La Révolution d’Octobre et vous


Dmitry Orlov

Par Dmitry Orlov – Le 7 novembre 2017 – Source Club Orlov

Aujourd’hui, c’est le 100e anniversaire de la Révolution russe de 1917. Cette révolution a provoqué beaucoup de morts et de destructions, que je n’évoquerai pas ici parce que vous pouvez tout lire là dessus ailleurs. Elle a également provoqué une grande effusion de nouveautés dans l’ art, la littérature, l’architecture et la culture en général, propulsant la Russie auparavant quelque peu lourdaude en matière culturelle à l’avant-garde du monde. Elle a également entraîné une énorme poussée d’industrialisation, transformant rapidement une nation auparavant essentiellement agraire, mais en train de s’industrialiser progressivement, en une puissance industrielle mondiale (avec un coût humain élevé). Mais, peut-être le plus important, la révolution a détruit toutes les institutions soutenant les anciens privilèges qui dominaient auparavant, basés sur l’hérédité, la notion de classe et la richesse et elle les a remplacés par un modèle social égalitaire centré sur la classe ouvrière.


Et cela a démontré (tant par la propagande que par l’exemple réel) en quoi ce nouveau modèle était plus compétitif : tandis que l’Occident se vautrait dans la Grande Dépression, l’URSS a progressé économiquement et socialement. Malgré tous ses nombreux défauts, l’URSS a servi de ville brillante sur la colline aux millions de personnes opprimées dans le monde, y compris aux États-Unis, ferment d’une rébellion. De sorte que même là, la classe des 1% a finalement dû s’arrêter pour réfléchir. À contrecœur, ils ont décidé d’arrêter d’essayer de détruire les mouvements syndicaux organisés. Ils ont introduit des pensions de vieillesse d’État (mal nommées « sécurité sociale ») et ont déclaré une « guerre contre la pauvreté », un euphémisme. Au milieu de tout cela, une classe moyenne a émergé, appelée ainsi car elle était littéralement au milieu, sortie de la pauvreté, mais toujours séparée de manière étanche de la classe des 1%, les propriétaires. Mais comme nous le verrons, cet effet n’était que temporaire.

Finalement, l’URSS s’est évaporée, comme les entités politiques synthétiques et artificielles le font souvent. Les raisons de cet acte de disparition sont trop nombreuses pour être mentionnées, mais l’une des principales était que l’élite politique soviétique s’est transformée en une caste privilégiée et détestée qui a échoué à se reproduire, se transformant en une gérontocratie moribonde. Lorsque les anciens cadres ont finalement commencé à s’éteindre, la nouvelle génération qui est arrivée au pouvoir, y compris beaucoup de traîtres, a fait de son mieux pour détruire le système et en récupérer des bouts pour eux-mêmes. Cet effet était évident à voir, mais était-ce la cause première ? Quand un système complexe s’effondre, chaque partie de celui-ci est touchée d’une façon ou d’une autre, et il devient impossible de dire laquelle a joué un rôle clé dans la précipitation de l’effondrement.

Avec la disparition de l’URSS, les propriétaires des États-Unis n’avaient plus personne avec qui rivaliser et ils ne subissaient plus aucune pression pour maintenir l’illusion d’une société équitable et égalitaire. Au lieu de cela, ils se sont concentrés sur deux projets, l’un idéologique, l’autre économique. Le projet idéologique consistait à détruire le plus possible ce qui restait de l’URSS afin de brosser un tableau convaincant des terribles conséquences du communisme ou du socialisme et de rassembler tout le monde derrière un capitalisme sans entrave. Le projet économique impliquait l’éviscération de la classe moyenne américaine, un processus qui a largement suivi son cours.

