Par Ellen Brown – Le 26 janvier 2016 – Source : EllenBrown
Le monde connaît un renouveau populiste. De la révolte contre l’austérité menée par le parti Syriza en Grèce et le parti Podemos en Espagne à la victoire surprise de Jeremy Corbyn comme leader du Parti travailliste au Royaume-Uni, à l’ascendant de Donald Trump dans les sondages républicains, au défi étonnamment fort lancé par Bernie Sanders à Hillary Clinton – les divers candidats en prise avec le pouls populaire sont en forte hausse, en avance sur leurs rivaux de l’establishment.
La révolte populiste d’aujourd’hui en imite une plus ancienne qui a atteint son apogée aux États-Unis dans les années 1890. Il s’agissait alors de largement contester Wall Street, de récupérer le pouvoir du gouvernement de créer l’argent, de guérir la déflation rampante avec des billets verts américains (GreenBacks) ou des pièces d’argent (alors considérées comme l’argent du peuple), de nationaliser des banques, et d’établir une banque centrale qui répondrait réellement à la volonté du peuple.
Plus d’un siècle plus tard, le mouvement Occupy Wall Street a relancé le défi populiste, armé cette fois d’Internet et des médias pour répandre la bonne parole. Le mouvement Occupy a mis un coup de projecteur sur la corruption, la culture de l’avidité déchaînée par la déréglementation de Wall Street, qui élargit le fossé béant entre le 1% et les 99% et détruit les emplois, les ménages et l’économie.
La campagne populiste de Donald Trump ne s’est pas beaucoup concentrée sur Wall Street; mais Bernie Sanders l’a fait, largement. Sanders a repris le flambeau laissé par Occupy et les enfants du millénaire, privés de leurs droits, qui composaient ce mouvement et se sont massés derrière lui.
L’échec de la régulation
L’accent mis par Sanders sur Wall Street a forcé son adversaire, Hillary Clinton, à répondre à ce défi. Clinton soutient que les propositions de Sanders sonnent bien, mais que cela ne marchera jamais dans la vraie vie. Sa solution à elle est largement de préserver le statu quo tout en imposant plus de régulation bancaire.
Cette approche, cependant, a déjà été essayée avec la loi Dodd-Frank. Elle n’a pas résolu le problème, mais c’est actuellement le projet de loi le plus long et le plus compliqué jamais adopté par une législature aux États-Unis. Dodd-Frank prétendait éliminer les sauvetages avec de l’argent public ou bail-out, mais il les a, de fait, remplacé par le bail-in, la confiscation des fonds des créanciers bancaires, y compris des déposants, pour maintenir à flot les banques trop grandes pour faire faillite. Les coûts ont été simplement déplacés des contribuables vers les déposants.
Pire encore, l’enchevêtrement massif de nouveaux règlements a paralysé les banques communautaires, plus petites, qui accordent la majorité des prêts aux petites et moyennes entreprises qui, à leur tour, créent la plupart des emplois. Ce surplus de réglementation va tout simplement forcer davantage de banques communautaires à se vendre à leurs concurrents plus importants, ce qui va rendre ces grosses banques plus grandes encore.
En tout cas, ce peaufinage réglementaire a prouvé qu’il n’était pas une réponse adéquate. Les banques soutenues par une armée de lobbyistes modifient simplement les lois, afin que ce qui était autrefois un comportement criminel devienne légal. (Voir, par exemple, la reformulation de Citigroup de la règle du push-out en décembre 2015 [explications en français, NdT], qui a complètement vidé de son sens l’intention du législateur.)
Ce que Sanders propose, en revanche, est une véritable révolution financière, un changement fondamental dans le système lui-même. Ses propositions incluent l’élimination de ces banques trop grandes pour faire faillite en les brisant; la protection des dépôts des consommateurs en rétablissant le Glass-Steagall Act (séparation des activités d’investissement de la banque dépositaire); la relance des banques postales comme alternatives de dépôt sûres; et la réforme de la Réserve fédérale en lui redonnant un rôle au service du peuple.
