Par Moon of Alabama – Le 8 juin 2022
Au cours des derniers mois, j’ai peu écrit sur d’autres sujets de politique étrangère étasunienne que la guerre en Ukraine.
Un bref examen montre qu’il y a peu d’initiatives prises que le secrétaire d’État Anthony Blinken ou son président pourraient considérer comme un succès.
Le mois dernier, Biden s’est rendu en Asie où il a tenu des réunions avec le QUAD (Australie, Japon, Inde et États-Unis) ainsi qu’avec des dirigeants d’Asie du Sud.
La réunion du QUAD a été un échec car l’Inde n’a montré aucun signe montrant la volonté de se joindre aux trois autres dans leur condamnation de la Russie. Au lieu de sanctionner la Russie, l’Inde lui achète davantage de pétrole que celle-ci lui offre avec des rabais décents. Une telle désunion n’est pas de bon augure pour la coalition anti-Chine conçue par les États-Unis.
Mais le plus remarquable est que Biden est venu en Asie les mains vides :
Plusieurs mois après que le président américain Joe Biden ait indiqué pour la première fois que son administration lancerait un nouveau cadre économique indo-pacifique (IPEF) qui marquerait un engagement renforcé des États-Unis envers les économies asiatiques, le président, accompagné des dirigeants d’une douzaine de pays d’Asie, a annoncé le lancement de l’IPEF à Tokyo le 23 mai. …
La lenteur du processus visant à déterminer ce que contiendront les quatre « piliers » de l’IPEF, la manière dont les négociations seront menées en raison de la division du travail entre le représentant américain au commerce et le secrétaire au commerce, et l’incertitude quant aux gouvernements qui adhéreront à l’initiative ont renforcé l’ambivalence.
En raison de cette ambivalence, la déclaration conjointe lançant le cadre fait référence à des « discussions collectives en vue de négociations futures », ce qui indique qu’il reste du travail à faire pour étoffer l’initiative.
Les gouvernements asiatiques n’ont pas tort d’avoir des sentiments mitigés à l’égard de l’IPEF. Les responsables américains du commerce prévoient d’exiger des partenaires de négociation des performances plus élevées en matière de travail et d’environnement, mais ils ont également indiqué qu’ils n’étaient pas prêts à offrir l’accès au marché américain, et encore moins à conclure un accord de libre-échange de type TPP.
Le Malaisien Mahathir Mohamad a déclaré que le nouveau groupe commercial dirigé par les États-Unis, l’IPEF, vise à « isoler la Chine ». Cela ne marchera pas, car l’idée dans son ensemble a toutes les chances d’échouer.
Comme l’a fait remarquer un rédacteur de l’Institut Lowy, de Sydney, dans le New York Times :
Biden s’est entretenu la semaine dernière avec les dirigeants du groupe des quatre nations du « Quad » formé pour contrer Pékin, a promis de défendre Taïwan contre la Chine et a présenté un nouveau pacte économique impliquant une douzaine de nations pour renforcer l’influence économique des États-Unis dans la région.
Pourtant, la Chine est déjà en train de gagner dans une grande partie de l’Asie sur les fronts économique et diplomatique, et rien de ce que font les États-Unis ne semble pouvoir changer cette situation. …
La réponse de l’administration Biden, dévoilée la semaine dernière à Tokyo, est son cadre économique indo-pacifique. Ce projet est loin d’être à la hauteur.
Le plan prévoit une coopération en matière de commerce, de chaînes d’approvisionnement, d’infrastructures et de lutte contre la corruption. Mais il ne prévoit pas un meilleur accès à l’énorme marché d’importation américain, une carotte cruciale qui sous-tend normalement les accords commerciaux. …
Entre-temps, la Chine est allée de l’avant. Les entreprises d’État ont conclu de grands projets dans la région, souvent dans le cadre de la tentaculaire initiative chinoise des « Nouvelles routes de la soie ».