Puisque la création de la classe moyenne était un projet multi-générationnel, sa destruction l’est aussi. Mais les effets de ce processus sur la société sont déjà évidents : il y a un excédent de retraités encore relativement aisés tandis que leurs enfants et petits-enfants ont grandement vu diminuer leurs perspectives économiques et sociales. Pendant ce temps, l’échafaudage érigé à la hâte qui a créé une apparence d’égalitarisme a été pulvérisé. Les syndicats organisés sont déjà presque de l’histoire ancienne. Les frontières ont été ouvertes aux travailleurs étrangers et aux importations bon marché. L’entrée dans la classe moyenne a été bloquée par diverses mesures, notamment l’assiduité à l’enseignement public, une surenchère inexorable pour l’accès à l’enseignement supérieur, le plan d’extorsion des soins de santé, le rationnement de la justice fondé sur la richesse et les privilèges, la confiscation des richesses en utilisant une succession de bulles artificielles du marché immobilier, et ainsi de suite. Dans l’ensemble, l’ancienne classe moyenne est réduite à néant de la même manière que les « coolies » chinois une fois les chemins de fer construits : ne les nourrissez pas beaucoup, mais donnez-leur beaucoup d’opium (maintenant cultivé en Afghanistan sous l’œil vigilant des troupes occidentales). Pour résumer : si vous n’êtes pas satisfait de la façon dont les choses se passent aux États-Unis, vous avez le choix. Vous pouvez bien sûr reprocher à la Russie de s’être débarrassée de l’URSS. Ou vous pouvez blâmer vos propriétaires – votre 1% – qui vous possèdent depuis que le roi d’Angleterre a nommé les Lords Propriétaires.

En Russie même, la commémoration de la Révolution d’Octobre n’est plus un jour férié. Mais il y a eu une sorte de commémoration sur la vaste place du Palais à Saint-Pétersbourg, à laquelle j’ai assisté avec mon fils de cinq ans sur les épaules. C’était la première fois qu’il se trouvait dans une foule de 35 000 personnes, et il a été dûment impressionné. C’était une extravagance lumineuse et sonore composée de deux spectacles qui jouaient en alternance. Sur la vaste façade semi-circulaire du bâtiment de l’état-major général était diffusée une rétrospective multimédia de la Révolution d’Octobre qui comprenait la lecture de documents historiques (comme l’abdication de Nicolas II) et des œuvres de poésie. Cela s’est terminé sur une note optimiste – oui, de nombreux événements horribles ont eu lieu, mais la Russie renaît maintenant – avec la façade de l’état-major général peinte dans le drapeau tricolore russe.

Un spectacle différent a été présenté sur la façade du Palais d’Hiver de l’autre côté de la place. Ici, des artistes multimédia de toute l’Europe (dont la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne) ont utilisé de la lumière projetée pour décorer et transformer le palais en musique qui chantait les louanges de la beauté de Saint-Pétersbourg. Le public a été invité à utiliser son téléphone pour voter pour le meilleur spectacle.

Après le spectacle, alors que nous quittions la place du Palais et que nous rentrions à la maison le long de la digue du palais, mon fils de cinq ans a posé de bonnes questions qu’il avait formulées en regardant le spectacle.

  • Est-ce que beaucoup de gens sont morts ?
  • Oui.
  • Mais la Russie existait déjà et existe encore maintenant ?
  • Oui, la Russie existe depuis 1000 ans et sera probablement là pour 1000 ans de plus.
  • Pourquoi les gens doivent mourir ?
  • Parce que sinon nous serions envahis de vieilles personnes inutiles et il n’y aurait pas assez de place pour les jeunes.

Et puis la suivante… évidente :

  • Pourquoi sommes-nous pourtant toujours pleins de vieillards inutiles ?
  • ???

Et enfin :

  • Pourquoi enterrons-nous les morts ?
  • Parce qu’ils sentent vraiment mauvais.
  • Ah…

Un jeune garçon plutôt détaché, n’est-ce pas ? Mais il n’était que l’une des milliers de personnes aux idées similaires qui étaient présentes ce jour-là, chevauchant  les épaules de leurs pères ou marchant à côté d’eux.

Bienvenue en Russie…

L’une des raisons pour lesquelles l’URSS a échoué était que l’idiotie de l’idéologie du communisme soviétique devenait trop douloureuse à tolérer. Dans un sens, c’était inévitable. Vous voyez, l’idéologie est un produit d’intellectuels, et les intellectuels ont tendance à être des idiots, faisant de « l’idiotie intellectuelle » quelque chose comme un oxymore. Nous sommes nés équipés d’un Cerveau de Singe 2.0 qui peut très bien gérer l’abstraction mais échoue toujours lorsqu’il tente de la réconcilier avec une réalité physique désordonnée. Et ce serait une grave erreur de penser que, tout simplement parce que l’idéologie communiste est idiote, l’idéologie capitaliste l’est moins. À l’heure actuelle, la plupart des gens qui réfléchissent se rendent compte que le capitalisme a échoué, tout comme le communisme. Nous ne pouvons qu’espérer qu’un jour, les États-Unis feront de leur héritage capitaliste ce que la Russie a fait avec son système communiste : une installation d’art festif dont pourront profiter les enfants et les adultes.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

   Envoyer l'article en PDF