La nouvelle guerre contre le terrorisme domestique est en marche


Par Glenn Greenwald − Le 19 Janvier 2021 − Source greenwald.substack.com

Des soldats de la Garde nationale descendent les escaliers en direction du Centre des visiteurs du Capitole, le lundi 18 janvier 2021 à Washington, DC. (Kent Nishimura / Los Angeles Times via Getty Images)

Les deux dernières semaines ont marqué le début d’une vague de nouveaux pouvoirs accordés à la police et d’une rhétorique sur le sujet de la lutte contre le “terrorisme” qui sont des copies conformes des pires excès de la première guerre contre la terreur, celle qui a débuté il y a près de vingt ans. Cette tendance ne montre aucun signe de recul à mesure, même si l’émeute du 6 janvier au Capitole est déjà un vieux souvenir. Au contraire, elle s’intensifie.

Nous avons assisté à une orgie de censure de la part des monopoles de la Silicon Valley, avec des appels à un contrôle beaucoup plus agressif de la liberté d’expression, un Washington D.C. visiblement militarisé, qu’ils ont nommé “zone verte” sans remarquer l’ironie, les vœux du futur président et de ses principaux alliés en faveur d’un nouveau projet de loi contre le terrorisme domestique, et de fréquentes accusations de “sédition”, de “trahison” et de “terrorisme” contre des membres du Congrès et des citoyens. Tout cela est motivé par une expansion radicale de ce que peut signifier l’“incitation à la violence”. Elles s’accompagnent d’appels viraux sur les médias sociaux à collaborer avec le FBI pour dénoncer ses concitoyens (see something say something. Vous voyez quelque chose, Faites-en un rapport !) et de demandes de mise en place d’un nouveau système de surveillance nationale.

Tout cela est sous-tendu par des insinuations sans procès selon lesquelles toute personne qui remet en question tout cela doit, en vertu de ses simples doutes, éprouver de la sympathie pour les terroristes et leur idéologie néo-nazie et suprématiste blanche. Les libéraux ont passé tellement d’années dans une alliance étroite avec les néocons et la CIA qu’ils font ressembler la version 2002 de John Ashcroft à un président de l’ACLU (de l’ancienne école).

See something say something, Vous voyez quelque chose, Faites-en un rapport

Le site Web du ministère américain à la sécurité intérieure, reprend une phrase de la marque déposée dont la ville de New York lui a concédé la licence en 2010 et qui invite les citoyens à signaler toute “activité suspecte” au FBI ou à toute agence de sécurité nationale.

Les partisans les plus honnêtes de cette nouvelle guerre contre le terrorisme domestique admettent explicitement qu’ils veulent la modeler sur la stratégie de la première. Un journaliste du New York Times a noté lundi qu’un “ancien responsable des services de renseignement a déclaré à l’émission NewsHour sur PBS” que “les États-Unis devraient réfléchir à l’établissement d’une “commission du 11 septembre” sur l’extrémisme domestique et envisager d’appliquer certaines des leçons de la lutte contre Al-Qaïda ici, chez nous”. Plus étonnant encore, le général Stanley McChrystal – qui a dirigé pendant des années le commandement des opérations spéciales conjointes en Irak et la guerre en Afghanistan – a explicitement comparé cette guerre à la nouvelle, lors d’un entretien avec Yahoo News :

J’ai observé une dynamique similaire dans l’évolution d’Al-Qaïda en Irak, où toute une génération de jeunes Arabes en colère, aux perspectives très limitées, a suivi un leader puissant qui promettait de les ramener vers le monde meilleur d’avant, et qui les a amenés à adopter une idéologie justifiant leur violence. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Amérique…. Je pense que nous sommes beaucoup plus avancés pour gérer ce processus de radicalisation, et que nous sommes confrontés, en tant que pays, à un problème beaucoup plus profond que la plupart des Américains ne le réalisent.

Quiconque, malgré tout cela, a encore des doutes sur le fait que l’émeute du Capitole est et restera un 11 septembre néolibéral, et qu’une nouvelle guerre contre le terrorisme est mise en œuvre en son nom, n’a qu’à regarder les deux courts clips vidéo ci-dessous, qui dissiperont définitivement leurs doutes. C’est comme être catapulté par une machine à remonter le temps jusqu’au laboratoire de propagande de Paul Wolfowitz, en 2002.

