La CIA travaille à déstabiliser et à nazifier l’Ukraine depuis 1953


Wayne Madsen

Wayne Madsen

Par Wayne Madsen – Le 8 janvier 2016 – Source Strategic Culture

La récente déclassification de plus de 3 800 documents par la Central Intelligence Agency (CIA) fournit des preuves détaillées que cette agence menait depuis 1953 deux programmes importants visant non seulement à déstabiliser l’Ukraine mais à la nazifier en s’appuyant sur des partisans du chef nazi ukrainien de la Seconde Guerre mondiale, Stepan Bandera.

Les programmes de la CIA se sont étendus sur environ 40 ans. Cela a commencé comme une opération paramilitaire qui a fourni des fonds et du matériel à des groupes de résistance ukrainiens anti-soviétiques comme le Conseil suprême de libération de l’Ukraine (UHVR) et à ses affiliés, l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), tous bandéristes nazis. La CIA a aussi fourni de l’aide à une faction relativement anti-Bandera de l’UHVR, la ZP-UHVR, basée à l’étranger, une succursale virtuelle de la CIA et des services secrets britanniques MI-6. L’opération précoce de la CIA pour déstabiliser l’Ukraine, utilisant des agents ukrainiens exilés à l’Ouest et qui étaient infiltrés en Ukraine soviétique, portait le nom de code Projet AERODYNAMIC.

Un ancien document top secret de la CIA, daté du 13 juillet 1953, offre une description d’AERODYNAMIC : «Le but du Projet AERODYNAMIC est d’utiliser et d’étendre la résistance ukrainienne anti-soviétique pour des buts de guerre froide et de guerre chaude. Des groupes comme le Conseil suprême de libération de l’Ukraine (UHVR) et son Armée insurrectionnelle ukrainienne (OUN), la représentation à l’étranger du Conseil suprême de libération de l’Ukraine (ZPUHVR) en Europe de l’Ouest et aux États-Unis, ainsi que d’autres organisations telles que la OUN/B seront utilisés.» La CIA a admis en 1970 dans un document précédemment secret qu’elle avait été en contact avec le ZPUHVR depuis 1950.

La OUN-B était la faction bandériste de la OUN et on trouve aujourd’hui ses sympathisants néo-nazis intégrés dans le gouvernement national à Kiev et dans les gouvernements régionaux et municipaux de tout le pays.

AERODYNAMIC a placé des agents de terrain en Ukraine soviétique qui, à leur tour, établissaient des contacts avec le mouvement de résistance ukrainien, en particulier les agents de la OUN au SB (service de renseignement), qui agissaient déjà à l’intérieur de l’Ukraine. La CIA a organisé des largages de matériel de communication et d’autres fournitures, incluant probablement des armes et des munitions, à l’intention de l’armée secrète de la CIA en Ukraine. La plupart des agents ukrainiens de la CIA recevaient une formation en Allemagne de l’Ouest assurée par la branche politique et psychologique (FI-PP) des services de renseignement de l’Armée américaine. Les communications entre les agents de la CIA en Ukraine et leurs maîtres occidentaux passaient par des talkie-walkies bidirectionnels, par ondes courtes via des canaux postaux internationaux et par des courriers aériens et terrestres clandestins.

Les agents parachutés en Ukraine portaient un kit qui contenait, entre autres choses, un stylo pistolet à gaz lacrymogène, un sac de couchage arctique, une hache de camping, un outil pour creuser des tranchées, un couteau de poche, une plaque de chocolat, un appareil photo Minox et un appareil 35 mm Leica, de la pellicule, une trousse de toilette soviétique, une casquette et une veste soviétiques, un pistolet calibre 22 et des balles, ainsi que des contraceptifs en latex pour en faire un film imperméable. D’autres agents ont reçu des postes de radio, des générateurs manuels, des piles au nickel-cadmium et des balises de détresse.

Un projet affilié à AERODYNAMIC portait le nom de code CAPACHO.

Les documents de la CIA montrent qu’AERODYNAMIC était toujours opérationnel sous l’administration de Richard Nixon dans les années 1970.

