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Lieu des opérations et missions de l’OTAN

Jetez également un œil à cette carte du Smithsonian Magazine où l’armée américaine «combat le terrorisme».

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Et il existe de nombreuses autres cartes sur Google. Ce que vous voyez, c’est l’empire capitaliste mondial. Pas l’empire américain, l’empire capitaliste mondial.

Si cela ressemble à une distinction sans différence… eh bien, c’est en quelque sorte, parce que c’est le cas et en même temps ce n’est pas le cas. Ce que je veux dire par là, c’est que ce n’est pas l’Amérique – c’est-à-dire l’Amérique, l’État-nation, dans laquelle la plupart des Américains croient encore vivre – qui occupe militairement une grande partie de la planète, se moquant du droit international, bombardant et envahissant d’autres pays et assassinant des chefs d’État et des officiers militaires en toute impunité. Ou plutôt, bien sûr, c’est l’Amérique… mais l’Amérique n’est pas l’Amérique.

L’Amérique est un simulacre. C’est le masque que l’empire capitaliste mondial porte pour cacher le fait qu’il n’y a pas d’Amérique… qu’il n’y a que l’empire capitaliste mondial.

L’idée même de la «Troisième Guerre mondiale», de puissants États-nations conquérant d’autres États-nations puissants, est une pure nostalgie. «L’Amérique» ne veut pas conquérir l’Iran. L’empire veut restructurer l’Iran, puis l’absorber dans l’empire. Point barre, rien à foutre de la démocratie, ni de savoir si les femmes iraniennes sont autorisées à porter des mini-jupes ou tout autre «droit humain». Si tel était le cas, on restructurerait l’Arabie saoudite et on appliquerait une «pression maximale» sur Israël.

De même, l’idée que «l’Amérique» a commis une série de malheureuses «erreurs stratégiques» au Moyen-Orient est une illusion commode. Certes, sa politique étrangère n’a aucun sens du point de vue d’un État-nation, mais elle est parfaitement logique du point de vue de l’empire. Alors que «l’Amérique» semble tourner sans réfléchir comme un taureau dans l’arène, l’empire sait exactement ce qu’il fait, ce qu’il fait depuis la fin de la guerre froide, ouvrant des marchés auparavant inaccessibles, éliminant agressivement les résistances internes, restructurant tous les territoires qui ne jouent pas le jeu du capitalisme mondial.

Je sais que c’est gratifiant d’agiter le drapeau, ou de le brûler, selon votre opinion politique, chaque fois que les choses évoluent militairement, mais à un moment donné, nous – c’est-à-dire nous, les Américains, les Britanniques, les Européens de l’Ouest, et autres – allons devoir face au fait que nous vivons dans un empire mondial, qui poursuit activement ses intérêts mondiaux, et non dans des États-nations souverains poursuivant les intérêts des États-nations. Le fait que l’État-nation a disparu est la raison pour laquelle nous avons connu une résurgence du «nationalisme». Ce n’est pas un retour aux années 1930. Ce sont les affres de la mort de l’État-nation, du nationalisme et de la souveraineté nationale … la supernova d’une étoile mourante.

La troisième guerre mondiale était une bataille idéologique, entre deux systèmes hégémoniques en herbe. C’est fini. C’est un monde capitaliste mondial. Comme l’a dit M. Jensen dans le film Network :

«Vous êtes un vieil homme qui pense en termes de nations et de peuples. Il n'y a pas de nations. Il n'y a pas de peuples. Il n'y a pas de Russes. Il n'y a pas d'Arabes. Il n'y a pas de tiers-mondes. Il n'y a pas d'Occident. Il n'y a qu'un seul système holistique de systèmes, une domination vaste et immanente, entrelacée, en interaction, variée et multinationale de dollars, pétro-dollars, électro-dollars, multi-dollars, reichmarks, roubles, livres et shekels. C'est le système international de monnaie qui détermine la totalité de la vie sur cette planète. C'est l'ordre naturel des choses aujourd'hui.»

Ce système de systèmes, cette domination variée et multinationale des dollars, nous tient tous par la peau des fesses … nous tous. Et il ne sera pas satisfait tant que le monde ne sera pas transformé en un grand marché privatisé, sans principes, néo-féodal… alors peut-être devrions-nous oublier la Troisième Guerre mondiale et commencer à nous concentrer sur la Quatrième Guerre mondiale.

Vous connaissez cette guerre dont je parle, n’est-ce pas ? C’est l’empire capitaliste mondial contre les «terroristes».

C. J. Hopkins est un dramaturge, romancier et satiriste politique américain primé, basé à Berlin. Ses pièces sont publiées par Bloomsbury Publishing et Broadway Play Publishing, Inc. Son roman dystopique, Zone 23, est publié par Snoggsworthy, Swaine & Cormorant. Le volume I de Consent Factory Essays est publié par Consent Factory Publishing, une filiale en propriété exclusive d’Amalgamated Content, Inc. Il peut être joint à cjhopkins.com ou consentfactory.org.

Traduit par jj, relu par Kira pour le Saker Francophone

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