Par Pepe Escobar – Le 2 mars 2018 – Source Asia Times
Il n’a fallu que deux phrases à Xinhua pour faire cette annonce historique : le Comité central du Parti Communiste (CCPC) « a proposé de supprimer de la Constitution du pays l’expression selon laquelle ‘le président et le vice-président de la République populaire de Chine ne doivent pas remplir plus de deux mandats consécutifs’ ».
Ce sera certainement confirmé à la fin de la session annuelle du Congrès national du peuple qui débutera la semaine prochaine à Pékin.
Une tempête géopolitique Made in Occident s’en est suivie ; des condamnations énergiques du « régime » et de son « retour à l’autoritarisme » une diabolisation généralisée du « dictateur à vie » et du « nouveau Mao ». C’est comme si un Nouvel Empereur s’apprêtait à concocter le lancement imminent d’une combinaison de la Grande Famine, de la Révolution culturelle et de Tiananmen.
Comparez maintenant cette hystérie avec ce que dit le célèbre professeur de relations internationales de l’Université Renmin, Shi Yinhong, qui tente d’introduire une dose de realpolitik : « Pendant encore longtemps, la Chine va continuer d’avancer selon les pensées de Xi, sa route, ses principes directeurs et son leadership absolu. »
Les capitaines d’industrie de l’économie mondiale, les anciens comme les nouveaux, ont de meilleurs ailerons de requin à déguster que d’être contraints par le petit jeu politique occidental de diabolisation de la Chine. Le turbo-capitalisme – avec ou sans « caractéristiques chinoises » – n’a absolument rien à voir avec la démocratie libérale occidentale. Le petit barreur, Deng Xiaoping, a introduit une véritable « troisième voie » : la compétitivité économique couplée à un contrôle politique. Deng, soit dit en passant, a appris cela de l’homme fort de Singapour, Lee Kuan Yew [Le Premier ministre de Singapour pendant 30 ans, de 1959 à 1990, NdT] – un chéri de l’Occident.
Xi peut incarner la garantie dont la Chine a besoin pour mener à bien, aussi harmonieusement que possible, la si nécessaire purge anticorruption, en sciant les nombreuses branches pourries du CCPC tout en dirigeant une réorientation économique qui devrait profiter, en particulier, au prolétariat rural.
D’ailleurs, Xi est déjà un leader internationalement reconnu dans le domaine du changement climatique, de la prolifération nucléaire, sans parler du réalignement du commerce mondial en tant que globalisation 2.0.
Et cela nous amène aux tentatives puériles de l’Occident cherchant à ridiculiser les nouvelles routes de la soie, connues sous le nom de « Belt and Road Initiative » (BRI) comme étant « hors de proportion » couplées à des affirmations selon lesquelles la BRI fait face à un « retour de bâton mondial ». C’est vraiment vouloir y croire.
Ce qui se passe dans le monde réel, c’est que l’administration Trump tente d’élaborer un programme anti-BRI par le biais de la Quad (US, Japon, Inde, Australie) – mais sans l’attirance transnationale et transcontinentale de la BRI, sans parler du financement.
Le Japon fait du bruit à propos d’un contrepoids afro-asiatique à 200 milliards de dollars. L’Inde centre son offensive sur un accord avec l’Iran pour que le port de Chabahar soit en concurrence avec celui de Gwadar. L’administration australienne de Turnbull, dans son livre blanc sur la politique étrangère de 2017, mise sur l’engagement des États-Unis contre la Chine. Et l’amiral Kurt Titt, chef du Southcom, parmi d’autres officiers militaires, juge que la BRI est une menace pour l’influence américaine.
Xi, comme le dirigeant russe Vladimir Poutine, sent très clairement d’où vient le vent, Washington traitant la Chine et la Russie comme des « puissances révisionnistes » et une menace stratégique clairement désignée.
Xi peut maintenant se transformer en une version post-moderne d’un empereur Tang éclairé. Mais il est aussi l’incarnation de Platon – un philosophe-roi régnant avec l’aide des meilleurs et des plus brillants (par exemple, Liu He, le directeur du Bureau central pour les affaires économiques et financières, l’homme proche de Xi pour la politique économique).
Le CCPC, comme la République de Platon, a conclu que oui, tout est question de gestion. L’ajustement titanesque du modèle économique chinois ne peut tout simplement pas se faire avant au moins 2030. Parmi les défis figurent la gestion de la transition des entreprises d’État, l’évolution vers une croissance du PIB basé sur les domaines à forte valeur ajoutée, l’organisation de la Chine en tant que grande société de consommation et la maîtrise de la propagation des risques financiers.
Pour tout cela, la cohérence et la continuité sont essentielles.
Xi a déjà annoncé ses étapes majeures pour atteindre le rêve chinois – c’est-à-dire devenir une nation stable avec une population à revenu moyen. La BRI en sera le vecteur de connectivité intégrant non seulement l’Eurasie mais aussi l’Afrique et l’Amérique latine. L’influence croissante de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et de l’Organisation de coopération de Shanghai. Sécuriser la mer de Chine méridionale et accroître sa présence non seulement dans l’océan Indien, mais aussi jusqu’ à la Troisième île – nécessaire pour protéger les lignes de connectivité et d’approvisionnement de la Chine.
Enfin et pas des moindres, faire de la Chine la première puissance en Asie-Pacifique ou en Indo-Pacifique.
L’histoire jugera Xi par ses actes. Le reste n’est que sinophobie.
Pepe Escobar
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.