La Pologne veut poser les bases d’un nouvel avenir pour l’Europe


Par Andrew Korybko – Le 2 mai 2019 – Source eurasiafuture.com

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Dans un article d’opinion publié dans Politico, Morawiecki, le premier ministre polonais, a développé un projet en cinq points, afin de fonder un nouvel avenir pour l’Europe, à l’issue des élections du parlement européen fin mai.

14.02.2018 Warszawa KPRM Spotkanie premiera Mateusza Morawieckiego z przewodniczącym Senatu Francji n/z Premier Mateusz Morawiecki i Gerard Larcher

Rencontre le 14 février 2018 de Mateusz Morawiecki, premier ministre polonais, avec Gérard Larcher, président du Sénat français.

Le contexte politique derrière l’article publié par la Pologne

Les élections européennes de fin mai 2019 constitueront un tournant dans l’histoire de l’UE si elles sont remportées par les partis euroréalistes aux dépends de leurs adversaires eurolibéraux, comme les observateurs s’y attendent. Les forces réformistes d’Orban en Hongrie, de Salvini en Italie, de Kaczynski, « éminence grise » de la Pologne, travaillent d’arrache-pied pour inspirer leurs soutiens nationaux et internationaux à voter contre le statu quo et à accorder à leurs alliés idéologiques une chance de modifier les affaires du continent. La Pologne constitue la grande puissance en ascension, pilotant l’initiative géostratégique des « Trois Mers », en Europe Centrale et Orientale, et il apparaît donc approprié que son premier ministre, Mateusz Morawiecki, prenne la plume dans un article d’opinion, publié par Politico, décrivant son projet en cinq points pour fonder un nouvel avenir de l’Europe après les élections européennes de mai 2019.

Une exigence de décolonisation des temps modernes

La «Vision polonaise pour l’Europe » porte un message clair : une Union Européenne décentralisée, rendant la souveraineté à ses États membres, sera bien plus forte et bien plus pérenne que sa version centralisée « à deux vitesses », qui traite les pays de l’ancien Rideau de Fer comme des vassaux conquis. Le cœur du bloc occidental a la même relation avec la périphérie européenne centrale et orientale que les anciennes métropoles impériales avec leurs colonies, et dans un sens, le manifeste de Morawiecki peut être lu comme une demande de décolonisation, exigeant la libération de ces pays soumis hors du contrôle dominateur de Bruxelles, et la mise en place d’un accord dans le style du Commonwealth britannique, qui laisserait chacun de ses membres rester en termes d’égalité et de cordialité entre eux à l’issue de la « réforme impériale » dont Varsovie se veut le fer de lance après les élections.

Point par point

Et pour preuve, le Premier ministre polonais a écrit sur le besoin pressant de lutter contre les inégalités internationales comme premier point de son article, insistant sur le fait que « les inégalités existent non seulement entre citoyens, mais entre pays ». « Établir une stratégie de l’innovation européenne, qui déploie un agenda d’intelligence artificielle, l’internet des objets, le “big data” et le “machine learning” » contribuerait fortement au développement du continent, et à promouvoir l’égalité en cas de réussite. C’est pourquoi il propose un « budget audacieux pour l’UE », qui pourrait partiellement se voir financé par « la juste taxation des géants des technologies numériques » dans sa deuxième proposition. En troisième point, il écrit que certains États de l’UE doivent mettre fin à leurs politiques protectionnistes qui discriminent d’autres membres, tout en « animant un vrai combat contre les monopoles mondiaux et régionaux, y compris sur les plateformes et réseaux en ligne ».

Son avant-dernière proposition plaide pour une augmentation des budgets de défense, et la priorisation des protections aux frontières. Il s’agit d’un alignement avec l’allié étasunien, qui demande de telles augmentation à l’UE depuis la prise de fonction de Trump, et ce n’est pas une coïncidence : le parti PiS, qui gouverne la Pologne, est aligné idéologiquement avec la faction du parti Républicain soutenant l’actuel président des USA, et présente les mêmes opinions, sur presque tous les sujets, en particulier ceux ayant à voir avec le « hard power » et la sécurité nationale. Le dernier point de Morawiecki est sans doute le plus fort de tous : Bruxelles ne doit pas oublier la démocratie – il conclut son article sur cette phrase : « l’Europe fut fondée sur l’idée que ses États membres sont égaux au sein de l’alliance et c’est uniquement dès lors que l’on constituera un groupe d’États réellement égaux entre eux et se respectant les uns les autres que le continent deviendra une superpuissance ».

L’euroréalisme en pratique

À la lecture point par point du manifeste de Morawiecki, on voit clairement que l’avenir euro-réaliste que projette la Pologne pour le bloc européen n’implique pas de « Polexit », agité à tort par certains des critiques de Morawiecki, lors d’une campagne de guerre de l’information contre son pays, mais correspond plutôt à un « ré-équilibrage » entre la centralisation et la décentralisation au sein du bloc européen. La sécurité du continent et les stratégies de développement seront poursuivies collectivement par l’UE, afin de rendre le continent plus compétitif au XXIème siècle, tandis que les sujets socio-culturels et domestiques seront gérés de manière individuelle par chaque État membre. Si on fait les choses à la manière polonaise, cette UE réformée réparera ses erreurs passées et se montrera plus efficace qu’auparavant.

Conclusions

L’Union Européenne est à la croisée des chemins, et la vision portée par l’« initiative des Trois Mers », menée par la Pologne, et prête à fonder un nouvel avenir en Europe avec ses alliés idéologiques euro-réalistes prendra de l’ampleur si cette mouvance remporte les élections parlementaires européennes. Structurellement, les réformes portées par le premier ministre polonais s’apparentent à des exigences de décolonisation des temps modernes, selon un processus proche de celui connu par certaines colonies britanniques avant leur adhésion au Commonwealth ; Varsovie veut, de manière similaire, un retour de l’égalité internationale dans le bloc européen. Les « colonies » d’Europe centrale et orientale sont bien trop profondément liées à la « métropole » d’Europe occidentale pour pouvoir se permettre une « séparation tranchée », et le jeu de propositions polonaises constitue le compromis le plus pragmatique possible au vu des conditions.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Notes du Saker francophone

On peut raisonnablement douter que la Pologne s'attende réellement à voir Bruxelles rendre leur souveraineté gentiment aux États membres... Il reste intéressant de voir que chaque État de l'UE porte un projet européen « national », et de constater combien tous ces projets sont profondément incompatibles entre eux (voir celui de la France et celui de l'Allemagne commentés par Michel Drac). Au final, en dehors des périodes électorales, chaque projet européen national retourne dans son tiroir, et aucun traité européen n'est jamais remis en question. Il est permis de penser que l'aventure supranationale ne finira que dans un éclatement du bloc, « par le bas », les intérêts nationaux et les situations respectifs des pays membres étant bien trop divergents.
Preuve s'il en faut de l'absence de réel débat européen et de l'aspect purement national de chaque proposition européenne, exactement zéro « grand » média français ne signale ni ne commente [selon nos recherches],  cette proposition polonaise.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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