La première vidéo, signalée par Tom Elliott, est tirée de l’émission Morning Joe de lundi matin, sur MSNBC (l’émission qui a sans doute fait plus que toute autre pour aider Donald Trump à devenir le candidat du GOP). On y voit Jeremy Bash – l’un des innombrables employés des réseaux d’information télévisés qui a travaillé auparavant à la CIA et au Pentagone, sous Obama – demander que, en réponse à l’émeute du Capitole, “nous réinitialisions toute notre approche du renseignement”, y compris “l’examen d’une plus grande surveillance de ces gens là”, ajoutant que “le FBI va devoir se mettre au travail pour faire face à la situation” : “le FBI va devoir gérer des sources confidentielles”. Voyez si vous détectez des différences entre ce que disaient les agents de la CIA et les néoconservateurs en 2002 lorsqu’ils réclamaient le Patriot Act et une surveillance accrue du FBI et de la NSA, et ce que dit ici ce fonctionnaire de la CIA devenu analyste de NBC-News :

La deuxième vidéo présente l’étonnante déclaration de l’ancien responsable de la sécurité de Facebook, Alex Stamos, s’adressant au très inquiet animateur de CNN, Brian Stelter, sur la nécessité pour les entreprises de médias sociaux d’utiliser contre les citoyens américains les mêmes tactiques que celles qu’elles ont utilisées pour supprimer ISIS d’Internet – “en collaboration avec les forces de l’ordre” – et que ces tactiques devraient viser directement ce qu’il appelle les “influenceurs conservateurs” extrémistes.

“Les libertés de la presse sont malmenées par ces acteurs”, a proclamé l’ancien dirigeant de Facebook. Stamos a noté combien lui et ses camarades ont été généreux jusqu’à présent : “Nous avons donné beaucoup de marge de manœuvre – tant dans les médias traditionnels que dans les médias sociaux – à des personnes ayant un très large éventail d’opinions.” Mais plus maintenant. Il est maintenant temps de “nous ramener tous dans la même réalité consensuelle”.

Dans un moment de candeur involontaire, Stamos a noté le vrai problème : “il y a des gens sur YouTube, par exemple, qui ont une plus grande audience que CNN en journée” – et il est temps pour CNN et les autres médias grand public de s’emparer du monopole de la diffusion de l’information auquel ils ont divinement droit en retirant des plateformes ceux que les gens veulent réellement regarder et écouter :


(Si vous n’êtes toujours pas convaincu, et si vous pouvez le supporter, vous pouvez également regarder Joe Scarborough et Mika Brzezinski de MSNBC hurler littéralement qu’un des remèdes nécessaires à l’émeute du Capitole est que l’administration Biden doit faire “fermer” Facebook.).

Les appels à une poursuite de la guerre contre le terrorisme – une version nationale avec surveillance et censure – ne se limitent pas aux animateurs du câble en mal d’audience et aux goules de l’État sécuritaire. Le Wall Street Journal rapporte que “M. Biden a dit qu’il prévoyait de faire de l’adoption d’une loi contre le terrorisme domestique une priorité, et on l’a exhorté à créer un poste à la Maison Blanche pour superviser la lutte contre les extrémistes violents d’inspiration idéologique et augmenter le financement pour les combattre.”

Pendant ce temps, le député Adam Schiff (D-CA) – non seulement l’un des membres les plus malhonnêtes du Congrès, mais aussi l’un des plus militaristes et autoritaires – propose, depuis 2019, un projet de loi visant à modifier simplement le projet de loi contre le terrorisme étranger existant pour permettre au gouvernement américain d’invoquer exactement les mêmes pouvoirs chez lui contre les “terroristes domestiques.”

Pourquoi de telles nouvelles lois sur le terrorisme seraient-elles nécessaires dans un pays qui emprisonne déjà un plus grand nombre de ses citoyens que n’importe quel autre pays du monde en raison d’un ensemble de lois pénales très agressives ? Quels actes devraient être criminalisés par les nouvelles lois sur le “terrorisme domestique” qui ne sont pas déjà considérés comme criminels ? Ils ne le disent jamais, presque certainement parce que – tout comme pour la première série de nouvelles lois sur la guerre contre le terrorisme – leur objectif réel est de criminaliser ce qui ne devrait pas l’être : la parole, l’association, les protestations, l’opposition à la nouvelle coalition au pouvoir.

La réponse à cette question – que faut-il criminaliser qui ne l’est pas déjà ? – ne semble guère avoir d’importance. Les élites médiatiques et politiques ont placé autant d’Américains qu’elles le peuvent – et ils sont nombreux – en mode de peur et de panique totale, et lorsque cela se produit, les gens sont prêts à acquiescer à tout ce qui est prétendument nécessaire pour arrêter cette menace, comme l’a prouvé de manière décisive la première guerre contre le terrorisme, qui se poursuit toujours vingt ans plus tard.

Un livre entier pourrait – et devrait probablement – être écrit sur les raisons pour lesquelles tout ceci est si inquiétant. Pour l’instant, il est essentiel de souligner deux points.

Premièrement, une grande partie de l’alarmisme est motivée par une distorsion délibérée de ce que signifie un discours “incitant à la violence”.

L’abâtardissement de cette expression a servi de base à la mise en accusation précipitée du président Trump la semaine dernière. C’est également ce qui motive les appels à l’expulsion de dizaines de membres du Congrès et même leur poursuite judiciaire pour “sédition”, pour s’être opposés à la certification du collège électoral, et c’est aussi ce qui est au cœur de la vague d’actions de censure déjà entreprises et de nouvelles mesures répressives préconisées.

Cette phrase – “incitation à la violence” – est également à l’origine de bon nombre des pires abus de la guerre contre le terrorisme. J’ai passé des années à rapporter comment de nombreux jeunes musulmans américains ont été poursuivis en vertu de nouvelles lois antiterroristes draconiennes pour avoir téléchargé des vidéos YouTube contre la politique étrangère des États-Unis ou pour avoir prononcé des discours anti-américains enthousiastes considérés comme une “incitation à la violence” et donc comme un “soutien matériel” aux groupes terroristes – ce qui est exactement ce que le représentant Schiff cherche à faire dans la nouvelle guerre contre le terrorisme domestique.

Il est essentiel de se demander ce que signifie un discours qui constitue une “incitation à la violence” au point de pouvoir être interdit ou criminalisé. L’expression de tout point de vue politique, surtout s’il est exprimé avec passion, peut potentiellement “inciter” quelqu’un d’autre à s’énerver au point de se livrer à la violence.

Si vous vous insurgez contre les menaces que les monopoles de la Silicon Valley font peser sur la liberté d’expression, quelqu’un qui vous écoute peut-être tellement rempli de rage qu’il décide de faire exploser un entrepôt Amazon ou un bureau Facebook. Si vous écrivez un article brûlant accusant les militants pro-vie de mettre en danger la vie des femmes en les forçant à avorter dans des ruelles peu sûres, ou si vous affirmez que l’avortement est un meurtre, vous pouvez très bien inspirer quelqu’un à s’engager dans la violence contre un groupe pro-vie ou une clinique d’avortement. Si vous lancez un mouvement de protestation pour dénoncer l’injustice des renflouements de Wall Street – que vous l’appeliez “Occupy Wall Street” ou le Tea Party – vous pouvez inciter quelqu’un à aller traquer les dirigeants de Goldman Sachs ou de Citibank qui, selon eux, détruisent l’avenir économique de millions de personnes.

Si vous affirmez que George W. Bush a volé les élections de 2000 et/ou 2004 – comme l’ont fait de nombreux Démocrates, y compris des membres du Congrès – vous pouvez inspirer des troubles civiques ou des violences contre Bush et ses partisans. Il en va de même si vous affirmez que les élections de 2016 ou 2020 étaient frauduleuses ou illégitimes. Si vous vous insurgez contre la brutalité raciste de la police, les gens peuvent aller brûler des bâtiments en signe de protestation – ou assassiner des policiers choisis au hasard, dont ils sont devenus convaincus qu’ils sont les agents d’un État raciste génocidaire.

Le bénévole de la campagne de Bernie Sanders et partisan démocrate pur et dur, James Hodgkinson, qui s’est rendu sur un terrain de softball en juin 2017 pour assassiner des membres républicains du Congrès – et a presque réussi à abattre mortellement le représentant Steve Scalise (R-LA) – avait passé des mois à écouter des partisans radicaux de Sanders et à participer à des groupes Facebook portant des noms comme “En finir avec le Parti républicain” et “Trump est un traître”.

Hodgkinson avait entendu à maintes reprises que les Républicains n’étaient pas seulement malavisés, mais qu’ils étaient des “traîtres” et de graves menaces pour la République. Comme le rapporte CNN, “ses émissions de télévision préférées sont ‘Real Time with Bill Maher’, ‘The Rachel Maddow Show’, ‘Democracy Now’ et d’autres programmes de gauche”. Toute la rhétorique politique à laquelle il a été exposé – des groupes Facebook pro-Sanders, de MSNBC et des émissions de gauche – a sans aucun doute joué un rôle majeur dans le déclenchement de son agression violente et de sa décision d’assassiner des membres républicains du Congrès pro-Trump.

Malgré le potentiel de toutes ces opinions à motiver d’autres personnes à commettre des violences en leur nom – potentiel qui s’est parfois réalisé – aucune des personnes exprimant ces opinions, quelle que soit leur passion, ne peut être valablement qualifiée d’“incitation à la violence”, que ce soit sur le plan juridique ou éthique. En effet, tous ces discours sont des discours protégés et légitimes. Aucun de ces discours ne prône la violence. Aucun n’incite les autres à commettre des actes de violence en son nom. Le fait qu’il puisse “inspirer” ou “motiver” une personne souffrant de troubles mentaux ou un véritable fanatique à commettre des actes de violence ne rend pas la personne épousant ces opinions et s’engageant dans ce discours non violent coupable d’“incitation à la violence” dans quelque sens que ce soit.

Pour illustrer ce point, j’ai souvent cité l’arrêt crucial et brillamment motivé de la Cour suprême sur la liberté d’expression dans l’affaire Claiborne c. NAACP. Dans les années 1960 et 1970, l’État du Mississippi a tenté de tenir pour responsables les dirigeants locaux de la NAACP au motif que leurs discours enflammés appelant au boycott des magasins appartenant à des Blancs avaient “incité” leurs partisans à incendier les magasins et à attaquer violemment les clients qui ne respectaient pas la manifestation. L’argument de l’État était que les dirigeants de la NAACP savaient qu’ils jetaient métaphoriquement de l’huile sur le feu avec leur rhétorique incendiaire destinée à soulever des foules en colère.

Mais la Cour suprême a rejeté cet argument, expliquant que la liberté d’expression mourra si les gens sont tenus responsables non pas de leurs propres actes violents, mais de ceux commis par d’autres qui les ont entendus parler et ont été motivés à commettre des crimes au nom de cette cause (c’est nous qui soulignons) :

La responsabilité civile ne peut être imposée simplement parce qu'un individu a appartenu à un groupe dont certains membres ont commis des actes de violence. ...

Toute théorie de ce type échoue pour la simple raison qu'il n'existe aucune preuve - hormis les discours eux-mêmes - que [le dirigeant de la NAACP poursuivi par l'État] a autorisé, ratifié ou directement menacé de commettre des actes de violence. ... Imposer une responsabilité sans conclure que la NAACP a autorisé - soit réellement, soit apparemment - ou ratifié un comportement illégal, ce serait porter une atteinte inadmissible aux droits d'association politique qui sont protégés par le Premier amendement. ...

Si l'État peut légitimement imposer des dommages et intérêts pour les conséquences d'une conduite violente, il ne peut pas accorder de compensation pour les conséquences d'une activité non violente et protégée. Seules les pertes causées de façon immédiate par un comportement illégal peuvent être récupérées.

Le Premier amendement restreint de la même manière la capacité de l'État à imposer une responsabilité à un individu uniquement en raison de son association avec un autre.

Le tribunal de Claiborne s’est appuyé sur l’arrêt emblématique du Premier amendement dans l’affaire Brandenburg v. Ohio, qui a annulé la condamnation pénale d’un dirigeant du KKK qui avait publiquement préconisé la possibilité de recourir à la violence contre des hommes politiques. Même le fait de préconiser explicitement la nécessité ou le caractère justifiable de la violence à des fins politiques est un discours protégé, a déclaré la Cour. Elle a établi une exception très étroite : “lorsqu’un tel plaidoyer vise à inciter ou à produire une action illégale imminente et est susceptible d’inciter ou de produire une telle action” – ce qui signifie que quelqu’un incite explicitement une foule déjà rassemblée à la violence spécifique en s’attendant à ce qu’elle le fasse plus ou moins immédiatement (par exemple en se tenant devant la maison de quelqu’un et en disant à la foule rassemblée : il est temps de la brûler).

Il va sans dire que la jurisprudence du Premier amendement sur l’“incitation” régit ce qu’un État peut faire lorsqu’il punit ou restreint un discours, pas ce qu’un membre du Congrès peut faire lorsqu’il met en accusation un président ou expulse ses propres membres, et certainement pas les entreprises de médias sociaux qui cherchent à bannir des personnes de leurs plateformes.

Mais cela ne rend pas ces principes sur la façon de comprendre l’“incitation à la violence” non pertinents lorsqu’ils sont appliqués à d’autres contextes. En effet, le raisonnement central de ces affaires est vital à préserver partout : si un discours est classé comme “incitation à la violence” bien qu’il ne préconise pas explicitement la violence, il englobera tout discours politique que ceux qui manient ce terme souhaitent qu’il englobe. Aucun discours politique ne sera à l’abri de ce terme s’il est interprété et appliqué de manière aussi large et imprudente.

Et cela est directement lié au deuxième point. Continuer à traiter les débats de ce type principalement à travers le prisme “Démocrate contre Républicain” ou même “Gauche contre Droite” est un billet sûr pour la destruction des droits fondamentaux. Il y a des moments où les pouvoirs de répression et de censure sont plus dirigés vers la gauche et des moments où ils sont plus dirigés vers la droite, mais ce n’est pas une tactique intrinsèquement de gauche ou de droite. C’est une tactique de la classe dirigeante, et elle sera déployée contre toute personne perçue comme un dissident aux intérêts et aux orthodoxies de la classe dirigeante, quelle que soit sa position sur le spectre idéologique.

Ces derniers mois, la censure de la Silicon Valley exigée par les politiciens et les journalistes a visé la droite, mais avant cela et simultanément, elle a souvent visé ceux qui étaient perçus comme étant à gauche. Le gouvernement a fréquemment déclaré “terroristes” des groupes nationaux de droite, alors que dans les années 1960 et 1970, c’étaient des groupes de gauche voués à l’activisme anti-guerre qui portaient cette désignation. En 2011, la police britannique a désigné la version londonienne d’Occupy Wall Street comme un groupe “terroriste”. Dans les années 1980, le Congrès national africain a été désigné ainsi. “Terrorisme” est un terme amorphe qui a été créé, et qui sera toujours utilisé, pour mettre hors la loi une formidable dissidence, quelle que soit sa source ou son idéologie.

Si vous vous identifiez comme un conservateur et continuez à croire que vos principaux ennemis sont des gauchistes ordinaires, ou si vous vous identifiez comme un gauchiste et croyez que vos principaux ennemis sont des citoyens républicains, vous tomberez totalement dans le piège qui vous est tendu. À savoir, vous ignorerez vos véritables ennemis, ceux qui exercent réellement le pouvoir à vos dépens : les élites de la classe dirigeante, qui ne se soucient pas vraiment de “droite ni de gauche” et certainement pas des “Républicains ou des Démocrates” – comme le prouve le fait qu’elles financent les deux partis – mais ne se soucient que d’une chose : la stabilité, ou la préservation de l’ordre néolibéral dominant.

Contrairement à tant de citoyens ordinaires accros aux guerres partisanes insignifiantes, ces élites de la classe dirigeante savent qui sont leurs véritables ennemis : tous ceux qui sortent des limites et des règles du jeu qu’ils ont élaboré et qui cherchent à perturber le système qui préserve leurs prérogatives et leur statut. Celui qui l’a le mieux exprimé est probablement Barack Obama, lorsqu’il était président, lorsqu’il a observé – à juste titre – que la guerre perçue entre les élites Démocrates et Républicaines de l’establishment était essentiellement du théâtre, et que sur la question de ce qu’elles croient réellement, elles “se battent toutes les deux à l’intérieur de la ligne des 40 yards” :

