Par M.K. Bhadrakumar – Le 4 juin 2023 – Source Indian punchline
La déclaration de Xi’an, publiée à l’issue du premier sommet Chine-Asie centrale qui s’est tenu à Xi’an les 18 et 19 mai, s’en prend directement à l’ingérence de l’Occident dans la région, balayant l’idée de Washington et de Bruxelles selon laquelle la domination de la Russie et de la Chine sur la steppe d’Asie centrale n’est pas durable car la Russie est « trop sollicitée » dans le conflit ukrainien.
Il s’est avéré que non seulement la Russie n’a pas été « vaincue » en Ukraine, mais qu’elle a renversé la table dans cette guerre par procuration. Les États-Unis plaident maintenant auprès des Européens pour que Moscou ne soit pas autorisée à remporter la victoire sur les champs de bataille. Quelle position de repli !
Certes, la décision de la Chine, dans le contexte de la crise ukrainienne, d’assumer un rôle de leader en Asie centrale en tant que fournisseur de sécurité est un changement de paradigme qui ébranle profondément l’essence même de la stratégie indo-pacifique des États-Unis visant à isoler et à contenir la Chine. Il suffit de regarder la carte pour comprendre pourquoi le discours occidental sur l’encerclement de la Russie et de la Chine restera une chimère tant que l’Asie intérieure restera hors de portée.
Les États-Unis travaillent comme une araignée pour créer une toile d’États en Asie du Sud-Est afin de diviser et d’atomiser l’ANASE et de refaire un « changement de régime » en Thaïlande et dans toute la région du Grand Mékong. Dans un contexte aussi instable visant à entourer la Chine d’un cercle d’États instables, l’Asie centrale revêt une importance cruciale pour les stratégies russes et chinoises en tant que région hors de portée de l’influence américaine.
Le paragraphe correspondant de la déclaration de Xi’an stipule : « Les parties sont unanimes sur le fait qu’il est essentiel de garantir la sécurité de l’État, la stabilité politique et l’ordre constitutionnel, et s’opposent résolument aux tentatives visant à discréditer le pouvoir légitime de l’État et à provoquer des « révolutions de couleur », ainsi qu’à l’ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays, sous quelque forme que ce soit et sous quelque prétexte que ce soit. Les parties soulignent que la démocratie est l’aspiration et la valeur communes de l’humanité. Le choix indépendant de la voie de développement et du modèle de gestion relève de la souveraineté de chaque pays et ne peut faire l’objet d’aucune intervention« .
Il convient de noter attentivement que, moins d’une semaine après le sommet de Xi’an, la Russie a reçu un haut responsable de la sécurité de Pékin, qui a effectué une visite sans précédent d’une semaine à Moscou pour des consultations – Chen Wenqing, membre du Bureau politique et secrétaire de la Commission des affaires politiques et juridiques du Comité central du PCC, qui est l’homologue de Nikolay Patrushev, chef du Conseil de sécurité de la Russie, le plus haut responsable de la sécurité au Kremlin.
Recevant Chen et sa délégation à Moscou, Patrushev a déclaré : « L’expansion et l’approfondissement des relations avec la Chine, pays ami, constituent la ligne stratégique de la Russie. Notre pays accorde la priorité au développement d’une coopération mutuellement bénéfique avec la République populaire de Chine dans tous les domaines, à la fourniture d’une assistance mutuelle et au renforcement de la coordination sur la scène internationale afin de garantir la sécurité, la stabilité et le développement durable aux niveaux mondial et régional, tant en Eurasie que dans d’autres parties du monde. »
Dans ses remarques finales à l’issue de la visite de Chen à Moscou, Patrushev faisait remarquer : « La Russie n’est pas la seule à être l’un des centres du monde multipolaire. Il en va de même pour la Chine. Ils (les pays occidentaux) pensent pouvoir faire face à la Russie et dès qu’ils y seront parvenus, espèrent-ils, leur prochaine cible sera la Chine. Il leur est difficile de traiter les deux en parallèle. Ce qu’ils font actuellement à la frontière de la Chine, avec Taïwan, nous le savons très bien. En général, il est difficile de ne pas être d’accord avec leur position (du côté chinois)« .
Il est clair que les pourparlers sur la sécurité entre la Russie et la Chine, qui se déroulent à Moscou au plus haut niveau, devraient fournir les bases nécessaires aux efforts conjoints visant à instaurer la sécurité et la stabilité régionales dans leur espace commun, dans le contexte des risques sécuritaires croissants auxquels ils sont conjointement confrontés en Eurasie et du retour du terrorisme en Asie centrale. Cette congruence stratégique est déjà évidente dans l’étroite similitude des approches russe et chinoise de la stabilisation de l’Afghanistan, qui a déjà un impact positif malgré toutes les tentatives occidentales naissantes depuis la prise du pouvoir par les Talibans pour maintenir l’Hindu Kush dans un état de troubles et de guerre civile.