Le temps de relancer l’agenda populiste d’origine est-il venu?
Les propositions de Sanders sont un bon début. Mais les critiques rétorquent que casser les plus grandes banques serait coûteux, perturbateur et déstabilisateur; et cela n’éliminerait pas la corruption de Wall Street et la mauvaise gestion.
Aujourd’hui, les banques ont usurpé le pouvoir de créer la masse monétaire nationale. Comme la Banque d’Angleterre l’a récemment reconnu, les banques créent de l’argent chaque fois qu’elles font des prêts. Les banques déterminent qui reçoit l’argent et à quelles conditions. Réduire la taille des plus grandes banques à moins de 50 milliards de dollars d’actifs (la limite Dodd-Frank de too big to fail) n’en ferait pas pour autant des agents de confiance pour utiliser ce pouvoir et ce privilège.
Comment le système bancaire peut-il être réorganisé pour servir les besoins de la population et de l’économie, tout en préservant les aspects plus fonctionnels du système bancaire mondial hautement sophistiqué d’aujourd’hui? Peut-être qu’il est temps de reconsidérer les propositions populistes émises dès l’origine. L’approche directe consistant à occuper les banques est tout simplement de se mettre dans le costume et de les remettre au service du public. Les méga banques insolvables peuvent être nationalisées – comme elles l’étaient avant 2008. (Voir ci-dessous.)
Mettre les banques au service du public, cela peut aussi se produire au niveau local. Les États et les villes peuvent établir des banques de dépôt de propriété publique sur le modèle très rentable et efficace de la Banque du Dakota du Nord. Les banques publiques peuvent collaborer avec les banques communautaires pour diriger le crédit où il est nécessaire au niveau local; et elles peuvent réduire les frais du gouvernement par le recyclage des profits des banques pour un usage public, en éliminant les frais démesurés de Wall Street et en supprimant la nécessité d’instruments dérivés pour atténuer les risques.
Au niveau fédéral, les banques postales peuvent non seulement servir en tant que dépositaires en toute sécurité et en proposant des alternatives de crédit abordables, mais encore la banque centrale peut fournir ce crédit sans intérêt si c’est pour la nation, comme cela a été fait, par exemple, avec la Banque centrale du Canada de 1939 à 1974. Le Trésor américain pourrait aussi récupérer le pouvoir d’émettre, non seulement le change à usage quotidien, mais une grande partie de la masse monétaire, comme cela a été fait par les colons américains au XVIIIe siècle et par le président Abraham Lincoln au XIXe siècle.
Nationalisation: pas aussi radical qu’il n’y paraît
Aussi radical que cela puisse paraître aujourd’hui, la nationalisation des méga banques en faillite était la procédure d’exploitation normale et effective avant 2008. La nationalisation était l’une des trois options ouvertes à la FDIC quand une banque faisait faillite. Les deux autres étaient (1) la clôture et la liquidation, et (2) la fusion avec une banque saine. La plupart des défaillances ont été résolues en utilisant l’option de la fusion, mais pour les très grandes banques, la nationalisation a parfois été considérée comme le meilleur choix pour les contribuables. L’exemple américain le plus fameux est celui de la Continental Illinois, la septième plus grande banque du pays qui a fait faillite en 1984. La FDIC a dépouillé les actionnaires existants, injecté du capital, repris les actifs douteux, remplacé la haute direction, et est devenue propriétaire de la banque pour une dizaine d’années, la gérant comme une entreprise commerciale.
C’est donc une modification complète de la pratique acceptée qui a été introduite avec la vague sans précédent des opérations de sauvetage du gouvernement après la crise bancaire de 2008. Les contribuables ont supporté les pertes, tandis que la gestion de la banque fautive a non seulement échappé à des sanctions civiles et pénales, mais est partie avec des primes records.
