La guerre en Ukraine a des conséquences sur la politique britannique


Par M.K. Bhadrakumar – Le 17 Juillet 2023 – Indian Punchline

Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Vilnius les 11 et 12 juin s’est avéré être un anti-climax, la relation fracturée entre le régime de Kiev et les puissances occidentales s’étant aggravée. Il s’agit davantage d’une implosion que d’une conspiration russe.

L’annonce par le ministre britannique de la défense, Ben Wallace, de son intention de quitter le cabinet et de renoncer à la politique ne concerne pas seulement sa personne ou la politique britannique. Wallace a joué un rôle particulier dans la guerre en Ukraine : il est le membre le plus âgé du cabinet britannique (52 ans), un soldat-politicien formé à Sandhurst, très apprécié au sein de l’establishment de l’OTAN à Bruxelles et un pilier influent de l’État profond au Royaume-Uni et, surtout, un homme politique britannique qui entretenait des relations étroites avec les dirigeants de Kiev et pouvait influencer la guerre plus efficacement que n’importe quel dirigeant européen, à l’exception de Boris Johnson.

Wallace a fait cette annonce juste après le sommet de l’OTAN à Vilnius, au cours duquel il a émis des critiques acerbes à l’encontre du régime de Kiev, ce qui a probablement fait écho à un sentiment largement répandu parmi les alliés. Bien entendu, il a contrarié le régime de Kiev – et probablement aussi 10 Downing Street – pour avoir été aussi direct à un moment où les nerfs étaient à vif, car le signal de l’OTAN n’était pas assez convaincant pour Zelensky. Zelensky s’est publiquement moqué de Wallace, mettant encore plus les Britanniques dans l’embarras.

Le départ de Wallace donnera lieu à de nombreuses théories, mais à mon avis, le veto opposé par le président Joe Biden à sa candidature au poste de prochain secrétaire général de l’OTAN a joué un rôle important. Le refus de Joe Biden doit être difficile à digérer sur le plan personnel. Le principal collaborateur de Zelensky, Oleksiy Danilov, n’est pas sans fondement lorsqu’il déclare que l’emportement de Wallace à Vilnius témoigne d’un excès d' »émotion« .

Pourquoi Biden s’est-il si fermement opposé à la proposition britannique de nommer Wallace comme prochain chef de l’OTAN ? De toute évidence, le Royaume-Uni considérait le poste de secrétaire général de l’OTAN comme un pas en avant dans son projet de « Global Britain« , alors qu’il tente désespérément de se frayer un chemin vers la haute sphère des grandes puissances. Et l’establishment de l’OTAN s’était montré positif à ce sujet.

Le problème, c’est que sous Wallace, le système de l’alliance aurait très certainement fait un grand pas en avant en intervenant ouvertement dans la guerre en Ukraine sous une forme ou une autre – un processus que Biden aurait eu du mal à calibrer en fonction des intérêts américains plutôt que de ceux de l’Europe, comme il l’a fait avec succès jusqu’à présent.

Il faut bien voir que l’autorisation donnée à Biden de déployer des troupes de réserve américaines en Europe est un cas d’espèce qui souligne en quoi la Maison Blanche voudra continuer à exercer un contrôle total sur le système d’alliance en Europe, à court et à moyen terme, alors que l’affaiblissement de la Russie et son éviction de la scène centrale de la politique mondiale restent une tâche inachevée.

Cela dit, Wallace ne devait pas avoir de différend majeur avec la stratégie de guerre des États-Unis en Ukraine, ni d’ailleurs avec la stratégie d’endiguement de l’après-guerre froide de Washington à l’égard de la Russie. Le départ de Wallace ne devrait pas non plus modifier la trajectoire future de la guerre.

En fait, le porte-parole du ministère russe des affaires étrangères a affirmé aujourd’hui que les États-Unis et le Royaume-Uni étaient en fin de compte responsables du dernier attentat terroriste sur le pont de Crimée. Mais il est intéressant de noter que le communiqué du ministère des affaires étrangères, publié plus tard dans la journée, a évité de pointer du doigt et s’est contenté de déclarer : « Si l’enquête révèle que les drones de surface qui ont attaqué le pont sont d’origine occidentale et que les pays occidentaux ont joué un rôle dans la planification, le parrainage et la conduite de cette opération, cela confirmera leur complicité dans les activités terroristes du régime de Kiev« .

