La stabilisation de Gaza n’est pas une “fin de partie” pour Joe Biden


S’attaquer aux porte-avions américains (même sans entrer dans les détails) équivaut symboliquement à ce que l’Axe remette en cause l’hégémonie américaine dans ses fondements mêmes. “Défi accepté”.


Par Alastair Crooke – Le 12 novembre 2023 – Source Strategic Culture

Les intérêts américains et israéliens – confrontés à l’horrible spectacle des morts massives de civils à Gaza – divergent à la fois à court et à long terme. Pour “Israël” , le ministre israélien de la sécurité déclare que tout “ce qui ne met pas fin à l’existence du Hamas est un échec” .

Les États-Unis s’investissent pleinement pour aider “Israël” à vaincre le Hamas, mais en plaçant la barre si “messianiquement haute” , Netanyahou tend un piège à Biden : si l’armée israélienne ne parvient pas à anéantir le Hamas, “Israël” ne peut pas “gagner” . Et, à la fin, si “Israël” se retire simplement – et que le Hamas et son ethos révolutionnaire demeurent – cela sera compris dans toute la sphère islamique comme une “victoire” du Hamas. En d’autres termes, le stabilisation de Gaza n’est pas une solution pour Biden.

Pire encore, dans ce dernier scénario, Biden se voit privé de la possibilité de mettre en avant une “fin du jeu” américaine claire à Gaza afin d’apaiser les critiques croissantes dans son pays concernant son soutien “sans limites” à la guerre d’“Israël” contre le Hamas – un soutien qui est de plus en plus souvent qualifié de nettoyage ethnique, voire de génocide, par les manifestants américains.

En clair, la politique de l’administration américaine risque de chavirer rapidement et de devenir un handicap politique majeur. La position actuelle est donc clairement assortie d’un “délai d’expiration” précoce. Biden veut passer à autre chose.

Le gouvernement israélien, en revanche (avec le soutien massif de son opinion publique), s’est engagé à fond dans l’éradication du Hamas et considère les morts civiles comme le “prix de la guerre” , notamment parce qu’un tel degré d’intensité est considéré comme nécessaire pour apaiser l’électorat israélien après le grand choc du 7 octobre. Le discours du cabinet israélien parle d’une guerre longue, plutôt que d’une “fin de partie” rapide.

Pour l’administration américaine, en cette année électorale, Joe Biden veut aller au-delà du Hamas. Il ne veut pas que Gaza entache les élections de 2024, mais il veut plutôt ramener l’attention du public américain sur la prétendue “menace” de la Russie, de la Chine et de l’Iran.

Les États-Unis et “Israël” veulent tous deux éviter une guerre régionale de grande ampleur ; mais “Israël”, selon la Maison Blanche, prend d’énormes risques d’escalade en cherchant à “éradiquer totalement” le Hamas – et ses moyens destructeurs pour parvenir à cette fin radicalisent le monde.

Dans son discours de dimanche, Seyed Nasrallah a effectivement fait du Hezbollah le garant de la survie du Hamas (en identifiant spécifiquement le Hamas par son nom). Le Hezbollah, a-t-il dit, se limitera à des opérations non définies et limitées à la frontière, dans le cas où le Hamas serait en danger et quand il sera en danger. Il s’agit là d’une “ligne rouge” qui inquiétera la Maison Blanche.

En clair, les États-Unis essaieront (s’ils le peuvent) – comme l’a fait Blinken – de faire reculer “Israël” dans son assaut contre Gaza, laissant les Forces de défense israéliennes dans un contexte d’effondrement total de la dissuasion, car, en laissant “Israël” persévérer, ils risquent une escalade régionale horizontale. Sans surprise, les grands médias américains spéculent sur les possibilités de changement de régime pour Netanyahou. Ce dernier est certes impopulaire, mais son départ ne changerait rien à l’opinion bien établie en “Israël” selon laquelle Gaza doit être “rayée de la carte” .

Le point le plus important du discours de Seyed Nasrallah est son changement d’orientation, qui reflète peut-être non seulement la vision étroite du mouvement, mais aussi celle de l’“axe” collectif. Ainsi, dans son discours, “Israël” est passé du statut d’acteur indépendant à celui d’un protectorat militaire américain nocif parmi d’autres.