Le conseiller d’État et ministre des affaires étrangères chinois Qin Gang, qui a participé à la réunion trilatérale Pakistan-Afghanistan-Chine à Islamabad le 5 mai, a laissé trois messages à ses hôtes pakistanais : la Chine est prête à aider le Pakistan à relancer son économie ; Pékin est également prête à travailler avec le Pakistan pour faire progresser la coopération sur la Nouvelle route de la soie, accélérer le développement du CPEC et approfondir la coopération ; et, surtout, la Chine est prête à travailler avec le Pakistan pour « renforcer la communication et la coordination sur la question afghane, promouvoir la paix et la reconstruction en Afghanistan et aider à maintenir la stabilité et le développement de la région« .
Il est important de noter que Qin Gang a appelé à l’extension du corridor économique Chine-Pakistan à l’Afghanistan afin de « renforcer les relations de bon voisinage et la confiance mutuelle entre les trois pays dans un esprit de respect mutuel, de franchise et d’amitié, de bénéfice mutuel et de résultats gagnant-gagnant« . Qin Gang a fait savoir à ses homologues pakistanais et afghans que la Chine était prête à renforcer la coopération en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme et à « unir ses efforts pour combattre fermement les forces terroristes, notamment le Mouvement islamique du Turkestan oriental et le Tehrik-i-Taliban pakistanais, afin de défendre la sécurité et la stabilité régionales« .
Il est intéressant de noter que Qin Gang a assuré au ministre des affaires étrangères du gouvernement intérimaire afghan, Amir Khan Muttaqi, lors d’une réunion bilatérale, que Pékin avait l’intention « d’approfondir la coopération entre la Chine et l’Afghanistan dans divers domaines et d’aider l’Afghanistan à parvenir rapidement à l’autonomie, à la paix, à la stabilité, au développement et à la prospérité« .
Zhu Yongbiao, un éminent expert régional chinois et directeur du Centre d’études sur l’Afghanistan de l’université de Lanzhou, a déclaré au Global Times que « ces dernières années, le Pakistan et l’Afghanistan ont connu de graves conflits et différends concernant les frontières, et la réunion trilatérale elle-même a été une rare occasion de promouvoir la paix et les pourparlers« .
Zhu a déclaré que Kaboul et Islamabad avaient des divergences sur la reconnaissance du terrorisme, « en particulier en cas d’ingérence extérieure, lorsque des pays comme les États-Unis et l’Inde appliquent deux poids deux mesures en la matière« , c’est pourquoi la Chine a émis un signal qui pourrait être considéré comme « un pas en avant dans la coordination des positions du Pakistan et de l’Afghanistan« .
En outre, l’expert chinois a noté que l’Afghanistan et le Pakistan, voisins de la Chine et partageant de bonnes relations politiques avec elle, sont également conscients du rôle joué par la Chine non seulement dans la médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, mais aussi dans la crise ukrainienne, de sorte qu’ils ont tous deux des attentes à l’égard de la Chine, et que la réunion trilatérale d’Islamabad « témoigne de leur confiance accrue dans le rôle diplomatique de la Chine« .
Manifestement, à défaut de reconnaître officiellement le gouvernement taliban, Moscou et Pékin ont intensifié leurs relations avec Kaboul. Les capitales d’Asie centrale se sentent ainsi plus à l’aise. La Russie, les États d’Asie centrale et la Chine partagent la perception d’une menace existentielle liée au terrorisme et à l’extrémisme religieux, qui est un élément éprouvé de la boîte à outils des États-Unis. Ils se sont donc entendus pour refuser aux États-Unis toute installation de base dans la région ou pour empêcher la « résistance afghane » des Panjshiris d’utiliser l’Asie centrale comme sanctuaire pour alimenter une nouvelle guerre civile.
La Chine et la Russie ont contribué de manière significative à la stabilisation du régime taliban en Afghanistan. Fondamentalement, elles apprécient le fait que les dirigeants talibans, dans des conditions extrêmement difficiles, se sont néanmoins relativement bien comportés. C’est également la perception qu’ont les capitales d’Asie centrale.
Par conséquent, d’un point de vue régional, l’extension du CPEC à l’Afghanistan et son intégration inévitable au projet des Routes de la soie qui s’intensifie en Asie centrale doivent être considérées comme les retombées les plus tangibles du format Chine-Asie centrale. Ces processus renforceront l’OCS – et, espérons-le, amèneront également l’Inde à se joindre à elle à un moment ou à un autre.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.