La déclaration exprime l’espoir que « la communauté internationale et les agences multilatérales concernées reviendront à la réalité et évalueront correctement un nouveau crime commis par les autorités ukrainiennes« .

Wallace était spécialiste de la sécurité au sein du ministère de l’intérieur sous la présidence de Theresa May lors de la controverse explosive concernant la tentative d’assassinat de l’ex-fugitif du KGB et agent double Sergueï Skripal à Salisbury en 2017. Ce fut un moment décisif. La Grande-Bretagne n’a toujours pas produit la moindre preuve pour étayer son allégation de complicité russe, mais a au contraire discrètement mis la controverse sous le tapis après avoir poussé à la chute libre les liens entre les deux pays, ce dont ils ne se sont jamais remis, tandis que la carrière politique de Wallace bénéficiait d’un grand coup de pouce.

Le départ de Wallace changera-t-il grand-chose à l’implication de la Grande-Bretagne dans la guerre en Ukraine ? La réponse est non. Il ne fait aucun doute qu’il n’avait d’égal que Boris Johnson dans sa volonté de saigner et d’infliger une défaite militaire à la Russie. Sous son mandat, la Grande-Bretagne a joué un rôle de premier plan en fournissant à l’Ukraine des missiles à longue portée et en montrant l’exemple. Il est pratiquement certain que le SAS a joué un rôle clé dans la plupart, voire la totalité, des attaques de Kiev contre le territoire russe. Wallace a été un pilier solide de l’État profond – et il a failli se retrouver au 10 Downing Street.

Mais, d’un autre côté, dans une guerre continentale potentielle, l’armée britannique n’est aujourd’hui qu’une pâle ombre de ce qu’elle était – avec un maigre stock de 40 chars de combat dans son inventaire et une armée permanente de 78 060 personnes actives, 27 570 réservistes volontaires et 4060 Gurkhas. Cela a probablement pesé sur Wallace. En effet, Wallace cherchait à augmenter les dépenses militaires pour les mettre sur le « pied de guerre« , avec le soutien de personnalités militaires de premier plan et de faucons au sein de l’élite politique.

Le Times rapportait en février que Wallace pressait « [le chancelier] Jeremy Hunt d’augmenter le budget de la défense de 8 à 11 milliards de livres sterling au cours des deux prochaines années afin d’éviter des coupes sombres dans les forces armées« . Wallace a clairement indiqué qu’avec la guerre contre la Russie, il fallait donner la priorité aux forces armées pour faire face aux menaces « croissantes« .

Dans une interview accordée en février à Sky News, il déclarait : « Les dividendes de la paix étaient peut-être appropriés juste après la guerre froide. Nous avions d’énormes armées en Europe. La guerre froide a pris fin et il était juste que le contribuable qui avait investi dans la défense obtienne un retour sur investissement. Le problème, c’est que cela s’est poursuivi et s’est poursuivi pendant de nombreuses décennies, alors que la menace s’est accrue. Et j’ai été très conscient du fait que la menace augmentait« .

En fin de compte, le budget annuel de la défense du Royaume-Uni augmentera de 5,8 milliards de livres sterling en termes de trésorerie à la fin de la période actuelle de révision des dépenses (51,7 milliards de livres sterling en 2024/25, contre 45,9 milliards de livres sterling en 2021/22). Corrigée de l’inflation, l’augmentation des dépenses de défense au cours de cette période ne devrait être que d’environ 1,1 milliard de livres sterling.

Qui peut dire que le départ de Wallace n’a rien à voir avec la guerre en Ukraine ?

Le Guardian a noté que le « langage similaire » utilisé par Wallace et le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan, à Vilnius, « suggérait un certain degré de coordination et marquait un rare contrôle des demandes répétées de l’Ukraine pour une aide militaire et diplomatique lors d’un sommet conçu pour renforcer le soutien occidental à Kiev, mais sans lui offrir une voie immédiate vers l’adhésion à l’OTAN, qui pourrait conduire à une guerre directe avec la Russie« .

Mais le plus intriguant c’est que bien que Wallace ait de puissants partisans aux États-Unis, personne n’est intervenu pour le décourager de jeter l’éponge et de s’éloigner de l’arène.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

   Envoyer l'article en PDF