La guerre selon le Hamas


Par Chris Hedges − Le 12 novembre 2023

Basel al-Araj, un chef de la résistance palestinienne, peu avant l’invasion israélienne de Gaza en 2014, a établi les règles fondamentales de la guerre contre Israël.

Les règles d’al-Araj, qui n’est pas un membre du Hamas, fournissent le point de vue palestinien sur l’incursion des forces israéliennes dans la bande de Gaza. Si la puissance de feu supérieure d’Israël – son aviation, ses missiles, ses chars, ses véhicules blindés de transport de troupes, ses drones, ses forces navales, ses unités mécanisées et son artillerie – permet d’infliger un nombre considérable de victimes palestiniennes, pour la plupart des civils, si Israël peut raser des quartiers entiers et transformer des hôpitaux, des écoles, des centrales électriques, des stations d’épuration, des boulangeries, des mosquées et des églises en amas de béton, cela ne se traduit pas par une défaite des groupes de la résistance palestinienne.

Al-Araj a affirmé que la lutte contre Israël ne peut être mesurée par le nombre de victimes. Les Israéliens seront en mesure de tuer un nombre bien plus important de Palestiniens. Les mouvements de résistance, a-t-il écrit, subissent toujours des pertes disproportionnées. Lors de la guerre d’indépendance en Algérie, entre 1954 et 1962, plus de 1,5 million d’Algériens – soit environ 10 % de la population – ont été tués par les Français.  À l’aéroport d’Alger, la capitale du pays, un immense panneau indique : “Bienvenue en Algérie. Terre d’un million de martyrs“.

Nous sommes bien plus à même de supporter les coûts, il n’y a donc pas lieu de comparer ou de s’alarmer de l’ampleur des chiffres“, écrit-il.

Al-Araj, qui a mené des grèves de la faim dans les prisons de l’Autorité palestinienne, est depuis longtemps une cible pour Israël. L’unité israélienne de lutte contre le terrorisme, Yamam, l’a poursuivi pendant des mois avant de faire une descente à son domicile le 6 mars 2017 à el-Bireh. Après une fusillade de deux heures, les forces israéliennes, qui ont tiré des roquettes sur le bâtiment, ont fait irruption à l’intérieur et l’ont exécuté à bout portant. Il avait 31 ans.

La lutte contre Israël, a rappelé al-Araj aux Palestiniens, doit “suivre la logique de la guérilla ou de la guerre hybride, dont les Arabes et les musulmans sont devenus maîtres grâce à nos expériences en Afghanistan, en Irak, au Liban et à Gaza.” Ne jamais défendre “les points fixes et les frontières“. Attirer l’ennemi dans une embuscade, par une résistance légère et des retraits tactiques. Frapper les flancs et l’arrière. Le calcul de la guerre asymétrique est très différent de celui de la guerre conventionnelle. Et ce qu’Israël définit comme un succès, y compris la prise de territoire, de nombreux morts et la destruction d’infrastructures et de bâtiments, importe peu au combattant de la résistance. L’objectif des combattants palestiniens est de rester insaisissables, d’effectuer des frappes éclairs et de se retirer dans les décombres ou dans le vaste réseau de tunnels sous Gaza.

Les Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, affirment avoir partiellement détruit plus de 160 cibles militaires israéliennes à Gaza, dont plus de 27 chars et véhicules au cours des deux derniers jours. Le 11 novembre, les Brigades Al-Qassam disent avoir attiré des soldats israéliens vers une voiture en feu en Cisjordanie et avoir fait exploser leurs véhicules à l’aide d’un engin explosif improvisé. Le 10 novembre, les brigades Al-Qassam, Saraya Al-Quds et les brigades des martyrs d’Al-Aqsa ont déclaré avoir permis aux Israéliens d’avancer sans rencontrer d’opposition significative pendant la journée. Dans la soirée, elles ont tendu une embuscade aux forces israéliennes à l’ouest de Tal al-Hawa, dans les zones situées autour de l’hôpital Al-Shifa, à l’ouest du camp de réfugiés d’Al-Shati et à l’ouest de Beit Lahia, dans la partie nord de la bande de Gaza. Selon les combattants palestiniens, Israël a déclenché un bombardement intensif pour tenter de sauver ses soldats. Israël aurait subi un grand nombre de pertes. Le 9 novembre, les Brigades Al-Qassam ont déclaré avoir tendu une embuscade à des soldats israéliens à Juhr al-Dik, les visant avec une roquette antipersonnel. Les soldats israéliens ont été tués, selon elles, à “bout portant“. Le 6 novembre, les Brigades Al-Qassam disent avoir détruit cinq chars israéliens avec des roquettes Yassin 105 dans le nord-ouest de la ville de Gaza. Le 2 novembre, les Brigades Al-Qassam ont affirmé avoir détruit six chars et deux véhicules militaires en une heure au nord-ouest de la ville de Gaza.  “Le nombre de victimes est nettement plus élevé que ce que les dirigeants de l’ennemi ont annoncé“, a déclaré Abu Obeida, porte-parole des Brigades Al-Qassam.

