Par André Marques − Le 19 février 2022 − Source mises.org
Le taux d’inflation annuel pour la zone euro a atteint les 5% au mois de décembre 2021 et (à ce jour) le consensus est d’un taux de 5.1% pour le mois de janvier 2022. Les prix des producteurs industrielle de la zone euro sont montés de 26,2% en 2021.
Cela a mis la pression sur la Banque centrale européenne (BCE) vers une politique monétaire serrée (ou en tous cas une politique moins molle). Le 3 février 2022, la BCE a annoncé ses décisions en matière de politiques monétaires au sujet du programme d’achat d’urgence pour la pandémie [Pandemic emergency purchase programme, PEPP], ainsi que de du programme d’achat d’actifs [Asset Purchase Program, APP], ses divers programmes d’achat d’actifs, et les taux d’intérêts, sans changement majeur par rapport à l’annonce précédente, qui remontait au mois de décembre.
Le programme d’achat d’urgence pour la pandémie
Pour le premier trimestre 2022, la BCE compte mener des achats d’actifs nets, dans le cadre du PEPP, à une cadence moins élevés qu’au quatrième trimestre 2021, et elle devrait mettre fin à ses achats d’actifs nets à la fin du mois de mars 2022.
Le Conseil de gouvernance (l’équivalent du Federal Open Market Committee de la Fed) a énoncé que sous les conditions de stress économique, la flexibilité va rester un élément de politique monétaire, dès lors que pointeront des menaces contre l’objectif de la politique monétaire suivie par la BCE — la cible d’inflation « symétrique » des prix, établie à 2%. Par exemple, en cas de complication sur les marchés en lien avec la pandémie, les réinvestissements du PEPP peuvent être ajustés de manière flexible avec le temps. Un tel ajustement pourrait intégrer les achats d’obligations émises par le gouvernement grec sur les roulements de remboursements, et même supérieurs à ceux-ci, afin d’éviter toute interruption des achats, qui pourraient peser sur l’économie grecque. Les achats nets, dans le cadre du PEPP, peuvent également être repris pour contrer les effets de chocs négatifs relatifs à la pandémie, si nécessaire.
Le programme d’achat d’actifs
Dans la lignée d’une réduction progressive des achats d’actifs, et pour assurer que la position de la politique monétaire reste cohérente avec la cible d’inflation « symétrique » sur les prix, le Conseil de gouvernance a décidé d’établir une cadence d’achats nets de 40 milliards d’euros par mois au deuxième trimestre 2022, et de 30 milliards d’euros par mois au troisième trimestre, dans le cadre de l’APP. Pour le mois d’octobre 2022, le Conseil de gouvernance compte maintenir les achats nets d’actifs sous l’APP à 20 milliards par mois « aussi longtemps que nécessaire » pour maintenir la politique accommodante de la BCE. Le Conseil de gouvernance escompte mettre fin aux achats nets peu avant de commencer à faire monter les taux d’intérêts directeurs de la BCE.
Les taux d’intérêts
Les taux d’intérêts directeurs de la BCE (le taux de refinancement principal des opérations, le taux marginal d’emprunt pour les banques commerciales, et le taux de dépôt pour les banques commerciales) vont rester inchangés, respectivement à 0%, 0,25%, et -0,5%.
Dans l’objectif de maintenir la cible des 2% d’inflation « symétrique » des prix, et en ligne avec sa stratégie de politique monétaire, le Conseil de gouvernance s’attend à ce que les taux d’intérêts directeurs de la BCE restent aux niveaux actuels, ou plus bas, jusqu’à voir l’inflation atteindre les 2% « à moyen terme ». Cela peut induire une période de transition au cours de laquelle l’inflation sur les prix resterait modérément au-dessus de la cible des 2%.
Le 4 février 2022, le bilan de la BCE dépassait les 8 630 milliards d’euros. Depuis 2015, la BCE n’a pas fait baisser son bilan. Et depuis 2014, elle a maintenu les taux d’intérêts très proches de 0% (et en dessous du 0% pour le taux de dépôt pour les banques commerciales).