La Chine pratique également une diplomatie persistante. Les voyages du ministre des affaires étrangères Wang Yi en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique ont largement dépassé le rythme de son homologue américain, Antony Blinken. Malgré la fanfare du récent voyage de M. Biden en Asie, il s’agissait de son premier voyage dans la région depuis son entrée en fonction il y a 16 mois et il n’a visité que ses proches alliés, la Corée du Sud et le Japon. …
Il ne sera pas facile de concurrencer la Chine en Asie. Il faut reconnaître que les États-Unis sont actuellement en train de perdre.
Ces mots, venant d’un allié fidèle des États-Unis, sont assez durs.
Un autre domaine dans lequel la politique étrangère américaine actuelle échoue est celui concernant les Amériques. Biden accueille actuellement le « sommet » de l’Organisation des États américains. Les chefs d’État d’au moins 7 des 34 États membres de l’OEA n’ont pas été invités ou ont refusé de venir :
L’insistance de M. Biden pour que les dirigeants de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela ne participent pas au sommet a été perçue dans de nombreuses capitales comme un signe d’impérialisme américain et un manque de volonté d’aborder de manière honnête les problèmes complexes de la région.
Les trois pays d’Amérique centrale connus sous le nom de Triangle du Nord – le Salvador, le Guatemala et le Honduras – qui, avec le Mexique, sont à l’origine d’environ 66 % de l’immigration clandestine à la frontière américaine, ont décidé de n’envoyer que leurs ministres des affaires étrangères au sommet pour manifester leur mécontentement.
L’argument idéologique de Biden (ou de Blinken) selon lequel Cuba, le Nicaragua et le Venezuela sont des « dictatures » n’a pas beaucoup de sens lorsqu’on apprend que le président par intérim non élu d’Haïti, Ariel Henry, a été invité alors qu’il est soupçonné d’avoir commandité le meurtre de son prédécesseur Jovenel Moïse.
Biden est à nouveau venu les mains vides :
Les responsables de l’administration ont déclaré que M. Biden proposerait des réformes de la Banque interaméricaine de développement pour encourager davantage d’investissements privés dans la région et des investissements de 300 millions de dollars par les États-Unis pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Mardi, la vice-présidente Kamala Harris a annoncé des promesses d’investissements de 1,9 milliard de dollars par des entreprises privées au cours des prochaines années.
Mais il n’est pas certain que ces investissements seront suffisamment solides pour empêcher ces pays de se tourner vers la Chine pour obtenir de l’aide, ce qui est pourtant un objectif clé pour M. Biden.
L’establishment de la politique étrangère n’est pas satisfait de cette situation :
Richard N. Haass @RichardHaass – 11:44 UTC – Jun 7, 2022
Le Sommet des Amériques s’annonce comme une débâcle, un échec diplomatique. Les États-Unis n’ont pas de proposition commerciale, pas de politique d’immigration et pas de programme d’infrastructure. Au lieu de cela, l’accent est mis sur qui sera présent et qui ne le sera pas. La raison pour laquelle nous avons fait pression pour que cela se produise n’est pas claire.
La politique américaine au Moyen-Orient est bloquée. L’accord nucléaire avec l’Iran a peu de chances d’être relancé par Biden, car il a refusé de lever la désignation, faite par Trump, du Corps des gardiens de la révolution islamique comme groupe terroriste. La visite qu’il devait effectuer en Arabie saoudite pour réclamer plus de pétrole et un pétrole moins cher a été reportée à une date ultérieure incertaine. Le leader de l’Arabie Saoudite est toujours fâché que Biden l’ait précédemment snobé. Il souhaite également poursuivre son accord OPEP+ avec la Russie et d’autres producteurs de pétrole afin d’éviter une baisse des prix du pétrole.
