Par Andrew Korybko − Le 6 septembre 2019 − Source eurasiafuture.com
Le nouveau premier ministre de Papouasie Nouvelle Guinée (PNG) a récemment exposé sa vision visant à faire de son pays « la nation chrétienne noire la plus riche du monde », combinant une exploitation plus juste des matières premières par les sociétés transnationales et un focus renouvelé en matière agricole, mais la réussite de ses projets ambitieux dépendra fortement de sa capacité à « jouer l’équilibriste » entre l’Occident et la Chine, et à réaliser des progrès sans précédents dans le développement de l’arrière-pays, resté largement tribal.
Le nouveau premier ministre de Papouasie Nouvelle Guinée (PNG) n’a pris ses fonctions qu’il y a quelques mois, après qu’un très long scandale politique a amené à la démission de son prédécesseur, mais il fait déjà des vagues avec sa vision ambitieuse, voulant transformer le pays insulaire, riche en matières premières mais frappé de pauvreté, en « nation chrétienne noire la plus riche du monde ». James Marape a réalisé cette proclamation nationaliste à la Trump fin juillet, au cours de sa visite officielle en Australie, qui constituait son premier voyage à l’étranger depuis son investiture ; ce fut également l’occasion pour lui d’évoquer son projet d’un jour « contribuer avec l’Australie à s’occuper des petites nations insulaires ». Il compte parvenir à ces fins en combinant la conclusion d’accords plus justes en matière d’exploitation de ressources naturelles avec les sociétés transnationales, ainsi qu’en recentrant son attention sur le secteur agricole. Mais la réussite de cette vision dépendra fortement de sa capacité à « jouer les équilibristes » entre l’Occident et la Chine, et à réaliser des progrès jusqu’ici jamais rencontrés en matière de développement socio-économique de son arrière-pays, largement tribal.
Peter O’Neill, le prédécesseur de Marape, était considéré comme extrêmement proche de la Chine, malgré le fait qu’il ait balisé le terrain au « jeu d’équilibriste« de son successeur en acceptant que les USA et l’Australie opèrent conjointement une base navale sur l’île de Manus, au nord du pays. Le nouveau dirigeant de la PNG a souligné une position visiblement plus neutre, en affirmant récemment que son pays est « ami de tous, ennemi de personne » et que « chaque homme et femme d’affaire est bienvenu dans notre pays, et les investisseurs chinois n’y recevront aucune préférence ou traitement spéciaux, de même que les investisseurs australiens n’y recevront aucune préférence ou traitement spéciaux. » Il s’agit là d’une approche très pragmatique, tout à fait nécessaire pour honorer ses promesses audacieuses : il ne pourra pas délivrer de résultats sans coopérer de manière égale avec les deux « camps » de la Nouvelle Guerre Froide. L’Australie constitue un partenaire stratégique depuis longtemps, alors que la Chine n’est apparue dans le jeu de son pays que récemment, mais les investissements en provenance des deux pays sont essentiels à la réussite des projets de Marape.
Les ressources naturelles qui regorgent dans le sous-sol de la PNG ont constitué au fil des années plutôt une malédiction qu’une source de bienfaits, avec des gouvernements corrompus se révélant tous incapables de distribuer de manière équitable les milliards de dollars de retombées qui pleuvent sur ce relativement petit pays de huit millions d’habitants, mais Marape veut changer tout cela, et utiliser une partie de ces subsides pour lancer une révolution agricole, qui transformerait sa nation en « panier à provisions de l’Asie ». Mais pour y parvenir, il doit commencer par accomplir des progrès radicaux dans l’amélioration de la situation socio-économique de millions de gens vivant encore dans des sociétés tribales, où « la plupart des combats se font encore pour les femmes et les cochons ». Les guerres tribales ont pris de l’ampleur récemment, après un massacre terrible de femmes et d’enfants en juillet, dont les observateurs craignent qu’il ne puisse constituer un précédent qui plongerait le cœur montagneux du pays dans une nouvelle flambée de guerre tribale, de nature à éloigner le pays des avancées dont il a pourtant si désespérément besoin.
Si la situation et la sécurité se stabilisent, et que l’ordre étatique s’installe vers l’intérieur du pays de manière notable (jusqu’ici, les seuls avancées en la matière ont été la vente de terrains à des sociétés transnationales, et élire des représentants emblématiques au Parlement), l’une des premières tâches à accomplir sera la construction d’un récit national qui rassemblera les tribus disparates du pays, et c’est pour cela que Marape cite la race et la religion comme critères constituants. En parallèle de ceci, la PNG aura besoin de réaliser une transition transparente de ses habitants de leurs sociétés tribales vers l’économie de marché mondialisée, ce qui explique son insistance sur l’industrie traditionnelle agricole, plutôt que d’autres activités plus perturbantes culturellement, comme l’emploi dans des usines et la transition vers des centres urbains, par exemple. Mais les changements que Marape envisage pour son peuple restent de profonds changements de paradigmes, qui seront difficiles à mener si viennent à manquer les ressources, le sens des prévisions, ou la volonté politique.
C’est à ce stade que l’Occident (principalement l’Australie, dans ce cas) et la Chine ont leur aide à apporter. Les stratèges étasuniens sont en train de repenser la PNG comme zone de bataille géopolitique pivot de la Nouvelle Guerre Froide, d’où la volonté étasunienne d’y opérer conjointement une base navale avec l’Australie dans un avenir proche, mais le pays est également partenaire des nouvelles routes de la soie (Belt & Road Initiative – BRI), dont la figure de proue est la République Populaire. Si Marape réussit à « jouer les équilibristes » entre la stratégie « indo-pacifique » de l’Occident et la BRI chinoise, la PNG pourrait recueillir à la fois les bénéfices d’un marché amélioré en terme d’exportations agricoles pour son pays, et des investissements en infrastructures contribuant au développement socio-économique de l’intérieur du pays. S’il y parvient, il disposera des meilleures chances qui soient de transformer ce pays terriblement pauvre et « la nation chrétienne noire la plus riche du monde » ; reste qu’il faudra beaucoup de temps à Marape pour accomplir ce miracle.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone