La réponse asymétrique du Pakistan à Trump


C’est une façon intelligente de retourner la table en Afghanistan


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Par Andrew Korybko – Le 5 janvier 2018 – Source Oriental Review

Afghan refugees in Pakistan

L’annonce par le Pakistan de l’expulsion de plus de 1,5 million de réfugiés afghans dans les 30 prochains jours est tacitement justifiée par le tweet de Trump. Elle s’appuie sur cette position de tolérance zéro envers une immigration provenant d’États « terroristes » mais elle représente aussi l’emploi d’une « arme de migration de masse » retournée en poussant Kaboul plus près de la limite de l’effondrement et par conséquent en remplissant les rangs des partisans des talibans.

Donald J. Trump – 13h12 – 1er janvier 2018

« Les États-Unis ont bêtement donné au Pakistan plus de 33 milliards de dollars d’aide au cours des 15 dernières années, et ils ne nous ont rendu que des mensonges et de la tromperie, pensant que nos dirigeants étaient des imbéciles. Ils donnent refuge aux terroristes que nous chassons en Afghanistan, sans aide. Plus jamais ça ! »

Trump va bientôt regretter ce qu’il a tweeté au sujet du Pakistan le jour du Nouvel An en l’accusant de « donner refuge aux terroristes » puisque Islamabad est sur le point de frapper Washington avec une contre-mesure asymétrique qu’il n’oubliera certainement pas.

Le gouvernement pakistanais vient d’annoncer que plus de 1,5 million de réfugiés afghans doivent quitter le pays dans les 30 prochains jours, un plan sur lequel il travaille depuis un moment mais qui vient de recevoir un nouvel élan et une justification internationalement acceptable avec le tweet de Trump.

Sans cette politique de tolérance zéro du président américain vis-à-vis de l’immigration provenant de ce que son administration qualifie de pays « terroristes » ce qui inclut l’Afghanistan pour des raisons substantielles et non politiques (comme l’inclusion de l’Iran et l’exclusion de l’Arabie saoudite dans cette liste), alors le Pakistan aurait risqué de subir de fortes pressions de la part du Département d’État avec des allégations exagérées selon lesquelles il « violait les droits de l’homme » des réfugiés.

Trump, cependant, a déclaré que le Pakistan « donnait refuge aux terroristes » et comme les États-Unis considèrent officiellement les réfugiés afghans comme un risque potentiel de sécurité trop fort pour les autoriser à immigrer, ils sont forcés d’accepter leur expulsion du Pakistan sur la base implicite qu’ils constituent également une menace terroriste grave pour un État, comme le président vient de le tweeter.

Ce n’est pas du tout ce que Trump voulait dire quand il a publié son tweet, ni la réaction qu’il attendait, mais en exploitant habilement la politique du président chez lui et ses allusions faites contre le Pakistan à l’étranger, Islamabad a trouvé une manière créative asymétrique de riposter à Washington.

Non seulement le Pakistan pourrait bientôt se débarrasser des cellules dormantes terroristes réelles et du mécontentement social dans un pays qui a depuis longtemps dépassé ses capacités d’accueil comme voisin [de l’Afganistan, NdT], mais il catalysera aussi une série de crises en cascade pour Kaboul en employant ce qui peut être décrit comme une « arme de migration de masse » retournée.

Pour expliquer brièvement, la chercheur de l’Ivy League Kelly M. Greenhill a introduit le concept d’« arme de migration de masse » en 2010 pour décrire les façons dont les mouvements de population à grande échelle – qu’ils soient naturels, artificiels ou exploités – influencent leur société d’origine, de transit et de destination, estimant que ce phénomène peut avoir une utilisation stratégique dans certains cas.

L’afflux de millions de ces « armes de migration de masse » afghanes au Pakistan depuis 1979 a eu pour effet de déstabiliser les communautés frontalières du pays hôte et de contribuer à la vague d’attentats terroristes qui ont fait plus de 60 000 victimes depuis 15 ans. Mais maintenant, le retour rapide et à grande échelle de ces « armes » dans leur pays d’origine déstabilisera inévitablement l’Afghanistan.

Ce pays, enclavé et déchiré par la guerre, est totalement incapable de faire face à une augmentation d’environ 3% de sa population totale dans les 30 prochains jours, d’autant plus que le gouvernement de Kaboul exerce peu d’influence au-delà de sa capitale et n’a aucune influence sur environ la moitié du pays qui est sous le contrôle des talibans.

Le gouvernement afghan soutenu par les États-Unis échoue devant ses citoyens et c’est pourquoi tant d’entre eux ont rejoint les talibans ou sympathisent avec eux, de sorte que les chances de ces réfugiés rapatriés de réintégrer avec succès le tissu socio-économique de leur patrie et de devenir des « citoyens modèles » est proche de zéro. Cela signifie que la grande majorité de ces 1,5 million de personnes se rapprochera probablement plus des talibans que de Kaboul et rendra par conséquent le pays beaucoup plus difficile à contrôler pour les États-Unis.

Donc, le Pakistan a renvoyé le tweet de Trump à l’envoyeur en l’utilisant comme prétexte internationalement plausible pour entamer ce mouvement planifié depuis longtemps, à l’origine fondé sur des intérêts purement centrés sur la sécurité apolitique, mais maintenant devenu pertinent pour incarner les contours géostratégiques d’un puissant renversement de table contre les États-Unis en Afghanistan à travers l’utilisation d’« armes de migration de masse » retournée.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Hervé. vérifié par Wayan, relu Cat pour le Saker Francophone

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