La Palestine est mûre pour une médiation chinoise


Par M.K. Bhadrakumar – Le 10 juin 2023 – Source Indian Punchline

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a fait chou blanc à Riyad dans sa mission visant à amener l’Arabie saoudite à accorder une reconnaissance diplomatique à Israël et à ressusciter l’accord moribond d’Abraham. La position saoudienne est inébranlable : une solution à deux États pour le problème palestinien d’abord ; la normalisation avec Israël ne peut venir qu’après. 

Le ministre saoudien des affaires étrangères, le prince Faisal bin Farhan Al Saud, a déclaré lors de sa conférence de presse conjointe avec Biden, jeudi, que “sans trouver un chemin vers la paix pour le peuple palestinien, sans relever ce défi, toute normalisation n’aura que des avantages limités. C’est pourquoi je pense que nous devrions continuer à nous concentrer sur la recherche d’une solution à deux États, sur la recherche d’un moyen de donner aux Palestiniens dignité et justice. Je pense que les États-Unis sont du même avis et qu’il est important de poursuivre ces efforts.”

Blinken a ensuite appelé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour l’informer. Le communiqué du département d’État mentionne qu’ils ont “discuté de domaines d’intérêt mutuel, y compris l’expansion et l’approfondissement de l’intégration d’Israël au Moyen-Orient par le biais de la normalisation avec les pays de la région“.

Après la rebuffade saoudienne face aux États-Unis, Pékin a annoncé vendredi qu’à l’invitation du président chinois Xi Jinping, le président palestinien Mahmoud Abbas effectuerait une visite d’État en Chine du 13 au 16 juin. Le même jour, lors de la conférence de presse quotidienne, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Wang Wenbin, a parlé avec enthousiasme d’Abbas et des “relations amicales de haut niveau entre la Chine et la Palestine“. Wang a réitéré l’intention de Pékin de servir de médiateur entre la Palestine et Israël et a mentionné le rôle pratique du président Xi.

Selon Wang, “la question palestinienne est au cœur du problème du Moyen-Orient et a une incidence sur la paix et la stabilité de la région, ainsi que sur l’équité et la justice dans le monde. La Chine a toujours fermement soutenu la juste cause du peuple palestinien, qui consiste à restaurer ses droits nationaux légitimes. Pendant dix années consécutives, le président Xi Jinping a envoyé des messages de félicitations à la réunion commémorative spéciale organisée à l’occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien. À plusieurs reprises, il a présenté les propositions de la Chine pour résoudre la question palestinienne, soulignant la nécessité de faire progresser résolument un règlement politique fondé sur la solution des deux États et d’intensifier les efforts internationaux en faveur de la paix. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine continuera à travailler avec la communauté internationale pour trouver rapidement une solution globale, juste et durable à la question palestinienne“.

Dans le système politique chinois, le ministère des affaires étrangères invoque rarement le nom de Xi Jinping. À tout le moins, la visite d’Abbas en Chine et la diplomatie publique chinoise dans son ensemble suggèrent que Pékin a sondé Israël et d’autres parties prenantes importantes – l’Arabie saoudite, en particulier – et a constaté que les premiers signes sont encourageants.

L’accord d’Abraham devenant une chimère, Israël n’a nulle part où aller et plus rien à perdre alors qu’il apparaît que les États-Unis s’efforcent de consolider leur influence régionale.

Il ne fait aucun doute que le problème de la Palestine est au cœur de la crise du Moyen-Orient. Au cours des quatre dernières décennies, les États-Unis et Israël ont détourné l’attention en attisant la paranoïa au sujet de la menace que l’Iran chiite faisait peser sur les régimes arabes sunnites, mais avec la normalisation saoudo-iranienne, il semble que Washington et Tel-Aviv se soient pris les pieds dans le tapis.

Jeudi dernier, l’éminent journal russe Izvestia a rapporté que “la réconciliation entre Téhéran et Riyad bat son plein“. Il cite le commandant de la marine iranienne, le contre-amiral Shahram Irani, qui a révélé qu’un certain nombre de pays de la région, dont l’Iran et l’Arabie saoudite, allaient former une “nouvelle coalition maritime pour des actions dans les eaux septentrionales de l’océan Indien“.

