La situation se dénoue ; “Israël” devrait rester à l’écart


Le changement est inéluctable. Si “Israël” intervient – en s’imaginant qu’il aide l’Amérique – il est probable qu’il s’agisse d’une erreur stratégique.


Par Alastair Crooke – Le 19 août 2023 – Source Al Mayadeen

La semaine dernière, une délégation Démocrate du Congrès américain (organisée par l’AIPAC) a visité une batterie du Dôme de Fer et ce qu’elle a appelé les “tunnels terroristes du Hezbollah dans le nord d’Israël” . Cette visite reflète les tensions croissantes dans les régions frontalières de la Palestine occupée et du Liban. Ces tensions annoncent-elles l’imminence d’une guerre ou sont-elles le symptôme de la crise intérieure d’“Israël” ?

Peu importe ; dans tous les cas, elles comportent un risque sérieux d’escalade.

La cause immédiate a été l’annexion de facto par Israël, en juillet, de la partie la plus septentrionale du village frontalier de Ghajar, reconnu internationalement comme étant situé sur le territoire libanais.

Cette mesure a été largement condamnée et a exacerbé les tensions existantes à la frontière. En retour, les villageois libanais ont continué à protester, le Hezbollah érigeant plus tôt cette année des tentes dans la zone des fermes de Shebaa contrôlée par Israël, sur un territoire qui se trouve également dans la sphère reconnue des revendications territoriales libanaises.

Pour l’instant, “Israël” n’a pas tenté d’enlever les tentes dans lesquelles plusieurs membres du Hezbollah continuent de résider. Toutefois, comme le prévient le général Assaf Orion, de l’Institut d’études de sécurité nationale de l’université de “Tel-Aviv” , le récent déplacement du personnel de l’unité d’élite Radwan du Hezbollah vers le Sud-Liban et la mise en place par le Hezbollah de dizaines de postes d’observation près de la frontière sont autant d’indices de la mise en marche de la “machine de guerre” du Hezbollah.

Deux machines de guerre sont désormais déployées sur le terrain, la nôtre et la leur. Lorsque des unités de Radwan se positionnent au Sud-Liban, il ne faut pas s’étonner que leurs combattants s’approchent de la frontière avec des armes à feu. Militairement, la tendance est de toujours agir, de rechercher le contact. Le déclenchement de la guerre n’est plus décidé par les plus hauts gradés. Cela dépend de la précision avec laquelle l’unité antichar [du Hezbollah] tire des missiles sur les Forces de défense israéliennes et du nombre de victimes qu’elle cause. Les dilemmes sont susceptibles d’être immédiats et de déclencher des décisions prises dans l’instant. Il est possible d’être entraîné dans une guerre, même si ce n’est pas ce que l’on souhaite.

Le général Orion affirme que si l’hypothèse conventionnelle est que ni “Israël” ni le Hezbollah n’ont d’intérêt stratégique à une nouvelle guerre, l’“autre” réalité est le besoin d’“Israël” de détourner l’attention des manifestations de masse auxquelles le gouvernement est confronté et de la crise au sein des Forces d’occupation israéliennes (FOI).

Pour compenser la mauvaise image du pays, le ministre de la défense Gallant, lors d’une visite sur le front nord, non loin de la tente que le Hezbollah a érigée dans une zone sous contrôle israélien, a averti (en utilisant l’adage usé jusqu’à la corde, déployé pour la dernière fois lors de la guerre ratée d’“Israël” en 2006) qu’“Israël” renverrait le Liban à l’âge de pierre si le Hezbollah commettait une erreur. Il semble que Gallant ait été influencé par le commentaire de Sayyed Nasrallah selon lequel “Israël” , “autrefois une puissance formidable, s’est érodé, ce qui a conduit à la crise actuelle” .

La semaine dernière, une attaque aérienne de grande envergure près de Damas, tuant au moins quatre soldats syriens, a été attribuée à “Israël” . Cela aussi, suggère le général Orion, est considéré par “Israël” comme un moyen d’envoyer un “message” – un message délivré en privant Hezbollah d’“actifs” , et donc “[de] signaler à Nasrallah que ses actions près de la frontière auront un coût” .