Dans un article de juillet 2012 dans le New York Times intitulé Wall Street est trop gros pour être réglementé, Gar Alperovitz note que les actifs des cinq plus grandes banques, JPMorgan Chase, Bank of America, Citigroup, Wells Fargo et Goldman Sachs, atteignaient un montant combiné supérieur à la moitié de l’économie de la nation. Il a écrit:
Avec des lobbyistes grassement payés contestant tout projet de règlement, il est de plus en plus clair que les grandes banques ne pourront jamais être contrôlées aussi efficacement que les entreprises privées. Si une entreprise (ou cinq d’entre elles) est si grande et si concentrée que la concurrence et la réglementation sont impossibles, l’action la plus favorable pour le marché est de la nationaliser. . .
La nationalisation n’est pas aussi difficile qu’il y paraît. Nous avons tendance à oublier que nous avons, en fait, nationalisé General Motors en 2009; le gouvernement possède encore une part majoritaire de ses actions. Nous avons également essentiellement nationalisé l’American International Group, une des plus grandes compagnies d’assurance dans le monde, et le gouvernement détient toujours environ 60% de ses actions.
Un terme plus favorable au marché que la nationalisation est la mise sous séquestre, pour la prise en charge des banques insolvables et leur nettoyage. Mais comme le Dr Michael Hudson l’a observé dans un article de 2009, une véritable nationalisation ne signifie pas simplement imposer des pertes au gouvernement et la vente des actifs vers le secteur privé. Il a écrit:
Une nationalisation réelle se produit lorsque les gouvernements agissent dans l’intérêt public pour prendre en charge la propriété privée. [. . .] Par les mots, nationaliser les banques, je veux dire que le gouvernement pourrait fournir les besoins en crédit de la nation. Le Trésor pourrait devenir la source d’argent frais, en remplacement des crédits des banques commerciales. On peut supposer que ce crédit sera prêté à des fins économiquement et socialement productives et pas seulement afin de gonfler les prix des actifs alors que la surcharge des dettes des ménages et des entreprises est due aux politiques de prêt des banques commerciales d’aujourd’hui.
Un réseau de banques publiques contrôlées localement
La nationalisation des banques implique un contrôle fédéral de haut en bas, mais cela ne doit pas être le seul résultat. Nous pourrions avoir un système de banques publiques contrôlées localement, fonctionnant indépendamment pour servir les besoins de leurs propres communautés.
Comme indiqué précédemment, les banques créent l’argent qu’elles prêtent tout simplement en l’inscrivant dans les comptes. L’argent se met à exister comme débit sur le compte de l’emprunteur, et il est détruit lorsque la dette est remboursée. Cela se passe à un niveau de base dans les banques locales, ces dernières créant et détruisant de l’argent organiquement selon les exigences de la communauté. Faire de ces banques des institutions publiques serait différent du système actuel en cela que les banques auraient le mandat de servir l’intérêt public, et que les bénéfices seraient récupérés par le gouvernement local pour l’usage public.
Bien que la plus grande part de la masse monétaire continuerait d’être créée et détruite localement sous forme de prêts, il y aurait toujours un besoin de monnaie émise par le gouvernement comme envisagé par les populistes à l’origine, afin de combler les lacunes de la demande nécessaire pour maintenir l’offre et la demande en équilibre. Cela pourrait être réalisé avec un dividende national émis par le Trésor fédéral pour tous les citoyens, ou par un assouplissement quantitatif pour le peuple, comme envisagé par Jeremy Corbyn, ou encore par des mesures d’assouplissement quantitatif destinées aux infrastructures.
Pendant des décennies, les banques du secteur privé ont été livrées à leurs propres démons. Le modèle de banque uniquement privée a été soigneusement testé, et il a prouvé que c’est un échec désastreux. Nous avons besoin d’un système bancaire qui serve véritablement les besoins de la population, et cet objectif pourrait être mieux réalisé avec des banques qui sont détenues et exploitées par et pour le peuple.
Ellen Brown
Ellen Brown est une avocate, fondatrice de l’Institut Public Banking, et auteur de douze livres, y compris le best-seller Le Web de la dette. Son dernier livre, La Solution Public Bank, explore des modèles bancaires publics réussis historiquement et dans le monde. Ses plus de 300 articles de blog sont sur EllenBrown.com.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.