Un banquier de Goldman Sachs ou un cadre de la Silicon Valley a bien plus en commun, et est bien plus à l’aise, avec Chuck Schumer, Nancy Pelosi, Mitch McConnell, Mitt Romney et Paul Ryan qu’avec le citoyen américain ordinaire. Sauf lorsqu’il s’agit d’une présence légèrement perturbatrice – comme Trump – ils ne se soucient guère de savoir si ce sont les Démocrates ou les Républicains qui dirigent les divers organes du gouvernement, ou si des personnes qui se disent “libérales” ou “conservatrices” accèdent au pouvoir. Certains membres de gauche du Congrès, notamment les représentantes Alexandria Ocasio-Cortez (D-NY) et Ilhan Omar (D-MN), ont déclaré qu’elles s’opposaient à une nouvelle loi sur le terrorisme domestique, mais les Démocrates n’auront aucun mal à former une majorité en s’associant à leurs alliés néocons du GOP comme Liz Cheney pour y parvenir, comme ils l’ont fait plus tôt dans l’année pour empêcher le retrait des troupes d’Afghanistan et d’Allemagne.

Le néolibéralisme et l’impérialisme n’ont que faire des pseudo-combats entre les deux partis ou des chamailleries du jour sur les chaînes câblées. Ils n’aiment ni l’extrême gauche ni l’extrême droite. Ils n’aiment pas l’extrémisme, quel qu’il soit. Ils ne soutiennent ni le communisme, ni le néo-nazisme, ni une quelconque révolution fasciste. Ils ne se soucient que d’une seule chose : avilir et écraser toute personne qui s’oppose et menace leur hégémonie. Ce qui les intéresse, c’est d’arrêter les dissidents. Toutes les armes qu’ils construisent et les institutions qu’ils assemblent – le FBI, le DOJ, la CIA, la NSA, le pouvoir oligarchique – existent dans ce seul et unique but, celui de fortifier leur pouvoir en récompensant ceux qui collaborent à leurs affaires et en écrasant ceux qui ne le font pas.

Note du Saker Francophone

Le néolibéralisme et l'impérialisme aiment l'extrémisme, réel ou imaginaire, lorsqu'il sert leurs objectifs - comme nous l'avons vu au cours des derniers mois aux États-Unis lorsque les émeutes et les saccages gauchistes ont eu lieu et que beaucoup ont cherché à forcer Trump à agir afin de le diaboliser davantage pour l’avoir fait.

Quelle que soit votre opinion sur la menace que représente le radicalisme islamique international, d’énormes excès ont été commis au nom de la lutte contre lui – ou, plus exactement, les peurs qu’il a générées ont été exploitées pour donner du pouvoir aux élites financières et politiques existantes et les enraciner. L’autorisation de recourir à la force militaire – responsable de plus de vingt ans de guerre – a été approuvée par la Chambre des représentants trois jours après les attentats du 11 septembre 2001, avec une seule voix contre. Le Patriot Act – qui a radicalement élargi les pouvoirs de surveillance du gouvernement – a été promulgué six semaines à peine après l’attaque, sur la base de la promesse qu’il serait temporaire et qu’il disparaîtrait dans les quatre ans. Comme les guerres engendrées par le 11 septembre, il est toujours en vigueur, ne fait pratiquement plus l’objet d’un débat et a été étendu, comme on pouvait s’y attendre, bien au-delà de ce qui était prévu à l’origine.

Note du Saker Francophone

Et en parlant du Patriot Act, regardez les nombreuses occasions où Joe Biden s'est attribué le mérite d'avoir rédigé le draconien Patriot Act.

La première guerre contre le terrorisme a fini par être menée principalement sur le sol étranger, mais elle a été de plus en plus importée sur le sol national contre les Américains. Cette nouvelle guerre contre le terrorisme, qui porte dès le départ le nom de guerre domestique et dont l’objectif explicite est de combattre les “extrémistes” et les “terroristes domestiques” parmi les citoyens américains sur le sol américain, présente toute une série de dangers historiquement connus lorsque les gouvernements, exploitant la peur et les dangers générés par les médias, s’arment du pouvoir de contrôler l’information, le débat, l’opinion, l’activisme et les protestations.

L’avènement d’une nouvelle guerre contre le terrorisme n’est pas sujet à discussion et ne fait aucun doute. Ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir le disent explicitement. La seule chose dont on peut discuter c’est de l’ampleur de l’opposition qu’elle rencontrera de la part de ceux qui accordent plus de valeur aux droits civiques fondamentaux qu’à la peur de l’autre qu’ils cultivent délibérément en nous.

Glenn Greenwald

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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