Israël a interdit à la presse étrangère d’effectuer des reportages dans la bande de Gaza. Il a tué plus de 40 journalistes et professionnels des médias palestiniens. Il a également mis en place des blocages prolongés de l’internet et des services de téléphonie mobile. Il ne fait aucun doute que cette censure sévère vise à limiter les images horribles des victimes civiles. Mais je soupçonne qu’elle vise également à bloquer les images d’une offensive terrestre plus dure, plus longue et plus coûteuse qu’Israël n’avait prévu.

Israël investit des ressources considérables dans sa campagne de propagande, en faisant en sorte que des chaînes telles que CNN répètent ses arguments. Jake Tapper devrait être porte-parole honoraire des Forces de défense israéliennes (FDI).

Al-Araj a mis en garde contre la tentative d’Israël de démoraliser les combattants en publiant des photos et des vidéos d’Israéliens occupant des points de repère et des espaces publics.

Une vidéo partagée sur les médias sociaux montre le lever du drapeau israélien sur une plage de Gaza. Un groupe de soldats entoure le drapeau et chante l’hymne national israélien.

En octobre de l’année dernière, des colons juifs ont occupé la mosquée Ibrahimi dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, où un colon juif, Barach Goldstein, avait abattu 29 Palestiniens en 1994 alors qu’ils priaient. Les colons ont organisé un festival de musique et une soirée dansante dans la mosquée. Ils ont suspendu un drapeau israélien au toit. Des vidéos dénigrant et ridiculisant les Palestiniens ont circulé.

Al-Araj a écrit que la propagande israélienne est conçue pour semer la panique, diaboliser les Palestiniens et répandre le défaitisme.

Nous sommes en train de reproduire la Nakba à Gaza“, a déclaré Avi Dichter, membre du cabinet de sécurité israélien et ministre de l’agriculture, en référence au nettoyage ethnique des Palestiniens de leurs terres en 1948, facilité par des massacres, le viol de femmes et de jeunes filles palestiniennes et la destruction de villages entiers par les milices sionistes.  “D’un point de vue opérationnel, il n’y a aucun moyen de mener une guerre – comme l’IDF cherche à le faire à Gaza – avec des masses entre les chars et les soldats“. “Gaza Nakba 2023. C’est ainsi que cela se terminera“, a-t-il conclu.

Israël assimile les Palestiniens aux nazis. Naftali Bennett, ancien Premier ministre israélien, a déclaré lors d’une interview sur Sky News le 12 octobre : “Nous combattons les nazis“. Lors d’une conférence de presse avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifié le Hamas de “néo-nazis“.

L’armée israélienne a publié un tweet dans lequel on pouvait lire : “Plus jamais, c’est MAINTENANT. Les forces de l’IDF ont découvert un exemplaire du célèbre livre d’Hitler “Mein Kampf” – traduit en arabe – dans une chambre d’enfant utilisée comme base terroriste du Hamas à Gaza. Le livre a été découvert parmi les effets personnels de l’un des terroristes, avec des annotations et des surlignements. Le Hamas adhère à l’idéologie d’Hitler, responsable de l’anéantissement du peuple juif“.

Le message est clair. Les Palestiniens incarnent le mal absolu.

Israël diffuse des images montrant des Palestiniens et des prisonniers palestiniens dénigrés et maltraités par des Israéliens. Dans le même temps, Israël se présente comme un pays compatissant.

Une vidéo intitulée “Des soldats de l’armée israélienne donnent de l’eau à des civils de Gaza après le refus du Hamas” a récemment circulé. Cette vidéo, manifestement mise en scène, m’a rappelé les images du commandant serbe bosniaque, le général Ratko Mladic, qui distribuait des bonbons aux enfants de Srebrenica en 1995 avant de superviser l’exécution de 8 000 hommes et garçons.

L’ennemi mènera des opérations tactiques et qualitatives pour assassiner certains symboles [de la résistance], et tout cela fait partie de la guerre psychologique“, a écrit M. al-Araj. “Ceux qui sont morts et ceux qui mourront n’affecteront jamais le système et la cohésion de la résistance, car la structure et les formations de la résistance ne sont pas centralisées, mais horizontales et répandues. Leur objectif est d’influencer la base de soutien de la résistance et les familles des résistants, car elles sont les seules à pouvoir affecter les hommes de la résistance.

Dans toutes les guerres, l’information est utilisée comme une arme. Mais s’appuyer exclusivement sur le récit israélien, c’est se tromper non seulement sur les crimes de guerre commis par Israël, mais aussi sur la nature même de la guerre. Les Palestiniens comprennent leur ennemi. Ils ont beaucoup d’expérience. Ils savaient que cela allait arriver. Je pense que les combats à Gaza vont se poursuivre pendant longtemps. Israël a payé un lourd tribut le 7 octobre lorsque les combattants palestiniens ont franchi ses frontières. Il paiera un prix encore plus élevé à Gaza.

Chris Hedges

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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