Graphique n°1 : taux d’intérêts et bilan de la BCE, 2012-2022
La BCE est prise au piège
À l’instar de la Fed, la BCE ne dispose guère de marge de manœuvre pour faire monter les taux d’intérêts sans provoquer de complications majeures sur les marchés financiers et l’économie. En addition, ses achats d’actifs, principalement opérés sur des obligations émises par les gouvernements de la zone euro, constituent le facteur qui permet de maintenir les taux d’intérêts artificiellement bas, et par extension de maintenir tout aussi artificiellement bas les déficits des budgets de ces gouvernements.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, en réponse à une question sur les écarts de rendements sur les obligations émises par les gouvernements de la zone euro, a affirmé qu’il n’existait pas d’écarts importants. Chose étrange, cependant, le simple signalement d’une possible augmentation des taux d’intérêts pour garantir le taux d’inflation à 2% « à moyen terme » (comme l’a affirmé Lagarde) a provoqué des attentes de la part des investisseurs et des traders sur l’idée que la BCE va augmenter les taux d’intérêts cette année, et faire monter les écarts (voir le graphique n°2).
Graphique n°2 : Écarts de rendements (spreads) entre l’Italie et l’Allemagne (en bleu) et entre la Grèce et l’Allemagne (en orange) sur les obligations à dix ans, entre septembre 2021 et février 2022
Les dettes gouvernementales de l’Italie et de la Grèce s’établissent respectivement à 155,3% du PIB et 200,7% du PIB (données provisoires, en date du troisième trimestre 2021), bien supérieures aux 69,4% du PIB pour l’Allemagne. Cette énorme différence reflète le risque supérieur inhérent aux obligations italiennes et grecques (en comparaison avec les obligations allemandes). Le simple fait d’indiquer une augmentation des taux d’intérêts et une baisse des achats d’actifs fait que les investisseurs prennent ce risque en compte, ce qui fait augmenter les taux d’intérêts sur les obligations grecques et italiennes davantage que ceux des obligations allemandes (car une bonne partie de la demande d’obligations grecques et italiennes va disparaître si la BCE cesse vraiment de les acheter, ou réduit simplement ses niveaux d’achats).
Le graphique qui suit montre les rendements des obligations gouvernementales à dix ans pour certains pays de la zone euro. Noter qu’avant 2008, au cours des premières années de l’euro, les rendements n’avaient pratiquement pas d’écarts entre eux. Cependant, à partir de 2008, la perception générale a pris en compte un risque plus important sur les obligations émises par les pays ayant des niveaux de dettes plus élevés, comme la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et l’Irlande (qui a diminué au cours des années qui ont suivi son ratio dette/PIB). Ainsi, pendant que ces gouvernements continuaient d’augmenter leurs dépenses, les rendements de leurs obligations ont commencé à augmenter (jusqu’à finir par amener à une crise de la dette souveraine et à une récession dans la zone euro). Ce n’est qu’après 2015, lorsque la BCE a commencé son programme d’achat d’actifs, que les écarts ont recommencé à baisser.
Graphique n°3 : rendements sur les obligations gouvernementales de la zone euro sur dix ans, 1998-2022
On voit bien que la BCE a maintenu les taux d’intérêts sur ces obligations artificiellement bas. Ainsi, la BCE n’a pas de marge de manœuvre pour faire augmenter les taux d’intérêts ni pour faire diminuer (ou cesser) ses achats d’actifs mensuels. des pays comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Grèce, qui ont des niveaux de dette plus importants et des gouvernements plus dépensiers, sont très dépendants de cette politique monétaire. Et ils n’ont aucune incitation à réduire leurs dépenses ou leurs emprunts assez pour que les taux d’intérêts sur leurs obligations redescendent sans intervention de la BCE [la nature même de l’Euro, bénéfique à l’économie allemande, et néfaste aux autres pays, leur interdit également, NdT]. Dans le meilleur des cas, les gouvernements vont réduire leurs dettes de manière très progressive (comme l’a fait le Portugal entre 2016 et 2019 et en 2021, après une augmentation significative en 2020).
André Marques
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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