Le fait que le général à la retraite John R. Allen, de tendance démocrate, fasse l’objet d’une enquête pour avoir fait pression sur le Qatar, le grand rival de l’Arabie saoudite, n’aide pas. Allen est à la tête du Brookings Institute, également à tendance démocrate, qui a reçu d’importantes donations du Qatar.
En ce qui concerne sa politique anti-chinoise, l’administration Biden a connu deux autres revers. Elle avait interdit les panneaux solaires en provenance de Chine en raison de violations présumées des droits de l’homme au Xinjiang, d’où proviennent les matières premières nécessaires à la fabrication de ces panneaux. Cette mesure, ainsi qu’un différend commercial mineur, a entraîné une crise de l’approvisionnement en panneaux solaires et a stoppé certains grands projets d’« énergie verte ». Biden a réagi en signant une autorisation d’urgence pour lever les droits de douane sur les panneaux solaires des « producteurs » d’Asie du Sud-Est qui ne font que revendre les panneaux produits en Chine.
Le département d’État semble également confus quant à sa propre politique anti-chinoise :
Le département d’État américain a de nouveau mis à jour sa fiche d’information sur Taïwan, pour rétablir une ligne indiquant qu’il ne soutient pas l’indépendance formelle de l’île revendiquée par la Chine et gouvernée démocratiquement.
On pourrait dire que le plan de Biden pour attirer la Russie dans une guerre en Ukraine a bien fonctionné. L’OTAN est au moins temporairement unie et l’UE est sous le strict contrôle des États-Unis. Mais l’attaque monétaire contre la Russie par le biais de sanctions s’est avérée être un échec total, le rouble atteignant de nouveaux sommets. Les effets des sanctions ont au contraire créé un nouveau choc d’offre ; du coup les prix du pétrole, des engrais et du blé s’envolent.
La Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale et met en garde contre la stagflation. Le prix moyen de l’essence aux États-Unis a atteint 5 dollars le gallon et risque d’augmenter encore. L’inflation générale a nettement augmenté, mais les causes sont mal identifiées. Et ce, alors que les marchés boursiers et immobiliers sont plus ou moins en chute libre.
La situation n’est pas du tout favorable aux Démocrates pour les prochaines élections de mi-mandat ou pour la réélection de Biden en 2024.
Le moral à la Maison-Blanche est au plus bas :
Le président Joe Biden et ses collaborateurs sont de plus en plus frustrés par leur incapacité à renverser la vapeur face à une cascade de défis qui menacent de submerger l’administration.
Une inflation mondiale galopante. La hausse des prix du carburant. L’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une Cour suprême prête à supprimer un droit constitutionnel. Une pandémie potentiellement résurgente. Un Congrès trop bloqué pour s’attaquer à une législation radicale sur la sécurité des armes à feu, même dans un contexte de fusillades de masse.
Crise après crise, la Maison Blanche s’est trouvée limitée ou impuissante dans ses efforts pour combattre les forces qui l’assaillent. Le moral au 1600 Pennsylvania Avenue est en chute libre, car on craint de plus en plus que les parallèles avec Jimmy Carter, un autre démocrate de premier mandat en proie à la flambée des prix et au marasme de la politique étrangère, ne deviennent réalité.
Biden peut encore sauver sa peau en remplaçant son secrétaire d’État et son conseiller à la sécurité nationale, qui ont l’esprit idéologique, par des réalistes compétents. La liste ci-dessus contient suffisamment de raisons pour le faire.
Il doit également mettre un terme à la guerre en Ukraine. Il pourrait dire à Zelensky de mettre fin à ces combats insensés et de se soumettre aux exigences de la Russie. Les sanctions contre la Russie pourraient alors être levées et une nouvelle hausse du prix du pétrole pourrait être évitée. (Comme la guerre a déjà quitté les premières pages, c’est probablement faisable).
Cependant, Biden n’a jamais montré la flexibilité d’esprit nécessaire pour décider l’un comme l’autre.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.