Le programme a plus pris la couleur d’une opération de guerre psychologique que l’imitation de la vie réelle dans un roman d’espionnage de John Le Carré se déroulant derrière le rideau de fer. La CIA a installé une officine de propagande à Manhattan qui répondait aux besoins d’impression et de publication de la littérature anti-soviétique du ZPUHVR, ensuite passée en contrebande en Ukraine. Le nouveau champ de bataille ne se situerait pas dans les marécages près d’Odessa, ni dans les froids entrepôts abandonnés de Kiev, mais au centre du monde de l’édition et de la presse audiovisuelle.

La société-écran de la CIA était Prolog Research & Publishing Associates Inc., connue plus tard simplement comme Prolog. Le nom de code de la CIA pour Prolog était AETENURE. Le groupe publiait le magazine Prolog en ukrainien. La CIA se référait à Prolog comme à une «société sans but lucratif, exemptée d’impôts, destinée à assurer les activités du ZP/UHVR». L’entité juridique utilisée par la CIA pour financer Prolog reste une information classifiée. Pourtant, le document SECRET CIA établit que les fonds destinés à Prolog étaient transmis au bureau de New York «via Denver et Los Angeles et que les recettes fournissent à Prolog un écran de sécurité quant à l’origine des fonds pour faire face aux enquêtes des autorités fiscales de New York.»

Quant au bureau de Prolog à Munich, le document de la CIA indique que ses fonds proviennent d’un compte distinct de celui de Prolog New York, dans une banque coopérative qui reste aussi classifiée. En 1967, la CIA a fusionné les activités de Prolog Munich et le bureau munichois du journal nationaliste ukrainien en exil, Suchasnist. Le bureau de Munich a aussi soutenu la Ukrainische Gesellschaft für Auslandstudien [Société ukrainienne pour les études à l’étranger]. Les documents de la CIA indiquent aussi que des agents du Bureau fédéral d’investigation (FBI) des États-Unis ont pu interférer avec des agents d’AERODYNAMIC à New York. Une directive de la CIA de 1967 a recommandé à tous les agents ZPUHVR aux États-Unis de déclarer leurs contacts avec des diplomates de la mission des Nations Unies et les employés de l’ONU venant d’URSS et de la République soviétique d’Ukraine au FBI ou à leur propre chargé de projet. Les agents de la CIA chargés  d’AERODYNAMIC à New York et à Munich portaient le nom de code AECASSOWARY. Apparemment, tout cela était loin de la concision du célèbre agent 007 du MI-6, puisqu’un agent de la CIA à Munich portait le nom de code AECASSOWARY/6 et l’agent responsable à New York celui de AECASSOWARY/2.

Les agents AECASSOWARY ont participé et travaillé dans d’autres équipes qui ont infiltré la Conférence mondiale de la jeunesse à Vienne en 1959. L’opération d’infiltration de Vienne, où des contacts ont été établis avec de jeunes Ukrainiens, avait reçu de la CIA le nom de code LCOUTBOUND.

En 1968, la CIA a ordonné à Prolog Research & Publishing Associates Inc. de fermer et l’a remplacé par Prolog Research Corporation, «une entreprise commerciale à but lucratif, remplissant ouvertement des contrats pour des utilisateurs non spécifiés comme des individus et institutions privées.»

Le remaniement de Prolog avait été annoncé par la CIA comme résultant de l’opération MHDOWEL. On ne sait pas grand chose d’autre de MHDOWEL, à part que cela a impliqué l’éclatement d’une fondation à but non lucratif, couverture de la CIA. Ce qui suit vient d’une note au dossier, datée du 31 janvier 1969, rédigée par l’avocat général adjoint de la CIA, John Greaney : «Concerne une rencontre de Greaney, de l’avocat Lawrence Houston et de Rocca à propos d’une confrontation avec le bureau du FBI de NY le 17 janvier 1969. Ils ont discuté de deux individus dont les noms ont été caviardés. On disait de l’un qu’il était un agent employé de la CIA depuis le 28/8/61, à qui on avait demandé de rédiger une monographie qui avait été financée par une subvention provenant d’une fondation dont la couverture avait été grillée dans MHDOWEL (je soupçonne que c’est un code pour parler de la presse américaine). Un des individus [nom caviardé] avait été requis pour être utilisé dans le projet DTPILLAR de novembre 1953 jusqu’en février 1955 et ensuite en mars 1964 pour WUBRINY. Lorsque la Division des opérations intérieures a informé la Sécurité que cette personne ne serait pas utilisée dans WUBRINY, Rocca a fait le commentaire qu’«il y a quelques allégations plutôt inquiétantes contre des membres de l’entreprise de [caviardé]», indiquant qu’un membre de cette firme était «encarté au Parti communiste». La note poursuit en disant que Rocca enquêtait sur l’utilisation de l’individu dans le projet Project DTPILLAR dans le but de savoir si cette personne avait mentionné des activités à Genève en mars 1966 en relation avec Herbert Itkin.» Raymond Rocca était le directeur adjoint de la division de contre-espionnage de la CIA. Itkin était un agent infiltré pour le FBI et la CIA qui aurait prétendument infiltré la mafia et avait reçu une nouvelle identité en Californie en tant que Herbert Atkin en 1972.