Seyed Nasrallah a directement mis en cause non seulement l’occupation israélienne, mais aussi les États-Unis dans leur ensemble, qu’il considère comme responsables de ce qui est arrivé à la région – du Liban à la Palestine, en passant par la Syrie et l’Irak. À certains égards, ces paroles font écho à l’avertissement lancé par Poutine à Munich en 2007 à l’Occident, qui massait alors des forces de l’OTAN aux frontières de la Russie. “Défi accepté” .

De même, les États-Unis ont déployé des forces massives dans la région, dans l’espoir de contraindre la Résistance libanaise à renoncer à toute intervention majeure en “Israël” .

Toutefois, le sous-texte du discours de Seyed Nasrallah était l’allusion à un front uni, à une “lente ébullition” de la “grenouille de le dissuasion” américaine, plutôt qu’à un plongeon tête baissée dans une guerre régionale.

Ces dernières semaines, les bases militaires américaines de la région ont été la cible d’attaques répétées de la part des milices régionales, et rien n’indique que ces attaques vont bientôt cesser. Leurs drones et leurs roquettes ont tous été abattus, a insisté le CENTCOM. Aujourd’hui, le CENTCOM a cessé de publier des mises à jour. Combien d’Américains ont été blessés et tués jusqu’à présent ? Combien d’autres risquent de mourir ou d’être gravement blessés ? Pour l’instant, nous ne le savons pas.

“Tout cela indique une évolution inquiétante” , écrit Malcom Kyeyune, “le déclin de la dissuasion” :

Au cours des dernières semaines, les responsables américains ont supplié [les milices] … de cesser d’utiliser des drones et des roquettes – et les ont menacées de graves conséquences si elles n’obtempéraient pas. Washington a mis ces menaces à exécution en ripostant par des frappes aériennes, tout en soulignant la nature défensive de ces frappes et en promettant de faire marche arrière dès que les attaques contre les bases américaines cesseraient. Mais après chaque frappe aérienne, les groupes armés de la région ont “intensifié” leurs activités anti-américaines. Des rapports circulent actuellement sur plusieurs grands groupes armés en Irak déclarant un état de guerre de facto contre l’Amérique [pour la libération de l’Irak].

Le cœur du problème réside dans le fait que les forces américaines sont réparties sur plus d’une douzaine de bases dans la région. Aucune de ces bases n’est suffisamment solide pour se défendre contre une attaque concertée. Ils se sont plutôt appuyés sur l’idée qu’en attaquant ne serait-ce qu’un faible avant-poste américain, on s’exposait à des ennuis : ce n’était qu’une question de temps avant que l’ensemble de la machine de guerre américaine ne s’abatte sur vous pour neutraliser la menace.

Kyeyune suggère alors que :

La dissuasion a d’abord été un effet secondaire utile de la puissance économique et militaire américaine. Mais au fil du temps, elle est devenue une béquille, puis un village Potemkine : une façade érigée par mesure d’économie, pour dissimuler le fait que l’armée se réduisait, que les dysfonctionnements politiques augmentaient et que la stabilité fiscale s’érodait. Aujourd’hui, alors que les drones et les roquettes pleuvent sur les militaires américains en Syrie et en Irak, il apparaît clairement que le Moyen-Orient a décidé que les menaces américaines n’étaient plus vraiment crédibles.

L’Irak sera-t-il le prochain “front” à s’ouvrir dans ce conflit en expansion ?

Seyed Nasrallah a déclaré à propos des navires de guerre américains : “Nous avons préparé quelque chose pour eux” . S’attaquer aux porte-avions américains (même sans entrer dans les détails) équivaut symboliquement à ce que l’Axe remette en cause l’hégémonie américaine à sa racine même. “Défi accepté” .

En bref, les conflits sont devenus géopolitiquement divers et technologiquement plus complexes et multidimensionnels – en particulier avec l’inclusion d’acteurs non étatiques militairement compétents. C’est pourquoi un resserrement progressif de l’étau sur plusieurs fronts peut constituer une stratégie efficace : “On peut douter que l’armée américaine parvienne à mener une guerre sur trois ou quatre fronts – l’effort pourrait facilement se transformer en un nouveau bourbier” .

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker francophone

   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « La stabilisation de Gaza n’est pas une “fin de partie” pour Joe Biden »

  1. Ping : La destruction de Gaza n’est pas une “fin de partie” pour le grand capital occidental (Alastair Crooke) – les 7 du quebec

Les commentaires sont fermés.