Il est intéressant de noter que les Émirats arabes unis ont récemment décidé de se retirer de la coalition de sécurité maritime dirigée par les États-Unis au Moyen-Orient, expliquant que cette décision avait été prise “après une longue évaluation de l’efficacité de la coopération en matière de sécurité avec tous les partenaires“.

Téhéran propose désormais une coalition régionale. Selon le portail d’information qatari Al-Jadid, les forces navales des États du Golfe, dont l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Oman, formeront une coalition avec la Chine.

D’ailleurs, le prince Fayçal a souligné lors de la conférence de presse de jeudi avec Blinken que : “La Chine est un partenaire important pour le royaume et la plupart des pays de la région, et je pense que ce partenariat nous a apporté, ainsi qu’à la Chine, des avantages significatifs.  Et cette coopération est appelée à se développer, tout simplement parce que l’impact économique de la Chine dans la région et au-delà est susceptible de s’accroître à mesure que son économie continue de croître.”

Les experts moscovites estiment qu’une coalition régionale sera “une évolution positive, car la stabilisation de la situation sur ce territoire aura un impact approprié sur les régions voisines : L’Iran et l’Arabie saoudite ont finalement compris qu’ils avaient un intérêt commun… On peut parler d’une percée“. La plupart des experts et des analystes s’attendaient à ce que cela se produise à moyen terme.

Alexei Pushkov, éminent politicien du Kremlin, a écrit sur sa chaîne Telegram que toutes ces tendances sont “une démonstration de la nouvelle indépendance des pays du monde non occidental, qui développent des relations entre eux sans beaucoup d’égards pour les États-Unis“.

Mais la rhétorique mise à part, c’est au prince Fayçal, dans une remarque révélatrice faite lors de la conférence de presse, en présence de Blinken, qu’est revenu le soin de définir les profonds vents de changement qui balaient le Moyen-Orient :

“Je pense que nous sommes tous capables d’avoir des partenariats et des engagements multiples, et les États-Unis font de même dans de nombreux cas.  Je ne suis donc pas prisonnier de cette vision vraiment négative de la situation.  Je pense que nous pouvons – nous pouvons réellement construire un partenariat qui dépasse ces frontières.  Je crois avoir entendu des déclarations de la part des États-Unis sur leur désir de trouver des voies vers une meilleure coopération, même avec la Chine.  Je pense donc que nous ne pouvons qu’encourager cela, car nous voyons l’avenir dans la coopération, nous voyons l’avenir dans la collaboration, et cela signifie entre tout le monde”.

C’est également à ce stade que la victoire de Recep Erdogan aux élections turques devient un point de basculement, car elle a un effet multiplicateur sur les aspirations régionales à une nouvelle aube qui ont été décrites avec éloquence par le prince Fayçal. En effet, la médiation sur le rapprochement saoudo-iranien donne de la crédibilité à l’initiative de Pékin sur la question palestinienne. La Russie soutient sans réserve cette initiative. (Moscou négocie également l’adhésion de l’Arabie saoudite aux BRICS en vue d’une décision rapide).

Cela dit, la question palestinienne s’est avérée insoluble jusqu’à présent. Mais le nœud du problème est que Washington a manqué de dévouement et de sincérité dans ses objectifs et que la politique intérieure américaine a fait des ravages. Les États-Unis disposaient de tous les avantages, mais ils ont envisagé tout règlement palestinien principalement à travers le prisme géopolitique, dans le but de préserver leur hégémonie régionale, de contrôler le marché du pétrole, de punir l’Iran et d’utiliser le spectre de l’Iran pour promouvoir les ventes d’armes, d’exclure la Russie de la région et, surtout, d’assujettir les États de la région au phénomène du pétrodollar, qui soutient le statut du dollar en tant que monnaie de réserve.

La Chine fait table rase du passé. La Chine entretient d’excellentes relations avec Israël. De toute évidence, Israël rumine un avenir sombre. L’ancienne arrogance s’est évanouie. Netanyahou semble fatigué et vieux. En revanche, du haut de son prestige régional actuel, la Chine est bien placée pour offrir à Israël une nouvelle voie créative soutenue par tous les États de la région, que même les acteurs non étatiques de ce que l’on appelle “l’axe de la résistance” n’oseront pas ébranler.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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