En 1969, AERODYNAMIC a commencé à promouvoir la cause des Tatars de Crimée. En 1959, vue la forte population ukrainienne au Canada, le service de renseignement canadien a entamé un programme semblable à AERODYNAMIC sous le nom de code de REDSKIN.

Comme le trafic aérien international augmentait, le nombre de visiteurs de l’Ukraine soviétique à l’Ouest a augmenté aussi. Ces voyageurs étaient d’un intérêt primordial pour AERODYNAMIC. Des agents de la CIA leur demandaient de transporter clandestinement du matériel de Prolog, totalement censuré par le gouvernement soviétique, pour le distribuer en Ukraine. Plus tard, des agents AERODYNAMIC ont commencé à approcher des visiteurs ukrainiens dans des pays d’Europe de l’Est, en particulier des visiteurs d’Ukraine soviétique en Tchécoslovaquie pendant le Printemps de Prague de 1968. Les agents ukrainiens de la CIA leur demandaient la même chose : rapporter de la littérature subversive en Ukraine.

AERODYNAMIC s’est poursuivi pendant les années 1980 en tant qu’opération QRDYNAMIC qui était affectée au Programme d’action politique et psychologique clandestine du personnel de la CIA en Europe de l’Est. Prolog a vu ses opérations s’étendre de New York et Munich à Londres, Paris et Tokyo. QRDYNAMIC a commencé à se lier à des opérations financées par le magnat des hedge funds George Soros, en particulier les agents de Helsinki Watch Group à Kiev et Moscou. La distribution de matériel clandestin s’est étendue, passant des revues et des brochures à des cassettes audio, des tampons automatiques avec des messages anti-soviétiques, des autocollants et des T-shirts.

QRDYNAMIC a étendu ses opérations en Chine, manifestement depuis le bureau de Tokyo, ainsi qu’en Tchécoslovaquie, Pologne, Estonie, Lituanie, Lettonie, Yougoslavie, Afghanistan, Asie centrale soviétique, Extrême-Orient soviétique, et parmi les Ukrainiens du Canada. QRDYNAMIC a aussi payé des agents d’influence journalistes pour leurs articles. Ces journalistes se trouvaient en Suède, en Suisse, en Australie, en Israël et en Autriche.

Mais au début de la glasnost et de la perestroïka [la politique de réformes économiques dans un sens plus libéral et de liberté de parole lancée par Mikhaïl Gorbatchev, NdT], au milieu des années 1980, les choses ont commencé à s’assombrir pour QRDYNAMIC. Le coût élevé des loyers à Manhattan l’a fait chercher des quartiers meilleur marché dans le New Jersey.

La secrétaire d’État adjointe pour les questions européennes et eurasiennes, Victoria Nuland, la jeune fille du Maïdan [Maiden of Maidan – jeu de mot sur l’assonance, NdT] qui y apportait des cookies, a dit au Congrès américain que les États-Unis avaient dépensé 5 milliards de dollars pour arracher l’Ukraine à la sphère d’influence russe. Avec les récentes révélations de la CIA, il semble que ce genre de combines à l’étranger a coûté beaucoup plus cher aux contribuables américains.

Traduit par Diane, vérifié par Ludovic, relu par Literato pour le Saker francophone

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