La preuve par l’absurde que le boycott culturel d’Israël est efficace


Lawrence Davidson

Par Lawrence Davidson – Le 30 octobre 2015 – Source Consortiumnews

Les boycotts économiques et culturels ont aidé à isoler l’Afrique du Sud de la suprématie blanche et ont encouragé son évolution vers une démocratie multiraciale. Une stratégie semblable a intensifié la pression sur Israël pour parvenir à un accord de paix avec les Palestiniens. Mais aujourd’hui, il y a un nouvel effort pour contrer cette stratégie, note Lawrence Davidson.

Une nouvelle organisation britannique, appelée Culture for Coexistence [Culture pour vivre ensemble] a pour but de mettre fin au boycott culturel d’Israël, qui a été relativement efficace dans la sensibilisation de l’opinion publique aux politiques d’oppression sionistes, et de le remplacer par le dialogue ouvert et l’engagement culturel. Une galaxie de 150 artistes et auteurs a signé une lettre ouverte dans le Guardian du 22 octobre, annonçant la position du groupe :

«Les boycotts culturels visant Israël sont facteurs de division, ils sont discriminatoires et ne promeuvent pas la paix», alors que «le dialogue ouvert et les interactions favorisent une meilleure compréhension et l’acceptation mutuelle que des pas peuvent être accomplis dans le sens de la résolution du conflit».

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a tenu une réunion de sécurité avec le haut commandement de l’Armée israélienne près de Gaza, le 21 juillet 2014 (Photo: Gouvernement israélien)

Tandis qu’il est difficile, sur le principe, de contester des concepts tels que dialogue ouvert et interaction mutuelle, il faut évaluer leur efficacité en tant qu’agents de résolution des conflits dans un contexte historique. Autrement dit, de telles approches sont efficaces lorsque les circonstances exigent que toutes les parties dialoguent sérieusement et interagissent significativement – d’une manière qui promeut effectivement l’acceptation mutuelle.

Est-ce le cas quand il s’agit d’Israël ? Le fardeau de la preuve pèse ici sur Culture pour vivre ensemble, parce que ce sont eux qui demandent aux Palestiniens et à leurs partisans de renoncer à une stratégie (le boycott) qui fait effectivement pression sur Israël pour qu’il négocie sérieusement.

Les signataires de Culture pour vivre ensemble ne traitent pas de cette question de l’efficacité. Au contraire, il se contentent simplement d’affirmer que les boycotts culturels sont mauvais et n’aident pas à résoudre le conflit tandis que l’interaction culturelle est bonne et travaille à cette fin. Comment le savent-ils ? Sans preuve que ce soit réalisable, une telle affirmation ne fait qu’idéaliser un engagement culturel qui ignore sa futilité historique au vu de la poursuite d’un conflit qui dure depuis près d’un siècle.

Les dirigeants israéliens veulent-ils une paix juste ?

L’interaction culturelle avec Israël s’est poursuivie pendant des dizaines d’années avant le boycott, elle n’a eu aucun effet sur la résolution du conflit. Une telle activité culturelle n’a certainement pas changé le fait que les dirigeants d’Israël n’ont jamais manifesté d’intérêt à négocier une solution avec les Palestiniens, excepté aux seules conditions israéliennes.

Et en effet, cette obstination est une grande partie de la raison pour laquelle les pourparlers de paix (ainsi que les Accords d’Oslo) n’ont jamais abouti. Il y a toute une série d’histoires, écrites par les Israéliens et basées sur des recherches dans les archives, qui soutiennent l’affirmation qu’Israël n’a pas cherché de résolution juste du conflit. Ici, j’aimerais recommander aux signataires de Culture pour vivre ensemble de lire les livres de l’historien israélien Ilan Pappe.

Étant donnée cette attitude sioniste historique, quelle sorte de «plus grande compréhension et acceptation mutuelle» Culture pour vivre ensemble s’attend-elle à atteindre en troquant le boycott contre un engagement culturel ? C’est une question que les signataires de la lettre ouverte pourraient adresser au Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui aurait récemment proclamé qu’Israël contrôlera indéfiniment toutes les terres palestiniennes.

La galaxie d’artistes et d’auteurs alignés sur Culture pour vivre ensemble semble inconsciente de toutes ces questions liées au contexte. Bien sûr, il y a de bonnes chances pour que certains d’entre eux soient plus intéressés à nuire au boycott d’Israël qu’à la promotion prétendue de la paix au moyen de l’engagement culturel.

Comme l’indique l’article du Guardian qui discute du groupe, «certains membres du réseau sont étroitement alignés sur Israël», y compris des individus associés aux Amis conservateurs d’Israël et aux Amis travaillistes d’Israël [deux groupes parlementaires affiliés, respectivement, aux partis conservateur et travailliste britanniques, NdT]

Les contacts culturels mènent-ils à la paix ?

Il y a un autre malentendu, plus général, qui se manifeste dans la déclaration du groupe. On le trouve dans l’affirmation qui clôt la lettre, que «l’engagement culturel bâtit des ponts, nourrit la liberté et crée un mouvement positif pour le changement» – une position répétée par Loraine da Costa, présidente de la nouvelle organisation, qui a déclaré au Guardian que «la culture a une capacité unique à rassembler les gens et à surmonter les divisions».

Peu importe comment vous voulez définir la culture, savante ou populaire, il n’y a aucune preuve à l’appui de cette position à part au niveau des individus et des petits groupes. À l’échelle de populations plus vastes ou de la population tout entière, l’affirmation que «l’engagement culturel crée des ponts» est une nouvelle idéalisation démentie par les faits historiques. Historiquement, la culture a toujours divisé les gens (à la fois en termes de frontières et de classes sociales) et a agi comme une barrière contre la compréhension. À un niveau populaire, la plupart des gens ne s’intéressent pas aux cultures étrangères, ou s’en méfient, et sont peu désireux de chercher à interagir culturellement.

Israël est un très bon exemple de cette xénophobie culturelle. Historiquement, les juifs européens qui ont constitué l’État méprisaient la culture arabe. Ils ont tenté de l’éradiquer chez les juifs mizrahim [juifs descendant des communautés juives du Moyen-Orient, NdT] arrivés en Israël et venant des pays arabes. Ce préjugé israélien entre juifs reste un problème aujourd’hui. Quant aux aspects de la culture arabe attrayants pour les juifs israéliens (ils ont la plupart du temps un rapport avec la cuisine), ceux-ci tentent de les réemballer avec l’étiquette israéliens.

Il y a deux considérations finales ici. La première est la nécessité d’être sérieux et clair dans l’usage de la langue. On peut, bien sûr, dire que «la culture a la capacité unique de réunir les gens», mais est-ce une déclaration qui a une réelle signification ou est-ce seulement une platitude ?

Et la seconde : si vous donnez des conseils à propos d’un conflit vieux d’un siècle, vous devriez en savoir suffisamment sur son histoire pour être raisonnable dans votre offre. Par conséquent, dans ce cas, si vous savez que les relations culturelles, savantes ou populaires, avec Israël (et, comme c’est suggéré ci-dessus, il y en a eu de nombreuses depuis la fondation de l’État en 1948) ont effectivement amélioré les perspectives de paix israélo-palestinienne, vous devriez en fournir les preuves. Mais si ce n’est qu’un cliché banal, eh bien, seul l’ignorant peut le prendre au sérieux.

Ceux qui ont proposé le boycott culturel ne l’ont pas fait à cause d’une certaine aversion antisémite pour la création artistique israélienne, musique, littérature ou théâtre. Ils l’ont fait parce que l’interaction culturelle avec Israël non seulement avait échoué à promouvoir une paix équitable, mais servait en fait de camouflage à un État-nation qui pratique la purification ethnique et d’autres politiques destructrices contre les non-juifs.

La conclusion logique à tirer est que si vous voulez faire pression sur les Israéliens pour changer leurs habitudes, vous devez renoncer au contact culturel avec eux et poser comme condition à toute reprise de contact qu’ils soient sérieux au sujet de la résolution du conflit.

Comment se fait-il que les 150 artistes et auteurs qui ont signé la lettre ouverte de Culture pour vivre ensemble ne connaissent pas les faits importants ? Si on fait abstraction des sionistes confirmés, dont le motif inavoué est tout à fait évident, est-ce que ces gens prennent cette position parce qu’ils la ressentent comme juste – c’est-à-dire parce qu’ils croient que l’interaction culturelle devrait, ou même doit promouvoir la résolution du conflit ? Hélas, c’est une illusion et, si on prend l’Histoire au sérieux, la Palestine disparaîtra avant qu’une telle approche contribue effectivement à conduire à une paix juste.

Lawrence Davidson est professeur d’histoire à l’Université West Chester en Pennsylvanie. Il est l’auteur de Foreign Policy Inc.: Privatizing America’s National Interest; America’s Palestine: Popular and Official Perceptions from Balfour to Israeli Statehood et Islamic Fundamentalism.

Traduit par Diane, édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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