Cela peut sembler évident pour les FOI : s’il est trop risqué pour “Israël” de déclencher une guerre à la frontière nord d’“Israël” , il faut alors imposer des coûts – si ce n’est pas directement au Hezbollah, alors indirectement à l’Iran et à ses alliés irakiens dans le nord-est de la Syrie, en tant que moyen de “dissuasion”. Il ne fait aucun doute que ce calcul repose sur l’idée qu’en agissant de la sorte, “Israël” plaira et impressionnera également les Américains.

Cependant, ce qu’“Israël” fait, ce n’est pas dissuader, mais s’empêtrer dans une série de feux de brousse régionaux qui couvent et qui peuvent s’enflammer d’une seule étincelle – en brûlant de puissants acteurs régionaux et en bouleversant la région.

Tel-Aviv peut avoir l’impression que son dernier bombardement en Syrie envoie un message succinct à Sayyed Nasrallah. Mais il s’agit là d’un raisonnement linéaire typiquement israélien. Et la région ne répond plus aux discours de Washington ; d’autres ont désormais plus d’influence et d’autonomie.

Le 12 août, une pluie de roquettes s’est abattue sur les troupes américaines dans le champ gazier de Conoco à Deir Ezzor. Le champ de Conoco est le plus grand champ de gaz naturel de Syrie et l’un des nombreux champs occupés par les forces américaines, qui mènent régulièrement des opérations de contrebande de pétrole vers la région du Kurdistan irakien, où le pétrole et le gaz syriens sont ensuite vendus pour financer les activités des mandataires américains.

En bref, la Russie et la Syrie sont toutes deux déterminées à expulser par la force l’occupation américaine du nord-est de la Syrie et à libérer les ressources énergétiques de la Syrie.

Mais l’“enchevêtrement” est encore plus complexe : l’attaque contre le champ de Conoco survient deux jours seulement après qu‘ISIS a mené son attaque la plus meurtrière contre l’Armée arabe syrienne (AAS) cette année, tuant 33 soldats dans la même région (Conoco) où les États-Unis ont renforcé leur présence.

Il s’agit de la quatrième attaque d’ISIS en Syrie en moins d’un mois, et quelques jours seulement après qu’une explosion massive près du sanctuaire de Sayyida Zaynab, dans la banlieue de Damas, a fait plus de deux douzaines de victimes.

Quelle est la nature de cet “enchevêtrement” ? La base d’Al-Tanf est une autre enclave américaine occupée, connue sous le nom de zone des “55 km” près du triangle frontalier Syrie-Irak-Jordanie, dans le sud-est de la Syrie. Et l’enchevêtrement est profond : les forces américaines sont censées combattre ISIS, mais des forces islamistes radicales sont implantées dans une grande partie de cette “zone de sécurité” américaine. En juin, le quartier général du Maghawir al-Thawra a été bombardé à l’intérieur de la zone des 55 km. Les déclarations américaines étaient obscures, mais laissaient entendre que la Russie avait joué un rôle dans l’attaque. La Russie, quant à elle, a indiqué que des combattants du Maghawir al-Thawra avaient posé une bombe en bord de route qui avait fait des victimes dans les rangs de l’armée russe.

Il semble que la Syrie se sente enfin en mesure de “nettoyer les écuries d’Augias syriennes” de ses insurgés extrémistes. Elle veut les expulser d’Al-Tanf et d’Idlib – et agit en ce sens avec le soutien de la Russie et de l’Iran.

La complication ici est que la Turquie a soutenu les groupes radicaux en Syrie – en particulier dans la province d’Idlib – et qu’elle a ses propres forces à la frontière nord-est de la Syrie, combattant les militants kurdes du PKK.

Pourtant, “Israël” s’imagine qu’en frappant les “actifs” iraniens en Syrie, il peut dissuader le Hezbollah dans la région des fermes de Chebaa, au Liban occupé. L’hypothèse d’“Israël” est erronée – et ses actions déclenchent la colère de ce trio de grands acteurs. Cela renforce leur détermination à riposter. La région est une poudrière. Une étincelle suffirait.

La Syrie et l’Irak sont sur le point de se métamorphoser dans le sillage du changement tectonique qui balaie la région, ainsi que de la fusion des BRICS, de l’OCS et de la Communauté économique eurasienne en un seul bloc massif – annoncée pour la fin du mois d’août.

Le changement est inéluctable. Si “Israël” intervient – en pensant aider l’Amérique – il est probable que ce soit une erreur stratégique : son intervention pourrait précisément être l’étincelle qui mettrait le feu à cette transition enchevêtrée. Tout conflit n’épargnera pas “Israël” .

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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